Les éditions du Tripode ont entrepris de rééditer toute l’œuvre de Mathieu Belezi. Il s’agit donc ici du premier roman de l’auteur, paru en 1998 initialement aux éditions Phébus et actuellement indisponible. Le texte n’a pas été retouché et il reste très cohérent.
J’avais adoré « Attaquer la terre et le soleil », paru en 2022 au Tripode et qui a reçu le Prix littéraire du Monde. Je n’ai donc pas hésité une seule seconde pour plonger dans ce livre en espérant retrouver la sublime écriture de Mathieu Belezi.
Mathieu, 12 ans, est confié à son grand-père maternel pour deux ans. Ses parents se déchiraient devant lui alors qu’il n’était qu’un enfant. Cette période l’a forcément marqué et ressortira sous forme de colère et de cruauté. Des scènes de violence conjugales passées surgissent dans le présent et se mêlent au texte. Le matin, il prend son vélo pour aller dans un collège catholique. Au père Tronc il préfère dire que ses parents sont morts. Et puis il se défoule sur son camarade de classe Parrot ou encore le chat. Raconté à la première personne, le lecteur vit et ressent la même chose que Mathieu.
C’est un garçon révolté. Il refuse de lire les lettres envoyées par sa mère, mais il n’espère qu’une chose, la revoir. En attendant, il se construit une cabane, il s’occupe des animaux de la ferme et du jardin avec son Papé qu’il adore. Une vie simple à la campagne, qui se déroule a priori dans les années 1950.
Il est aussi beaucoup question du corps, Mathieu devient un adolescent préoccupé par les filles dont le désir s’empare de son corps et de son esprit.
Il y a de magnifiques et poétiques descriptions de la nature. Les saisons défilent dans la garrigue. Bref l’écriture est sublime. Les émotions, les sensations et les sens constituent ce texte. D’ailleurs la fin est terrible et surprenante. Elle reprend la première phrase du roman : « Finissons-en ».
Un roman court, âpre, puissant et émouvant. Un classique !
Mention spéciale pour la magnifique couverture illustrée par Martin Zanollo.
Merci VLEEL et Le Tripode pour cette lecture.
Ne manquez pas le replay de cette rencontre exceptionnelle !
Incipit :
« Finissons-en.
Mon père ou ma mère, un jour de valse, serra un peu plus fort qu’il n’était permis le corps dansant de l’autre. Cela suffit. Au temps où la province ne rêvait que de mariage, un rien était prétexte.
C’est dans cette étreinte de bal que commence l’idée de mon existence. »
« La porte de la cuisine est ouverte, mon bol est sur la toile cirée, quatre tartines beurrées sont empilées à côté de la cuillère. Il n’y a plus de feu dans la cheminée.
– Papé !
J’entends sa voix qui me répond ; lointaine, elle entre par la porte avec les trilles d’oiseaux revenus on ne sait d’où, avec des odeurs grasses de terre et d’eau, et le filet aigre-doux de la rosée. »
« A la cantine il faut d’abord prier avant de manger. Ensuite, les pommes de terre ont ce goût de prière, la viande, le pain, tout. »
« Rien ne va plus, l’ivresse d’une rage sans objet m’envahit et tourne en moi comme un bourdon empiégé donnant de la tête contre les murs. »
« je restais à proximité de sa jupe qu’une de ses mains lissait machinalement, je sentais que tout pouvait recommencer, qu’elle n’en avait pas fini avec la haine, que c’était même sans fin »
« Je voudrais que mes parents soient morts.
Dans le champ gelé que fréquentent les corbeaux je joue l’épouvantail. Debout, le corps camouflé par un sac de pommes de terre percé de trois trous, je me fige les bras en croix. Il fait si froid que j’espère voir le sang cailler dans mes veines.
Le soleil me tourne autour, découpe sur les labours une ombre qui n’est pas mienne, que je viens d’inventer pour le besoin de me faire du mal. Les corbeaux posent un œil méfiant sur mes hardes, sautent sur leurs pattes, croassent, déploient de lourdes ailes pour retomber mollement un peu plus loin. Noirs sans nuance, dans le miroir de ce jour que la terre et le ciel illuminent, ils sont l’expression d’une douleur que je ne peux pas nommer. »
Un avis sur « Le petit roi / Mathieu Belezi »