Le chien des étoiles / Dimitri Rouchon-Borie

J’avais eu un énorme coup de cœur pour le premier roman coup de poing de Dimitri Rouchon-Borie, « Le démon de la colline », paru en 2021. J’attendais donc avec impatience son nouveau roman en cette rentrée littéraire de ma maison d’édition chouchou, Le Tripode. Et je n’ai pas été déçue. Un roman intense, noir et émouvant.

Gio, 20 ans, rentre chez ses parents après des mois d’hospitalisation. Un cousin lui a planté un tournevis dans le crâne. Contre toute attente il a survécu, avec quelques séquelles ; une belle cicatrice et une façon de voir la vie différemment. Gio a parfois des absences. A peine rentré, sa famille organise des représailles. Gio fuit avec deux compagnons de route qu’il se retrouve à protéger comme il peut : Papillon, un petit garçon qui ne parle pas mais que Gio comprend très bien, et Dolores, une adolescente reléguée à un rôle, faire plaisir aux hommes.

Ce trio soudé va vivre bien des aventures. Ils ne se jugent pas entre eux. Le reste de l’histoire est à découvrir en lisant ce roman ponctué de rencontres et où le destin semble malheureusement inéluctable. Vous y trouverez aussi des boxeurs, un chien et une fresque, mais je ne vous en dis pas davantage.

L’auteur a expliqué lors de la rencontre VLEEL sa difficulté à écrire après un premier roman aussi fort, à « retrouver son innocence ». Il a eu besoin de deux ans pour se lancer dans l’écriture de celui-ci. Et le même malaise l’a pris après la dernière ligne du « chien des étoiles ». Alors il fait une pause pour retrouver de la sérénité et il se concentre sur d’autres projets, comme l’adaptation en BD du « Démon de la colline aux loups » chez Dupuis.

Il ne fait pas de plan pour ses romans. Ses personnages apparaissent à lui et il les suit dans leur univers. Dans ses romans on retrouve des êtres cabossés, à l’enfance brisée. Et c’est peut-être son métier de journaliste judiciaire, les nombreux procès qu’il a couvert, qui le pousse à écrire ces histoires d’êtres fragiles qu’on aimerait protéger.

Le titre est un clin d’œil au livre de Jack London, « le vagabond des étoiles ».

La lecture à voix haute d’extraits a été un moment mémorable du VLEEL où j’ai particulièrement ressenti la langue du texte. Un livre certes différent du premier roman mais on y retrouve le style de Dimitri ; sorte de conte noir avec une voix singulière, une intensité et des personnages attachants. Un roman bouleversant, préparez vos mouchoirs pour la fin !

La superbe illustration de couverture est d’Amandine Bourbon-Toulan.

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« – Regardez-moi cette gueule de crasse qu’est de retour !
Le père s’avance, son visage se fend d’un sourire. Il range son canif, jette le bout de bois qu’il était en train d’épointer, écarte les bras.
– ça, c’est la carne de mon sang, ça s’en va pas pour de bon à la première misère. Nom de nom mon fils, t’es beau comme si t’étais plus neuf qu’avant !
Il attrape Gio et le serre contre lui. »

« C’est le destin, mon garçon, et tu n’as pas les moyens de t’en payer un autre. »

« Alors que Gio, lui, a l’air benêt. Il a pris un coup trop ferme, ça l’a fait reculer d’un cran dans la présence au monde. »

« Le géant rue et exulte et râle et il frappe et frappe encore, mais Gio a l’esprit de la chouette, et il plane en silence au-dessus de l’arène, et il encaisse des coups, et il déploie ses ailes car il ne sent rien, il ne demande rien, rien d’autre que de continuer à encaisser parce qu’il s’en fiche et dans ce moment il n’y a rien d’autres à sauver, rien à réclamer, rien à dire. Et les coups lui font une sensation ici ou là et il en redemande et il se met à crier ramène-moi, ramène-moi, parce qu’il aimerait qu’un bon coup finisse par annuler celui qu’il a pris en trop, et il commence à en vouloir à Isaac de na pas être foutu d’aller lui cogner la vie, loin en lui, si loin que ça ferait vibrer de nouveau toute la substance, et qu’il cesserait d’être un sauvage à demi mort, ou à moitié vivant, et il ne serait plus l’homme de la nuit, mais celui qui a été rendu au jour par un coup de poing. »

« Dans le gymnase les autres se sont arrêtés pour regarder ça et c’est un spectacle humain, Gio qui saigne et il s’est agenouillé et maintenant il est à la bonne hauteur pour les assauts d’Henrique qui cogne encore et encore et ils pleurent maintenant, tous, à voir le visage de Gio ramasser et rougir à plein et goutter de l’arcade, du nez, de la lèvre. Quand le vieux s’arrête enfin il est si essoufflé que les sanglots qui viennent pourraient le faire mourir dans l’instant.
– Et là, fils, tu as mal ? articule Henrique.
Gio pleure comme un môme. Il n’aurait pu dire à personne ce que comblait cette douleur qui se manifestait enfin.
– Merci, coach, qu’il dit. »

« Le bruit se met à courir que le géant qui cogne gribouille des choses étranges à la craie dans la cabane du Cubain, et les gens commencent à en faire une conversation et ça donne des histoires plus grosses que les dirigeables qui traversent l’Atlantique. »

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