Voici un livre très touchant lu dans le cadre du Prix Orange du Livre.
L’auteur raconte la mort de sa mère, survenue à l’âge de 68 ans, due à un cancer. Il raconte avec une certaine dérision toutes les démarches administratives effectuées avec son père et son frère, notamment les pompes funèbres, la cérémonie, etc. Ce n’est pas du tout larmoyant, parfois émouvant mais écrit avec beaucoup d’humour, humour transmis par sa mère. On l’entend rire à travers les mots de son fils.
J’ai eu l’impression qu’un ami me racontait simplement, avec justesse et sincérité, qui était sa mère. On découvre vers la fin du livre quel pourrait être le secret de sa mère. Elle a mis de côté sa vie de femme, pour se concentrer sur sa vie de mère, le rôle de sa vie. A partir de ce moment, « il ne doit plus jamais rien [lui] arriver ». Il égrène les souvenirs d’enfance et rend un bel et tendre hommage à sa famille.
S’il faut bien retenir une chose c’est que nous ne sommes pas tous égaux devant la mort. Chacun aura une réaction différente. Mais au final c’est bien de la vie qu’on parle à travers ce deuil.
Il s’agit du premier roman de Mathieu Persan, qui est également illustrateur et a réalisé la magnifique couverture du livre. Un auteur que je suivrai assurément.
Incipit :
« Il était quatre heures quarante sur l’avenue de Paris. Nos talons frappaient le trottoir à des rythmes différents mais nous marchions comme un seul homme. Mise à part notre présence incongrue à cette heure tardive, rien ne venait troubler le calme de cette douce nuit de printemps. »
« Et puis, comme elle m’avait dit un jour, au début de son cancer, en rigolant :
– Je fume, je picole, et ça m’arrive par les ovaires. Eh ben, j’ai bien fait de fumer et de picoler toute ma vie ! »
« Tout a été très vite, ensuite. Le mariage, les enfants, la retraite, le cancer et la mort. Et il ne lui est plus rien arrivé. »
« Ces traditions, qui tenaient plus de la superstition qu’autre chose, ma mère les a apprises, les a absorbées et a continué à les faire vivre. Ce n’était pas son héritage, mais elle a embrassé cette culture pourtant si différente avec enthousiasme. Elle a même été jusqu’à apprendre à faire quelques plats traditionnels avec mamie :
– Alors, ma fille, vous allez voir c’est très simple, on va faire le pain. Vous allez d’abord prendre une bassine.
– Une bassine ? Vous voulez dire le grand saladier là-bas ?
– Oui oui, ma fille, la bassine, là-bas, c’est ça. Alors vous faites le levain avec un verre d’eau chaude.
– D’accord, ça fait combien d’eau à peu près ?
– Ben, un verre, ma fille.
– Oui, mais ça dépend de la taille du verre, un grand ? un petit ?
– Mais non, ça dépend pas, ma fille, un verre c’est celui-ci, c’est tout. On prend ce verre.
– D’accord, un verre de cuisine standard, donc.
– Ne compliquez pas les choses, ma fille, on prend ce verre, on prend toujours le même, c’est simple ! Ensuite, vous allez prendre de l’huile et vous allez faire quatre tours.
– Quatre tours ?
– Oui, quatre tours. Vous prenez la bouteille et vous laissez couler en faisant quatre fois le tour de la bassine, c’est simple, ma fille, vous allez voir.
– Mais ça fait combien, parce que ça dépend de la taille de la bassine et du débit d’huile quand même ?
– Mais non, ça dépend pas, ma fille. Ça dépend pas, on prend toujours la même, de bassine, c’est comme le verre. Ensuite vous allez mettre un peu de sucre et la même quantité de sel plus un peu.
Ah, ça la bousculait, maman. Tout son petit monde scientifique bien rangé, toutes ses lignes bien droites, elles se voyaient courbées, affinées, adoucies par sa belle-famille. »
« Y a des règles ? Des convenances à respecter ? Des fautes de goût à ne pas faire ? Il y a de la littérature sur le sujet, qu’on puisse potasser un peu avant de se décider ? Mais bordel, dites-nous ! On n’y connaît rien, à la mort. On nous a appris à vivre. Parce que, vous en conviendrez : la vie, on nous aurait donné le choix, je ne suis pas sûr qu’on aurait tous sauté le pas. »
« J’ai toujours eu tendance à croire que je voyais clair dans le jeu de ma mère. Elle m’avait transmis un certain nombre de ses angoisses, de ses craintes, de ses névroses peut-être. Nous avions partagé un temps les mêmes antidépresseurs, et je pensais la percer facilement à jour, avoir compris ses choix de vie, ses bonheurs et ses peines. Je croyais voir en elle comme dans l’eau claire. J’ignorais, ou je feignais de ne pas voir ce qui se trouvait au fond, tapi sous la vase, que mon père, par une simple parole, avait remuée. Il a dû lui arriver quelque chose. C’était la face cachée du « Il ne doit plus jamais rien m’arriver. » »
« Maman me disait toujours : « Oh, mais tiens-toi bien, on dirait loncrafayelle ! » Et moi, petit, je pensais que c’était une expression, loncrafayelle. Que si je cherchais dans le dictionnaire, à la lettre L, je trouverais bien quelque chose – mais autant ne pas regarder parce que ça avait l’air un peu dégueulasse. Comme je l’ai compris en grandissant, loncrafayelle, c’était en réalité l’oncle Raphaël. Et ce gars-là, il avait réussi le prodige de manger tellement salement que des décennies plus tard, on se souvenait encore de lui. Perdu dans l’arbre généalogique, sans doute au bout d’une branche oubliée, l’oncle Raphaël était resté vivant pour toujours.[…]
Et maman, qu’est-ce qui restera d’elle quand on sera tous morts ? Quand on retrouvera son pendentif en forme de cœur au fond d’une boîte, est-ce qu’on sera capable d’en raconter l’histoire ? »
« Qu’est-ce qu’on racontera de maman ? Maman a traversé la vie au service des autres. Elle a occupé le monde en prenant bien soin de ne pas le déranger, et, comme une jeune fille bien élevée, de le laisser en partant comme elle l’avait trouvé. »
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