Attaquer la terre et le soleil / Mathieu Belezi

Vous connaissez ma passion pour les éditions du Tripode, ce livre faisait forcément partie de mes incontournables de cette rentrée littéraire. C’est le premier roman de Mathieu Belezi que je lis et il m’a totalement happée et bouleversée. C’est l’exact effet que je recherche en littérature, quand je lis les premières lignes d’un ouvrage.

Voici un très grand roman, fort et bouleversant. Un livre qui a, je pense, l’étoffe d’un classique. Un de ces livres qui marquent les esprits et transmettent aux générations suivantes l’Histoire. Ici, l’Histoire, dans toute son horreur, de la colonisation de l’Algérie au 19ème siècle.

Il y a deux points de vue ou narrateurs. Celui d’une femme, Séraphine, paysanne française, qui déménage avec son mari, ses trois enfants, sa sœur et son mari pour l’Algérie où l’État Français leur a promis un bel avenir de colon. La France a besoin d’eux pour cultiver les terres. Et celui d’un homme, un soldat, qui raconte leur vie de misère, leurs violences et massacres au sein des populations autochtones.

Bien évidemment, la vie n’est pas aussi belle que les colons se l’étaient imaginée. Elle va de cauchemar en cauchemar. Le froid puis la chaleur écrasante, le vent, les lions du désert, les maladies, tous les éléments se déchaînent sur eux. Sans oublier les pillards, les Arabes qui leur font sentir que leur présence n’est pas la bienvenue. Entre les phrases de Séraphine reviennent souvent les mêmes mots : « sainte et sainte mère de Dieu ». Dans le récit du soldat revient aussi régulièrement une expression : « Nous ne sommes pas des anges ».

La plupart des phrases ne se terminent pas par un point. Il y a peu de majuscules. Chaque paragraphe est une phrase que l’on lit en apnée tellement la situation racontée est inimaginable, intolérable. Il y a beaucoup de sang et de morts. Le livre en 152 pages condense l’œuvre de Mathieu Belezi, son obsession pour dire les faits sur ce passé colonial peu glorieux. Un texte éprouvant où le lecteur ne ressort pas indemne !

Un coup de cœur que je vous invite à lire au plus vite.

Ce roman a eu le Prix littéraire Le Monde 2022.

Note : 5 sur 5.

Incipit :
« J’ai pleuré
je n’ai pas pu m’empêcher de pleure quand nous sommes arrivés et que nous avons vu la terre qu’il allait falloir travailler
sainte et sainte mère de Dieu »

« il était loin le paradis que le gouvernement de la République nous avait promis, et on n’était pas près de l’atteindre, nous tous entassés sous les tentes militaires au milieu de nulle part, dans ce trou perdu que l’autorité militaire avait osé appeler colonie agricole, on n’était pas près de l’atteindre, et peut-être qu’on ne l’atteindrait jamais, ce paradis tant vanté, peut-être qu’on ne l’atteindrait jamais parce qu’il n’existait pas, qu’il n’avait jamais existé et qu’il n’existerait jamais, tout au moins pas pour des gens comme nous » 

« Nous ne sommes pas des anges
le capitaine n’a cessé de nous le brailler dans les oreilles, et nous le braille encore »

« – N’y aura-t-il donc jamais de justice sur cette terre ?
et en moi-même je me disais que la justice était un mot inventé par les riches pour calmer la colère des pauvres, mais que tout bien réfléchi ça n’existait pas la justice, qu’il fallait apprendre à vivre sans elle et accepter le sort que Dieu réserve à tout être humain qui pose les pieds sur la terre. »

« trois jours, j’ai dit, trois jours durant nous avons tous espéré un miracle, alors que ces trois jours n’ont servi qu’à renforcer les pouvoirs de la maladie que j’imaginais tapie comme une bête dans les parages de la palissade et qui, n’y tenant plus, a choisi le matin du quatrième jour pour se jeter sur nos familles, planter ses crocs dans nos chairs anémiées et dévorer nos pauvres vies »

« sainte et sainte mère de Dieu, si j’avais su ce qui nous attendait, nous autres colons »

4 commentaires sur « Attaquer la terre et le soleil / Mathieu Belezi »

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