Les finalistes du Prix Orange du Livre 2024

Le jury 2024 s’est réuni lundi 13 mai pour voter les 5 finalistes. Nous, les anciens jurés, étions représentés par 2 personnes, Dominique et Lilia. Nous avions établi ensemble un top 5 à défendre. Aucun de notre top 5 n’est finaliste, mais dans notre top 10 on en retrouve 2. La liste finale est représentative de tous les lecteurs, jurés participants. Chacun y trouvera un coup de cœur pour lequel voter.

Les 5 romans finalistes

(par ordre alphabétique d’auteur)

  • Bientôt les vivants / Amina DAMERDJI (Gallimard)
  • Fantastique histoire d’amour / Sophie DIVRY (Seuil)
  • L’ami du prince / Marianne JAEGLE (L’Arpenteur)
  • Et, refleurir / KIYEMIS (Philippe Rey)
  • Sans valeur / Gaëlle OBIEGLY (Bayard)

Dans les romans finalistes, il me reste 2 livres à lire. J’ai beaucoup aimé le roman de Marianne Jaeglé et celui de Kiyémis. J’ai bien aimé celui d’Amina Amerdji, mais moins que son premier roman. Mes avis arrivent bientôt. Pas de chouchou pour l’instant.

A vous de voter jusqu’au 5 juin minuit !
https://www.lecteurs.com/article/les-5-romans-finalistes-du-prix-orange-du-livre-2024/2444708

Vous pourrez voter aussi pour le Prix Orange de la BD 2024 : https://www.lecteurs.com/article/les-5-albums-finalistes-du-prix-orange-de-la-bande-dessinee-2024/2444709

Les noms des lauréats seront dévoilés le 13 juin lors de la soirée de remise du prix avec l’ensemble des jurés.

A noter également dans vos agendas, le 28 mai à 19h, une rencontre en ligne avec les 5 finalistes. Plus d’infos à venir sur Un endroit où aller.

Retrouvez toutes mes chroniques depuis le début du jury avec le tag « Jury Prix Orange du Livre 2024 » :
https://joellebooks.fr/2024/03/27/la-selection-du-prix-orange-2024/

Border la bête / Lune Vuillemin

Une femme assiste au sauvetage d’un orignal. Elle a l’air perdue et demande si elle peut rester au refuge avec Arden et Jeff. Petit à petit, elle dévoile sa vie avant d’arriver dans cette forêt du Canada. Des crises d’angoisses surgissent régulièrement. Elle sent une boule de tourbe dans sa gorge. Petit à petit, elle semble se reconstruire auprès d’Arden, la femme aux doigts-araignées, pour qui le désir est omniprésent. Jeff, l’homme à l’œil de verre, lui apprend à s’occuper des animaux. Elle fait des rêves étranges. Des coccinelles peuplent l’intérieur de la maison d’Arden.

Ce roman est très poétique. La nature y est un personnage à part entière. D’ailleurs la rivière Babine est souvent nommée comme s’il s’agissait d’une personne. J’ai trouvé le début très prometteur puis je me suis perdue dans les songes du personnage principal. L’évocation de la nature est magnifique. J’ai beaucoup aimé l’écriture, mais ce n’est pas un livre que je défendrai pour faire partie des 5 finalistes du Prix Orange du Livre 2024.

Ce roman fait partie de la sélection du Prix Orange du Livre 2024.

Note : 3 sur 5.

Incipit :
« Quand le vent reprend son souffle, l’air se fige au-dessus du lac Petit. La glace soliloque sous le ciel blanc, parfois elle grince des dents, se met à rire et sa mâchoire claque. Sa peau blanche gercée de bleu semble forte et prête à recevoir les baisers ardents du printemps. Il y a d’abord une expiration de brume sur les sapins baumiers, puis le froid bondit d’un bout à l’autre du lac à la manière des chevreuils en fuite. Le chant de la glace rencontre le rire de la sittelle. Les trembles nus se tendent la main, si blancs et lourds d’une neige glacée. Dans la forêt, le pas silencieux des biches alertes, le ventre rond d’une mésange sur une branche tordue, une petite martre baille, dents minuscules et poils hérissés par une couverture de neige fondue tombée d’en haut. Le matin pointe le long de la rivière Babine. »

« Jeff sourit, un sourire tordu. Il dit C’est marrant, avec ses r un peu mâchés, when I asked you where you came from, t’as rien su me répondre et là je te demande où tu vas et tu réponds finalement à ma première question. Il me fait signe de continuer. La rivière Babine, elle, ne s’est pas interrompue. »

« Le rire d’Arden part au galop comme un coyote en fuite. »

« Par la fenêtre, je suis la lisière de la forêt, ou plutôt la cicatrice de la forêt, puisque la route est venue la couper en deux. Nous roulons chez une femme qui a dynamité un barrage de castors sur son terrain. La hausse du niveau d’eau, engendrée par la construction de bois et de boue des mammifères, a déséquilibré la vie de cette femme. L’eau, devenue clandestine, a franchi la frontière invisible du domaine humain. La propriétaire a fermé les yeux sur ce que les castors apporteraient de bon à ses terres. Le cours d’eau gonfle oui, le lit s’élargit, et c’est une aubaine pour la biodiversité, m’explique Jeff, mais l’humain s’en fout de ça, ce qu’on veut, c’est que rien ne bouscule l’ordre de nos choses. Il se racle la gorge. Trois petits sont toujours vivants, l’explosion n’a pas atteint la hutte.
Les parents sont en morceaux. J’aimerais lui dire qu’il peut pleurer devant moi, que de toute façon je suis du côté de l’œil qui ne pleure pas, je ne verrai rien. Nous roulons à la rencontre d’une femme qui parle l’explosif. Bombarderions-nous le niveau de la mer, les tempêtes et la chaleur, si nous le pouvions ? Nous ne parlons pas, parce que les mots pour décrire ce que nous ressentons sur cette route sont laids, vulgaires et violents. Il nous faut garder de la douceur et de la force pour une portée orpheline dont le monde s’est effondré.
Arden est déjà là. C’est elle qui parle avec la femme aux explosifs. On n’entend pas ce qu’elles se disent, la femme nous a simplement adressé un mouvement de menton. Jeff n’a pas dit bonjour, j’ai hoché la tête. Arden a déjà récupéré les petits, chacun dans une caisse de transport. Nous les calons à mes pieds dans le camion. Il faut faire vite, les ramener au refuge et les installer ensemble. Limiter le stress. Je demande à Jeff si sans parents les castors sauront instinctivement construire une hutte, se nourrir, préparer l’hiver. Il dit oui. Il dit juste oui. Après tout ce temps passé à chercher les mots jutes, finalement face à la cruauté de l’humain, se taire reste peut-être la meilleure chose à faire. »

Blanches / Claire Vesin

J’ai mis un peu de temps à entrer dans l’histoire du fait de la multitude de personnages, mais ensuite je l’ai dévoré.

Ce premier roman nous plonge dans le quotidien des urgences d’un hôpital de banlieue parisienne, à Villedeuil. Il y a Jean-Claude, chirurgien, qui y a fait toute sa carrière. Aimée, jeune interne en stage et qui connaît par ailleurs Jean-Claude. Laetitia, une jeune infirmière qui tient l’accueil des urgences. Elle vit avec Kamel, tout juste diplômé et en recherche désespérément de son premier emploi. Ils ont grandi à Villedeuil et n’imaginent pas vivre ailleurs. Fabrice est médecin au SAMU, bientôt père et il fuit ce rôle.

L’autrice nous fait entrer dans la vie de chacun de ses personnages, avec ses rêves, ses doutes, ses états d’âme, ses désillusions. Le personnage qui m’a le plus plu est celui d’Aimée. Fragile, elle essaie d’oublier Arnaud, le fils de Jean-Claude qui a disparu du jour au lendemain. Tout bascule vers la fin de l’année, lorsqu’un médecin est en arrêt et qu’il n’y a personne pour le remplacer. Aimée va se retrouver seule à gérer les urgences sans superviseur.

Ce roman dénonce le manque de moyen des hôpitaux et salue le courage des personnels soignants. Cette histoire peut faire froid dans le dos, mais elle est très certainement proche de la réalité. Claire Vesin est elle-même médecin, cardiologue pour être précise.

Les chapitres alternent entre les protagonistes et offrent différents points de vue. Construit avec des phrases courtes, ce roman noir social est difficile à lâcher tant on s’attache aux personnages. Un premier roman efficace et qui sonne juste !

« Blanches » fait partie de la sélection du Prix Orange du Livre 2024.

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« Il n’est pas encore dix heures, et des gouttes de sueur coulent déjà le long de ses flancs. Trente-quatre degrés sont prévus aujourd’hui ; elle a ouvert les deux fenêtres de l’appartement, mais l’air reste immobile, comme figé.
Aimée lit une nouvelle fois le SMS d’Arnaud. »

« Laetitia était un peu jeune pour tenir l’accueil. Elle n’avait pas choisi ce poste, il était vacant depuis des mois quand elle avait demandé à changer de service. Elle aurait pris n’importe quoi plutôt que de continuer à travailler en gériatrie. Quand elle repensait à ses deux années là-bas juste après son diplôme, elle en arrivait à douter de ses souvenirs. Elle avait tenté d’oublier. Ne lui restaient que des images glaçantes, figées dans sa mémoire. […]
Il fallait courir sans cesse, prendre les tensions, distribuer les médicaments, retourner une patiente pour la toilette, faire avaler le repas mixé, changer les draps, asseoir au fauteuil les plus vaillants, et tout cela avant midi pour les vingt-trois malades de l’unité. Au moins, aux urgences, elle ne voyait les patients que cinq minutes. Elle n’avait même pas besoin de les regarder dans les yeux : ils étaient plus faciles à oublier. D’ailleurs elle dormait mieux depuis qu’elle travaillait ici. »

Camille va aux anniversaires / Isabelle Boissard

J’avais découvert Isabelle Boissard grâce à la sélection des 68 premières fois pour son premier roman « La fille que ma mère imaginait ». Je retrouve avec plaisir la plume originale et humoristique de l’autrice.

Elle nous raconte l’histoire de Camille, 52 ans, revenant à Paris pour voir ses amis et organiser une fête d’anniversaire surprise à Bianca, l’amoureuse de son meilleur ami, Christophe. Ce dernier a tout prévu pour essayer de redonner le sourire à Camille. Son mari vient de la quitter pour une autre femme, une Danoise. Leurs deux filles sont grandes. Elle ne travaille pas. Elle a suivi son mari à l’étranger. Elle est une conjointe d’expatrié. Elle se retrouve à se questionner sur sa vie et son futur.

Elle dégomme les travers de notre société. Tout le monde en prend pour son grade, enfin surtout les Bobos. Camille évolue dans un entourage qui n’a pas de problèmes financiers. Chacun affiche son bonheur sur Instagram. Ce réseau social est le fléau de nos vies d’après Camille. Il y a de nombreuses formules à l’encontre d’Instagram. Isabelle Boissard a le sens de la formule qui fait mouche !

Un chapitre représente une journée et une célébration est indiquée pour ce jour. Exemple : « Lundi 26 avril Journée de la secrétaire au Nicaragua ». Les journées sont découpées en fragments et alternent avec des citations. Sans oublier la Nicorette, qu’elle prend régulièrement. Camille essaye d’arrêt de fumer. Elle a une mauvaise toux et doit consulter. Son séjour à Paris est l’occasion de passer quelques examens médicaux à reculons. Elle revoit de nombreux amis qui l’accompagnent dans ses démarches et réflexions. Il y a même de l’amour dans l’air, mais chut je ne vous en dévoile pas davantage.

Camille est drôle, pratique l’autodérision, philosophe aussi, dit les choses comme elle le pense aux lecteurs et c’est savoureux.

Après Paris, elle nous emmène en Bretagne, à Saint-Astres, au bord de la mer où réside le père de Bianca pour organiser l’anniversaire surprise. Elle y rencontre diverses personnes et une chienne qui l’aident à se reconstruire.

Merci à Babelio et Les Avrils pour cet excellent moment de lecture !

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« Dimanche 18 avril
Journée internationale des monuments et des sites
– A l’heure du consentement, est-ce bien raisonnable de prendre quelqu’un par surprise en lui organisant son anniversaire ?
Il m’a répondu qu’elle en rêvait. Elle lui en avait organisé un, ça devait forcément dire qu’elle en voulait un elle aussi, d’anniversaire surprise. »

« Vraiment c’est le problème avec les réseaux sociaux, on se compare à trop haut, trop brillant, mieux vaut regarder un abat-jour droit dans les yeux que de fixer le soleil, ça fait moins mal aux yeux. Nicorette. »

« Sœur Emmanuelle aimait demander aux gens qu’elle rencontrait :
– Et toi, tu fais quoi pour les autres ?
Réponse probablement la plus charitable :
– Je ne les fais pas chier. »

« Instagram tue
Instagram nuit gravement à votre santé et à celle de votre entourage
Instagram rend jaloux et provoque des passages dépressifs
Instagram rend narcissique
Votre médecin ou votre pharmacien ne peut pas vous aider à arrêter
Protégez les enfants : ne leur faites pas respirer votre Instagram
Instagram crée une forte dépendance, ne commencez pas
Arrêter Instagram réduit les risques de comparaisons mortelles
Instagram peut entraîner une mort lente et douloureuse
Il n’y a pas de numéro de téléphone pour vous aider à arrêter
Instagram réduit votre temps de vie
Instagram contient de l’ego, du narcissisme, du bien-être, du consumérisme, du formatage et du cyanure de divertissement
Fumer augmente les risques d’Instagram
Existe-t-il des Nicorette pour se sevrer des réseaux ?
*
Les avertissements seraient accompagnés de photos de personnes déprimées sur leur canapé, téléphone à la main, et pourquoi pas d’enfants à la recherche du regard de leurs parents. »

« Alors pour la journée internationale de la terre nourricière, qu’on pourrait colorer de Elephant’s breath ou Mole’s breath, notre Nouffe veut nous alerter. Elle nous supplie, elle nous conjure d’arrêter de consommer à tort et à travers. Elle rappelle que le bonheur, ce n’est pas de posséder une grosse voiture. Elle philosophe et pose la question : honnêtement, quel produit changerait votre vie ? Elle précise et reformule : quel produit changerait VRAIMENT votre vie ? Moi je répondrais bien un sac Isabel Marant, des bottines La Gardiane, une crème anti-rides La Mer, mais j’avale ma salive. Elle a raison, ça ne changerait pas vraiment ma vie. Elle a dû faire latin en option la Nouffe parce qu’elle enfonce le clou à coups de locution latine : aujourd’hui, on voudrait tout hic et nunc – qui ne sont pas des noms de cochons d’Inde d’un quelconque Disney, non, hic et nunc, ça veut dire « tout et tout de suite ». Elle finit sa publication en nous implorant de ne pas nous rendre dans les centres commerciaux, mais plutôt en forêt. En tout cas, elle, elle y sera, avec son amoureux et ses bottes en plastique Hunter à 200 boules et son bonnet mi-alpaga mi-poils de chèvres élevés en plein air et son pardessus Agnès A, parce qu’il n’y a pas de planète B. Et comme à son habitude du samedi, elle nous conseille un livre, aujourd’hui, c’est relire Giono et ressentir la mélodie du monde. Rien que ça.
*
Instagram, c’est un putain de Jokari. Je suis une balle en caoutchouc attachée à un socle par un élastique qui, après avoir été frappée, revient. Instarissable. »

La vie heureuse / David Foenkinos

Ce roman est construit en 3 parties avec des chapitres courts qui s’enchaînent. On suit la vie d’un homme, Eric Kherson que son entourage perçoit comme quelqu’un d’absent de lui-même et des autres. Une sorte de mélancolie le caractérise. Il fuit, se sent en décalage.

Il est divorcé. Son fils vit avec son ex-femme. Il le voit peu et le regrette mais ne fait rien pour changer les choses. Sa relation avec sa mère est compliquée. Il sent qu’elle lui reproche la mort de son père. Peu à peu l’auteur dévoile le passé de son personnage principal et les choix qui ont orienté sa vie.

Éric a gravi les échelons de l’entreprise Décathlon. Une ancienne camarade de lycée le contacte via un groupe Facebook pour lui proposer de travailler avec elle. Amélie Mortiers est directrice de cabinet du secrétaire d’État au Commerce extérieur. Ils partent à Séoul pour défendre la candidature de la France pour l’implantation d’une entreprise coréenne à Mulhouse. Sur place rien ne se passe comme prévu. Éric y découvre le concept Happy Life qui organise de faux enterrements. Éric rédige son épitaphe et une notice biographique, puis il pose pour la photo de son cadre mortuaire. Il s’allonge ensuite dans son cercueil. Le couvercle est fermé et l’expérience peut commencer. Éric en ressort changé et sa vie également.

On a tous envie de changer de vie, de faire quelque chose qui sorte de l’ordinaire, de faire une expérience unique, d’être heureux. Les lecteurs pourront facilement s’identifier à cet homme.

J’aime beaucoup la plume de David Foenkinos. Il a le sens de la formule et de belles analogies entre le roman et la vie. Il a une bienveillance pour son personnage qui fait du bien. C’est un écrivain généreux avec des histoires humaines. Ce livre a un côté feelgood tout en nous amenant à la réflexion. J’ai dévoré ce roman et je vous le recommande si vous voulez passer un bon moment de lecture.

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« Éric Kherson appréhendait toujours de prendre l’avion. Il dormait en général assez mal la veille du voyage, se laissant dériver vers les pires scénarios possibles, imaginant tout ce qu’il laisserait derrière lui après sa mort violente dans un crash. Mais le désir d’ailleurs demeurait plus fort que la peur, dans ce combat incessant entre nos pulsions et nos frayeurs. »

« La fuite avait été une sorte de remède. Il s’était alors offert l’illusion d’être la première page d’un roman. »

« Il n’avait pourtant jamais cessé d’éprouver un sentiment de culpabilité. Une amie lui avait dit un jour : « Éric, ne te reproche rien. Tu sais, nous sommes tous coupables de quelque chose. » Il avait été surpris par cette affirmation. Elle tentait d’atténuer ainsi sa douleur, bien sûr. A l’en croire, aucune destinée humaine n’était à l’abri des mauvais choix. »

« La relation avec son fils était bien trop épisodique ; parfois, il lui semblait manquer des étapes de son évolution, un peu comme on ne saisirait pas vraiment le sens d’un roman dont on sauterait trop de pages. »

« Eric avait bien retenu l’essentiel : il devait paraître enthousiaste, savoir accueillir le moindre contrat avec une joie sans mélange. Mais, pour un homme qui n’a plus vraiment l’habitude d’afficher le bonheur sur son visage, ce n’était pas chose aisée. Il lui arrivait parfois de déclencher un sourire à un moment peu opportun, comme quelqu’un qui ne maîtriserait pas tout à fait un véhicule fraîchement acheté. »

Forum du livre de Saint-Louis 2024

Retour sur l’ouverture et l’inauguration du 41ème forum du livre de Saint-Louis.

J’ai assisté à une partie du live drawing avec Eruthoth. Puis quelques achats de BD à lire avec ma fille et le roman d’Emma Doude Van Trootstwijk qui me faisait de l’œil depuis un moment, un peu de poésie avec Claire Audhuy, et un livre de la sélection du Prix Orange du Livre que je n’ai pas encore lu.

Impossible de passer devant le stand de Black Owl Studio sans s’arrêter. J’ai choisi 2 pins, un pour moi et un pour ma fille. Leurs sculptures de mandragores sont magnifiques. Ils sont basés à Mulhouse et ils ont une boutique en ligne. Avis aux fans d’Harry Potter, il y a des idées de cadeaux fort sympathiques.

J’ai reçu récemment mes contreparties de la campagne ulule pour le 2ème roman des aventures de Sherlock Holmes. L’occasion de faire dédicacer le livre par son auteur, Jérôme Hohl, et de faire un coucou à son éditrice Astrid Franchet.

Le président de cette édition est Sorj Chalandon. J’ai beaucoup aimé son discours lors de l’inauguration. Trois prix ont été remis hier soir :

  • le prix jeunesse de la BD à James Christ pour Totem édité chez Milan dans le label Bande d’ados (ma fille a dévoré le 1er tome ce matin et me réclame le 2ème !)
  • le prix des Romancières à Camille de Peretti pour L’inconnue du portrait (Calmann-Lévy)
  • le prix du Lys à Anne Debiane pour Quand la souris joue avec le chat (Bastian)

Le forum se déroule aujourd’hui et demain. Le programme est alléchant. Il y a notamment un spectacle avec Lisette Lombé, un autre avec Eric-Emmanuel Schmitt et un grand entretien avec Sorj Chalandon. Des auteurs pour la jeunesse et pour les adultes, il y en a pour toute la famille. Bref, si vous êtes dans le coin, ce serait dommage de ne pas y faire un tour !

Retrouvez toutes les photos sur mon compte Instagram.

La soirée de remise du Prix VLEEL 2023

De retour de Paris, je partage avec vous mes photos et mes impressions sur cette magnifique soirée du 13 avril 2024 au café Delaville. Toutes les photos sont sur mon compte Instagram.

C’était un plaisir de retrouver l’équipe VLEEL en chair et en os ! Mais aussi des visages de vleeleurs, blogueurs et blogueuses avec toujours le même bonheur de pouvoir parler de livres et de littérature avec des passionnés.

Une soirée très classe animée par notre maître de cérémonie Anthony Lachegar ou @serial_lecteur_nyctalope sur Instagram. La remise du prix a été un moment émouvant. Félicitations encore à : Florent Oiseau, Isabelle Amonou, Eloi Audouin-Rouzeau, les éditions Au Diable Vauvert, Dalva et Phébus. Trois excellents romans que j’ai aimés et que je vous invite à lire si ce n’est pas encore fait !

Nous avons pu discuter avec les auteurs et éditeurs présents : les éditions Emmanuelle Collas, Bruno Doucey et Muriel Szac, Alexandra Koszelyk, Anouk Lejczyk, Stéphane Carlier, Agnès de Clairville, Charles Roux entre autres. J’en ai profité pour faire dédicacer les livres des autrices et auteurs présents. Ouvrages qui constituaient la moitié de ma valise !

Ma fille n’aurait manqué pour rien au monde cette soirée. Elle avait à nouveau pour mission d’être la main innocente pour le tirage de la tombola. J’avais cousu une dizaine de pochettes à livres pour cette occasion. Pas de lot gagné pour moi cette année. C’étaient de très beaux lots avec plusieurs livres, une pochette à livres et/ou de la papeterie des ateliers d’Albion.

Le lendemain nous nous sommes retrouvés pour un brunch et un petit tour au festival du livre de Paris bien évidemment. Étonnamment je n’ai acheté qu’un seul livre et c’était pour ma fille ! J’ai rencontré des anciens jurés du Prix Orange du Livre. J’ai revu Stéphane Carlier, Justine Collas et Muriel Szac. J’ai flâné près du stand du Tripode et des éditions du Sonneur, deux éditeurs chouchous situés l’un à côté de l’autre. J’ai admiré bien sûr la Tour Eiffel à travers la grande paroi vitrée.

Nous sommes rentrées avec plein de souvenirs et l’envie de revoir très vite tous les vleeleurs.

Odette Froyard en trois façons / Isabelle Monnin

Ce roman commençait très bien et puis j’ai peiné, trouvé quelques longueurs, je me suis perdue dans les digressions. Je me suis accrochée et j’ai retrouvé la force du début qui m’a emportée jusqu’au bout du livre.

Isabelle Monnin raconte comment lors d’une période de confinement (durant la covid), elle s’est retrouvée à faire des recherches sur sa grand-mère, Odette Froyard.

Elle se remémore des souvenirs d’enfance pleins de tendresse, les expressions de son aïeule, ses manies. Bien qu’elle l’ait côtoyée 22 ans, elle se rend compte qu’elle ne la connaît pas. Alors elle se tourne vers les enfants de sa grand-mère et les interroge. Elle découvre qu’Odette et ses frères et sœurs ont vécu une partie de leur enfance dans un orphelinat franc-maçon à Paris après la mort de leur père. Des documents d’archives et des photos sont insérées dans les pages. Véritable enquête, Isabelle Monnin tente de faire un portrait de cette femme « invisible », au service de tous, active, infatigable et parlant peu.

L’histoire prend peu à peu une autre allure et nous emporte à travers le XXème siècle, jusque dans les camps de concentration. Découpé en 3 parties inégales, le roman raconte l’histoire d’Odette Froyard en trois façons, comme le dit le titre. Le mystère autour de cette femme s’éclaircit et l’autrice nous révèle ses secrets. Ou comment la vie ordinaire d’une femme devient fiction !

Quitte ou double pour ce livre, soit il vous passionne soit il vous perd en cours de route ! J’ai été séduite par la plume et j’ai relevé de nombreuses phrases mais sans la sélection du Prix Orange du Livre 2024, je l’aurais très certainement abandonné. D’une lecture exigeante, il risque de ne pas toucher tous les lecteurs malgré ses qualités.

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« Elle était morte depuis près de trente ans lorsqu’elle réapparut soudain dans ma vie. Avant cela, elle avait été une défunte tout ce qu’il y a de plus calme, fidèle à la femme que nous avions connue, laissant en paix ceux qu’elle avait quittés au terme d’une vie dont ils disaient volontiers qu’elle avait été sans histoire. »

« Peut-être a-t-on besoin du silence du monde pour voir l’invisible. »

« Je ne le perçus pas immédiatement mais c’est à cet instant qu’Odette Froyard se glissa dans mon esprit. Un battement, de paupière ou de cœur, et elle fut là, c’est ainsi qu’opèrent les idées. D’abord furtives puis insistantes, certaines s’installent jusqu’à l’obsession. »

« Que se passe-t-il lorsqu’il ne se passe rien d’autre que la vie qui passe ?
Existe-t-il des vies qui ne valent rien ? »

« A part un vase d’un marron douteux qui m’échut à sa mort, je n’avais rien gardé de matériel qui lui eût appartenu. Me restaient les souvenirs. Ils étaient là, quelque part dans ma boîte crânienne, rangés sous un mystérieux amas neuronal. Il fallait que j’en trouve le chemin d’accès. »

« Je l’avais connue de ma naissance à sa mort. L’espace-temps de notre relation était bien circonscrit. 1971-1993, vingt-deux ans durant lesquels, avec une régularité de chemin de fer, nous nous retrouvions chaque week-end et lors des congés. »

« Penser à elle faisait monter dans ma poitrine une sensation indéfinissable de tendresse, de réconfort, la certitude d’être aimée dans cet endroit qu’elle constitua pour l’enfant approximative que je fus. »

« Cela me frustrait. Il ne suffisait pas de vouloir se rappeler pour se souvenir. »

« Elle parle peu, et souvent par formules toutes faites, expressions désuètes qui nous enchantent car nous pouvons les reprendre dans nos jeux.
Allô j’écoute
Bonsoir bonne nuit
Pousser mémère dans les orties
Quel toupet
ça sent la cocotte
Cause toujours tu m’intéresses
Oh, ben y a rien à dire
Je souffre des jambes
Motus et bouche cousue
Souffler n’est pas jouer
Allez allez on n’en parle pas
 »

« J’avais si peu de choses à raconter d’elle, j’étais fâchée contre moi. Dans mes mains vides s’agitaient, telles des anguilles minuscules et gluantes, plus de questions que de souvenirs. »

« Il n’y a de femme invisible que pour eux qui regardent mal. »

« L’idée qu’Odette Froyard (mais n’importe qui d’autre aussi) avait pu passer sa vie dans l’ombre sans laisser d’empreinte me martyrisait. »

« Je notais tout, comme des indices, telle une enquêtrice en imperméable Le moindre détail pouvait mener à la révélation de l’énigme. Rien ne devait être négligé, c’était souvent dans les inaperçus que se cachaient les explications. Je me sentais chargée d’un cold case. Odette Froyard était portée disparue. Elle s’était évaporée bien avant sa mort, diluée dans le long silence qu’elle gardait. Ce n’était pas qu’elle avait été tuée, c’était plutôt qu’elle avait été empêchée d’exister. »

« Certains vacarmes enfantent de longs silences opaques. »

« Chaque famille est un mensonge.
Par pudeur lâcheté aveuglement, on cache les nœuds, on ne dit pas ce qui compte et on ne raconte que la surface des anecdotes, ad libitum pour couvrir les vacarmes enfouis. Chaque famille est un mensonge qui se transmet de vie en vie, de siècle en siècle. Mais dans les doubles fonds des anecdotes se glissent les non-dits.
Parfois la nuit ils nous regardent fixement droit dans les yeux et nos cœurs paniquent.

De quel mensonge étais-je l’héritière et la passeuse ?
Odette Froyard ne disait rien mais j’entendais tout sans le savoir. »

« J’étais un peu sonné : les coïncidences, qu’on trouve quand on les cherche, m’attachaient aux gens et aux dates, c’était comme ça depuis quelques années et hors de toute rationalité. Nous étions toutes deux assises au bord d’un trou vertigineux, à jeter des cailloux en espérant vaguement que l’écho réponde à des questions que nous n’étions pas certaines de savoir formuler. »

« L’histoire était essoufflante. J’étais partie à la recherche d’Odette Froyard et je rencontrais un homme qui avait fait échouer le projet de rendre invisible la mise à mort industrielle de millions de personnes. L’invisibilité et son complice l’aveuglement ne gagneraient pas. »

« Odette est triste mais ne le montre pas. Son frère ne lui manquera pas si elle ne le dit pas, ce que l’on ne dit pas n’existe pas, ça marche pour tout. »

L’amour s’accorde avec la nuit / Quentin Biasiolo

Un garçon de 13 ans entre-aperçoit une fille, Salema, et décide de lui écrire. De leurs échanges épistolaires naît une histoire d’amour. Salema est très protégée par sa famille. Elle ne peut sortir comme elle veut. Ces deux adolescents sont attachants. On s’amuse à suivre leurs aventures, la façon dont ils contournent l’interdiction de se voir.

L’auteur excelle à raconter les sentiments amoureux et les tourments de l’adolescence. On sent la tension du désir monter entre les deux personnages.

Peu à peu le roman prend un ton plus grave et aborde le thème de la religion et de la différence culturelle plus largement. Est-ce que vous vous convertiriez à une religion dans une sorte de compromis pour le bien de votre couple ?

On pense forcément à Roméo et Juliette, dans une version contemporaine. Ce roman est écrit à la première personne, du point de vue du jeune homme, quelques années après leur histoire. On ne sait pas trop comment elle se poursuit mais on imagine aisément une fin possible.

J’ai aimé l’écriture fluide et surannée de Quentin Biasiolo. Le langage n’est pas celui des jeunes que l’on croise de nos jours. Vous ne lirez pas d’expressions ou d’abréviations de type SMS. Si vous aimez les histoires d’amour et les belles écritures, ce roman est pour vous ! Pour ma part, ce fut un bon moment de lecture et je remercie l’auteur pour l’envoi de son livre.

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« J’étais à cet âge, un adolescent quelconque, un enfant presque. A treize ans, est-on d’ailleurs plus proche de l’adulte ou de l’enfant ? Naturellement, je ne me posais, à cette époque, pas ce genre de questions et c’était de la façon la plus immédiate que j’adhérais à mon existence, à cette vie ordinaire qui était la mienne quoiqu’elle eût pu – tant elle n’était qu’une forme vide que rien ne spécifiait – être celle, au fond, de n’importe qui. »

« La lettre prenait donc son temps pour établir la situation. Difficile situation. Non négociable. En somme, ces quatre pages constituaient déjà une clarification des bases de notre relation qui n’avait pourtant pas même commencé. C’est qu’elle se voulait prudente, jusqu’à se montrer craintive, et cela prenait lentement la forme d’une procédure. Elle ne voulait pas se fourvoyer ni que je me fourvoie moi-même – tenant à être claire dès le début. Les bases posées, il me revenait de choisir – accepter ou renoncer. Dans l’hypothèse où j’accepterais, je saurais alors à quoi m’en tenir – une relation à distance, avec peu de possibilités de rencontre, et toujours de façon incertaine et furtive. C’était consentir à n’être jamais tranquille – voué à une vie d’interdits, une vie aux aguets. »

Disparition inquiétante d’une femme de 56 ans / Anne Plantagenet

Anne Plantagenet brosse le portrait de Letizia Storti qu’elle a rencontrée lors d’un tournage du film de Stéphane Brizé, « En guerre », en 2017. A ce moment-là Letizia avait 51 ans et était ouvrière dans l’entreprise pharmaceutique UPSA depuis plus de 30 ans. Elle était représentante syndicale au sein de Force Ouvrière. C’est avec cette expérience qu’elle s’est présentée au casting d’acteurs non professionnels et qu’elle s’est retrouvée aux côtés de Vincent Lindon. Elle ira même à Canne pour la sortie du film. Anne et Letizia gardent contact et s’envoient des messages. Elles ont en commun des racines italiennes.

Et puis en 2022, Anne apprend la disparition de Letizia ou plutôt « la disparition inquiétante d’une femme de 56 ans ». Elle décide d’essayer de comprendre ce qui est arrivé à Letizia. Elle constate sa chute, la façon dont elle a été maltraitée psychologiquement dans son travail par ses cadres et le service des ressources humaines, jusqu’à sa tentative de suicide sur son lieu de travail.

Avec une très belle plume, elle rend hommage à cette femme qui voulait continuer à travailler et qui était bien plus que le portrait fait par les médias. Ce livre tente de dire qui elle était et de ne pas l’oublier.

Un court récit touchant qui questionne sur le monde du travail et la pression exercée sur les employés. Cette histoire rappelle d’autres suicides dans d’autres grandes entreprises. Le système managérial a-t-il évolué depuis ?

Je remercie Babelio et les éditions du seuil pour cette lecture
Ce livre sort aujourd’hui en librairie !

Note : 4 sur 5.

Prologue :
« C’est sur un plateau de cinéma que je l’ai rencontrée, fin 2017. Plus exactement, que je l’ai vue pour la première fois. »

« Je veux savoir. Comprendre ce que j’ai raté, à côté de quoi je suis passée. Ce n’est pas une question de culpabilité, de remords, je ne me dis pas que j’aurais pu faire quelque chose, l’empêcher de passer à l’acte. Pas du tout. Ce n’était pas mon rôle, sans doute. Et c’est trop tard, de toute façon. Mais je peux peut-être agir quand même, d’une certaine manière. Je ressens un malaise grandissant à la lecture de tous ces communiqués, ces articles, ces déclarations dans la presse. J’ai l’impression qu’ils ne parlent pas de Letizia, de Letizia Storti, de sa trajectoire spécifique, de son histoire unique, de ce qui fait sa singularité et la distingue de toute autre personne. »

« Sa disparition semble le point d’orgue d’une existence passée à lutter contre l’effacement. »