Corps à corps / Arielle Sibony

Voici un premier roman fort et puissant sur le corps, la féminité, la maternité, la maladie et la mort. Rien de très gai je vous l’accorde, mais il est très bien écrit.

La structure repose sur les lettres de deux sœurs. L’une est atteinte d’une sclérose en plaques et perd peu à peu l’usage de tous ses membres. Elle devient paralysée et dépendante. L’autre sœur, Aurore, la plus jeune, danse et recherche la maîtrise de son corps. Elle est anorexique comme sa mère qui s’est très peu occupée d’elle. Sa mère ayant réclamée toute l’attention de son père, Aurore est en manque d’amour et sa grande sœur a été cette mère qui lui faisait défaut. La perte inéluctable de sa sœur lui cause une immense douleur.

La grande sœur, qui n’est jamais nommée, a un enfant, Elie. Aurore adore ce petit garçon et se projette après la mort de sa sœur. Elle lui sera dévouée comme une mère et s’occupera de lui. Mère, elle ne veut pas l’être. Elle refuse de voir son corps changer. Elle se révèle plutôt égoïste, fuyant la vue de sa sœur qui dépérit.

La voix des deux sœurs alterne et offre deux points de vue différents, deux caractères. L’écriture les aide à se libérer, à aller mieux. Ce roman aborde également la fin de vie et l’euthanasie. Quand la maladie l’emmure totalement, la grande sœur aimerait avoir le choix de mourir mais elle sait que personne dans son entourage n’aurait le courage d’accéder à sa demande. Toute sa famille préfère la garder en vie le plus longtemps possible.

Avec lucidité et un ton sarcastique, faisant parfois penser à l’humour yiddish d’Isaac Bashevis Singer, l’autrice interroge sans donner de réponses : comment survivre au malheur ?

Arielle Sibony est une jeune artiste et écrivaine. Elle aime susciter des émotions et des questionnements. Il faut préciser que ce roman n’est pas autobiographique. Il est totalement inventé et c’est assez bluffant. Elle s’est certes documentée sur la maladie, mais elle réussit à se mettre à la place des autres, ce qui lui permet dit-elle de « s’évader de sa vie ». Avec une écriture instinctive, elle offre un « livre juste et drôle sur la mort ». Son éditrice n’a pas retravaillé le texte et a préservé le « jaillissement » de son écriture. D’origine juive, la famille est également un thème qui la fascine. Lors d’une rencontre VLEEL, elle a parlé notamment de son père, Daniel Sibony, philosophe et psychanalyste, ainsi que de ses sœurs.

Si vous aimez les romans intimes, introspectifs, ressentir des émotions et que vous n’êtes pas dépressif, je vous recommande la lecture de ce roman qui a de nombreuses qualités.

Merci à VLEEL et aux éditions Michalon pour cette lecture

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« Si j’avais su que l’on pouvait mourir un jour, peut-être aurais-je alors mieux vécu. Si j’avais su que la verticalité pouvait céder, qu’un corps pouvait s’émietter et se désagréger tout entier, peut-être aurais-je alors mieux compris ce qu’il fallait accepter. »

« T’écrire me permet de te parler sans te toucher, t’ébranler sans te blesser. Je n’ai pas le courage, j’ai préféré fuir et te parler en secret, pour que tu ne puisses ni m’entendre ni me subir. Je crois que l’écriture a le pouvoir d’alléger les peines tout en consolant les cœurs. »

« Muette, oui, c’est ce que je sais le mieux faire. Et c’est peut-être pour ça, après tout, que j’ai voulu t’écrire en rentrant, muette, silencieuse, et pourtant je te parle. Là. Le pouvoir des mots écrits, c’est pouvoir être silencieux mais être capable de dire à la fois. 

« Si je t’écris, c’est aussi ma façon de te répondre. Car, oui, en partant, Jeanne m’a donné des notes que tu as récemment rédigées, lorsque tu le pouvais et que tes mains te le permettaient.[…]
Sais-tu que je t’ai lue ? Que je te lirai ? Probablement pas, sinon tu n’écrirais pas.
J’ai l’impression d’être sournoise et de te trahir, comme une vraie petite sœur indiscrète, et pourtant, si tu écris, c’est que toi aussi tu as eu besoin de dire, de parler pour encore exister. Comme c’est si bon de te parler, encore, et de t’écouter, toujours. »

« On réduit ses besoins à mesure qu’on les perd. Ce dont j’ai besoin, c’est d’un quart de bras. »

« Ce matin, j’ai remarqué que toute ma main s’était paralysée. Ça y est. Ma main droite tout entière, déjà. Hier pourtant, elle se mouvait encore un peu, et ce matin, la voilà endormie à jamais. Toute la main à l’exception de l’auriculaire. Quelle bonne nouvelle ! Et qu’est-ce qu’on peut bien faire d’un seul et unique auriculaire ? Ce doigt n’est utile que lorsqu’il est connecté à ses pairs. Alors, en le voyant remuer fébrilement, j’ai souris, à défaut de rire, ou de pleurer. Puis j’ai appelé Elie, pour faire un « bras de fer chinois » en substituant le pouce par l’auriculaire. Pic d’inspiration, comme il m’en vient souvent depuis que je suis chaque jour un peu plus enrayée. Oui, il faut de l’imagination pour continuer à vivre, mais on s’y habitue vite. Notre bras de fer était drôle, presque ridicule, mais j’étais fière et soulagée de montrer à mon fils que je pouvais encore faire quelque chose avec lui. Que je suis toujours sa partenaire, son acolyte, car depuis que je me momifie, il ne joue qu’avec le autres. Cette sclérose qui éteint chacun de mes membres un à un veille à ce qu’il ne me reste plus rien. »

« Peut-être qu’écrire fera de mon agonie silencieuse un enseignement, puisque, après tout, les écrits restent et resteront à jamais, eux. Les êtres humains sont comme les paroles, ils disparaissent comme ils sont apparus, après avoir produit quelques effets aussi inutiles qu’insignifiants, ils s’en vont comme ils sont venus. Sur cette Terre, rien ne reste, mais les mots, eux, subsistent et triomphent. L’écriture est immortelle. Voilà pourquoi j’écris, pour me donner de la vie. »

« Ce n’est que lorsque l’on voit la mort s’approcher, que soudain tout se libère, la tendresse, l’affection, l’amour enfoui se délie et on se laisse aller, on se laisse vivre et on se laisse enfin aimer. On donne tout ce qu’on a parce qu’on sait qu’il y aura une fin. Comme s’il fallait cette fin pour être sûr de ne pas trop donner avant. Mais donnez, bon sang ! Donnez, ça fait tellement de bien ! Aimez, montrez et partagez tout ce que vous avez, car elle viendra un jour, cette fin, c’est sûr et certain, et il ne restera plus rien. »

« Je te pleure déjà. Depuis que je t’écris, mes larmes sont ces mots, là, elles coulent sur le papier chaque jour en pensant à toi, en te parlant, en te serrant. Voilà que je pleure les mots que je ne te dis pas. »

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