Nos destins sont liés / Walid Hajar Rachedi

Finaliste du Prix Orange du Livre 2022 avec son premier roman « Qu’est-ce que j’irais faire au paradis ? », Walid Hajar Rachedi avait séduit les jurés dont je faisais partie. C’est donc avec joie que je retrouve sa plume pour son second roman. On retrouve d’ailleurs des personnages de son premier livre mais vous pouvez lire les deux indépendamment.

Ce roman choral composé de 5 voix est dense et très bien orchestré. Tous les personnages sont liés entre eux sans le savoir. Chacun a son langage, son flow et raconte une part ou une face de notre société. Walid Hajar Rachedi brosse le portrait d’une génération née dans les années 1980-1990, qu’on suit dans les années 2000, et tout parait très actuel.

Salem est le personnage central. C’est un transfuge de classe. Il a grandi dans la banlieue parisienne. Il a fait de brillantes études et il est devenu un jeune directeur d’une entreprise de finances internationales, chez Smith & Carlson. Mais il vit avec une ombre, celle de son petit frère, Malek. Il se pose beaucoup de questions et se demande s’il a réellement réussi sa vie. C’est certainement le plus attachant des cinq.

Lisa Elatre-Levy vient également du quartier des Peupliers à Stains en Seine-Saint-Denis. Elle est plus jeune que Salem. Elle aussi a réussi à s’extraire de sa condition et elle est désormais DRH chez Smith & Carlson. Elle a un frère, Ronnie. Il ne sait pas quoi faire de sa vie. Il s’oriente vers des études de lettres un peu par hasard suite à une rencontre féminine lors d’une manifestation. Mais sa véritable passion, c’est le rap, la musique.

Mathieu vivote d’un job de téléopérateur chez Smith & Carlson qu’il n’aime pas. Il a vécu en foyer et il essaye d’écrire son premier roman.

Céline de Verrières est issue d’une famille catholique bourgeoise. Elle habite Versailles et fait des études de lettres. Elle a l’âme rebelle et s’habille en gothique.

Autour d’eux gravitent des personnages « secondaires » tout aussi intéressants. On plonge dans les pensées de jeunes qui ont 20 ans et ne savent pas quoi faire de leur vie alors qu’un attentat a eu lieu en gare du Nord à Paris et sème la terreur. A cela s’ajoutent des émeutes dans les quartiers et vous avez un climat social similaire au nôtre. Beaucoup de thèmes sont abordés : le racisme, la condition sociale, la religion, la géopolitique, l’identité. Il y a aussi de l’amour dans l’air, des histoires de famille (de frères) et des amitiés. La vie, en somme.

Ce qui est particulièrement réussi ce sont les différentes voix, chacune est identifiable à la lecture. Il y a une langue, un rythme et un ton pour chacun. Pour Salem, par exemple, il y a des expressions anglaises, les anglicismes utilisés par les cadres de chez Smith & Carlson, on s’y croirait.

Et puis il y a la musique, très présente, certes avec Ronnie, le rappeur, mais aussi tout au long du livre, car l’auteur a disséminé des chansons qui pourraient constituer la bande-son du roman.

Dans ces pages, on ressent l’amour de Walid pour la littérature. Il y a de nombreuses références à des auteurs qui l’ont nourri. L’écriture est poétique, vivante, fluide. Chaque chapitre donne envie de lire le suivant. Les détails fourmillent et ont leur importance. Les liens se resserrent progressivement. Tout prend sens lorsqu’on avance dans la lecture. C’est très bien pensé, construit et écrit !

En fait ce second roman, l’auteur a commencé à l’écrire il y a 20 ans. Depuis les personnages ont continué à l’habiter. Son premier roman était donc son second roman et inversement, si vous me suivez toujours. Il a entrepris une saga et a prévu de faire évoluer certains personnages. Je me réjouis de suivre cette œuvre brillante et pleine d’humanité à l’image de son auteur. J’espère qu’elle sera adaptée en série TV.

Je vous recommande le replay de la rencontre VLEEL du 03/09/2023, quand il sera en ligne, vous pourrez alors avoir la chance de l’écouter. C’est un auteur passionnant. Et comme le dit très bien son éditrice, Emmanuelle Collas, « il y a de quoi vous nourrir pour penser » dans l’œuvre de Walid.

Merci VLEEL et les éditions Emmanuelle Collas pour cette lecture

Note : 5 sur 5.


Incipit :
« Ce jour-là comme tant d’autres, c’est à une meilleure place que Salem voulait prétendre. Mais, à l’aéroport international Chep Lap Kok, l’agent de comptoir ne veut rien entendre. French touch ou accent chewing-gum, sourire charmeur ou ton ferme du business traveller arc-bouté sur ses exigences, rien n’y fait : même la carte Platinum Grands Voyageurs ne peut lui ouvrir le droit à une place en première. »


« Quand des gens veulent te persuader qu’ils sont les seuls à entendre Dieu, ça fait des choses mauvaises comme en novembre à Gare du Nord… »


« Si l’enfance n’est dans les souvenirs qu’un long moment d’attente entre deux récréations, l’adolescence me semble avoir été au contraire une course effrénée où, atteints de daltonisme, nous n’avons jamais su faire la différence entre le feu rouge et le feu vert. »


« Ce qui effraie le plus, finalement, dans cette reproduction sociale qui te semble tenir de la reproduction bovine, c’est l’idée que tu rejoignes toi aussi, un jour, les « gens », cette masse informe et confuse qui se gêne pas pour te bousculer dans les couloirs de tes angoisses. »


« ça ne t’empêchera pas dans l’escalier d’espérer deux bonnes secondes que la porte s’ouvre derrière toi.
Dans un espoir vain.
Dans l’escalier, t’en feras tomber ton masque – la vieille dame, alertée par le bruit, verra par le judas ton visage ruisselant de larmes. T’en feras tomber ton bagage – quoi de plus normal quand tu sais que, de l’amour ; il a gardé les poignées. Tu t’agripperas violemment à la rambarde, le degré d’inclination de ton corps, une réponse directe à l’inclinaison de ton cœur, qui imprimera sur tes lèvres les mots douloureux d’Alicia : I keep on falling in and out.
L’amour, une chute qui éparpillera tes affaires sur plusieurs étages. »

2 commentaires sur « Nos destins sont liés / Walid Hajar Rachedi »

Laisser un commentaire