Layla est une jeune femme réfugiée en France. Marie-Ange, l’assistante sociale qui l’aide dans ses démarches et dans son intégration, lui remet une convocation pour un « entretien individuel de naturalisation » en lui disant « tu dois être la jeune femme la plus heureuse du monde ». Mais Layla n’arrive pas à se réjouir. Sa vie à Paris et ce qu’elle y voit lui font douter de son objectif, devenir Française.
Elle décrit sa vie entre l’hôtel social insalubre où elle vit avec d’autres femmes, le Dorothy, et son travail au café de Mme Meng. Elle partage sa chambre avec Sadia, une Algérienne qui se fait appeler Nadia et s’entraine à parler avec l’accent Marseillais. Layla voit Sadia comme un tigre, une femme incroyable au caractère fort. Mais une nuit, elle découvre que Sadia se fait humilier contre quelques euros. Quelle vie leur offre la France ?
Les chapitres s’enchaînent avec un flot de critiques sur l’administration et la France de manière générale. Layla ne comprend pas pourquoi la Mairie de Paris veut fermer le manège de Momo parce que sa barbe est trop longue. Elle ne comprend pas pourquoi Claude, une vieille femme, aide-soignante retraitée, Française, se retrouve à la rue suite à l’effondrement de son immeuble à Bagnolet. Elle ne comprend pas pourquoi les délais pour être relogé sont si longs. Et puis elle ne comprend pas pourquoi il lui faut perdre son identité pour être naturalisée alors qu’elle a déjà perdu un pays et sa famille.
Tous les titres de chapitre commencent par « Sur ce qui… ». L’autrice utilise beaucoup les répétitions pour marquer son propos. Sous une fausse candeur, avec beaucoup de colère, elle dénonce toute l’aberration du système français. Elle fait le portrait très touchant d’hommes et de femmes. C’est un roman très humain et bourré d’humour, même si le propos est très unilatéral.
Dans cette satire, Leïla Bouherrafa témoigne de situations réelles qu’elle a entendues auprès de jeunes réfugiés à qui elle a enseigné le français. C’est un livre intéressant, très actuel et qui permet de changer de point de vue, de se mettre à la place de personnes en exil, dans un pays étranger dont il faut apprendre la langue, les mœurs et les coutumes.
Merci Lecteurs.com pour cette lecture
Prologue :
« Même une allumette peut provoquer un incendie. »
Incipit :
« Je rêvais souvent que j’étais une anguille.
C’était toujours le même rêve. Je regardais la mer, et cette mer était trouble et agitée quand, soudain, j’apercevais dans l’eau une anguille qui nageait à contre-courant en se faufilant, c’est-à-dire qu’elle ne nageait pas tout droit mais en zigzaguant, comme un serpent. »
« A la fin de notre rendez-vous, elle s’est levée pour me serrer la main et me raccompagner à la porte comme elle le faisait toujours, et c’est là que j’ai fait n’importe quoi.
Et c’est là que cette histoire a commencé.
Et c’est là que j’ai commencé à me disloquer.
Au moment de nous quitter, Marie-Ange m’a lancé : « A la semaine prochaine, jeune fille ! » et je ne sais pas pourquoi, sûrement à cause de l’anguille que j’avais dans la tête, ou bien de ce qui était écrit en grosses lettres noires sans poésie ni sentiment, je lui ai répondu l’une des pires choses à dire si l’on tenait à devenir français.
Je lui ai répondu : »Inch’Allah. »
« Inch’Allah », c’est une expression arabe qui signifie « Si Dieu le veut. »
Ça peut vouloir dire l’espoir.
Ça peut vouloir dire la fatalité.
Ça peut vouloir dire l’un ou l’autre, ou les deux à la fois, mais en tout cas vous pouvez être certains que c’est l’une des pires choses à dire si vous tenez à devenir français. Dès que j’ai réalisé mon erreur, je me suis reprise aussitôt et, mine de rien, comme si je n’avais pas dit ce qu’il ne fallait surtout pas dire une seconde plus tôt, j’ai lancé à Marie-Ange : « A bientôt ! », qui est une formule bien plus acceptable si l’on tient à devenir français. Mais c’était trop tard. Malgré son sourire, j’ai bien vu dans ses yeux de fourmi qu’elle pensait qu’il lui restait encore du boulot. »
« L’exil, c’est vivre en permanence avec une bombe à l’intérieur de soi. »
« J’avais menti au docteur Bailleul.
Tout me manquait. Et je manquais de tout.
De glucides comme d’amour.
D’amitié comme de fer.
Ce qui me manquait le plus, c’était ma mère restée au pays contre sa volonté, ma cousine Malika, mon cousin Jamil, mon oncle Farouk, et le ciel. »
« A part Momo, la plupart des clients qui fréquentaient son café étaient des types paumés qui donnaient tous l’impression d’avoir perdu quelque chose. Leur femme ou leur travail, mais la plupart du temps il s’agissait de leur dignité, et c’est ce qui faisait que le café de Mme Meng avait toujours un air de cour des miracles bien avant que le miracle ne se produise. »
« Voilà pourquoi ils pensaient tous qu’elle était folle, parce que l’être humain est comme ça, toujours prompt à juger son prochain alors qu’il a tort la plupart du temps. »
« Avant, je pensais que la folie c’était une chose qui rampe et se glisse à l’intérieur de vous, mais maintenant je sais que la folie c’est quelque chose en vous. Comme une petite graine qui peut germer et grossir au cours de la vie. »
« J’avais toujours pensé que la nationalité française était comme un bouclier, mais ce matin, en parlant à Claude qui avait passé toute sa vie comme aide-soignante à torcher des culs pour que personne ne l’aide désormais à torcher le sien, je me disais que finalement personne n’était à l’abri. »
« C’est terrible comme sensation d’être pris au piège dans les croyances d’autres que soi. »
« Le docteur Bailleul a esquissé un léger sourire puis elle m’a dit que je devrais apprendre à regarder les choses autrement, mais elle ne l’a pas dit comme ça car elle était psychologue et il fallait toujours qu’elle dise les choses autrement que le reste de la population mondiale
Elle m’a dit : « Tu devrais changer de perspective, Layla, cela pourrait t’aider à mieux comprendre ce que tu ressens à l’intérieur de toi. » »
« Lorsque Marie-Ange a eu fini de m’apprendre tous les bienfaits qu’il y avait à être français, elle m’a demandé de réfléchir pour notre prochain rendez-vous à ce qui, selon moi, fondait la France. J’ai cru que j’avais mal entendu, mais elle a ajouté que je devais penser aussi à ce qui faisait un Français et ça m’a plongée dans un profond désarroi parce que je ne voyais aucun point commun entre tous les Français que je connaissais. »
« Moi, j’étais bien sûr tout à fait contre qu’on tire sur des policiers à coups de feux d’artifices, mais je savais aussi qu’en tant que femme, étrangère dans un pays étranger, une fois la nuit venue, je redoutais tout autant les policiers et les jeunes du quartiers des Amandiers que le ministre de l’Intérieur.
La nuit, tous les hommes sont gris. »
« J’ai dit à Claude : « Merci Claude ! », puis j’ai ajouté : « C’est la première fois qu’on m’offre une fleur » car je voulais vraiment qu’elle le sache.
Il me semblait que c’était important. »
J’aurais trouvé ça vraiment terrible qu’elle ne le sache pas.
Dans la vie, il faut toujours dire les choses qui nous semblent importantes. »
« Les intellectuels français pensent toujours qu’être français est la meilleure chose qui puisse vous arriver. C’est leur déformation professionnelle à eux. »
« Ça m’a sauté aux yeux que la France était un paon.
Un pays trop fier qui avait un avis sur tout.
Sur tout sauf, bien entendu, sa propre médiocrité.
La France était un paon.
Un drôle de paon, beau, sublime et majestueux, qui se pavane, persuadé qu’il est le plus beau, le plus sublime et majestueux de tous les paons et que tous les autres paons du monde ne peuvent avoir ni plus belles plumes, ni meilleur cœur, ni plus grande âme. »
« Là-bas, ma mère disait souvent, presque autant de fois qu’elle respirait, que le temps passé à penser à un homme était toujours du temps perdu. Chaque fois qu’elle nous surprenait Malika et moi en train de parler des garçons que nous aimions, elle nous interrompait pour nous dire qu’aucun homme n’était et ne serait jamais plus beau que notre liberté. »
« Je pense que, dans la vie, il y a des choses qui ne devraient jamais avoir à se réclamer.
Si je devais n’en citer que quelques-unes, je dirais l’amour, un corps, un logement.
Un pays. »
« La vérité, c’est que je ne savais pas crier.
Là d’où je viens, la douleur, elle s’avale et se retient.
Là d’où je viens, on apprend aux femmes, dès leur plus jeune âge, à ne pas crier.
À souffrir en silence, puis à transmettre ce silence, de mère en fille, de génération en génération, comme s’il s’agissait d’un bijou d’une grande valeur, un bijou précieux, qui serait, par exemple, comme une belle bague aux perles bleues.
C’est pour ça que je ne savais pas crier.
Là-bas, comme ailleurs, on préfère toujours la douleur des femmes aux cris.
Il m’arrive souvent de penser que si, un jour, j’avais la chance majestueuse d’avoir une fille, la première chose que je ferais, ce serait de lui apprendre à crier.
Je lui apprendrai, je le jure sur ma vie.
Je lui dirai : « Ma fille, tu dois crier comme tu respires, par le ventre. »
Je lui apprendrai à cracher aussi.
À cracher toute les couleuvres – ou bien les anguilles – qu’on lui forcera à avaler, à retenir et à cacher.
Je lui dirai : « Tu dois crier comme tu respires, par le ventre. »
Je lui dirai : « Crache ma fille. »
Et je le lui dirai trois fois. « Crache, crache, crache. » »
« J’ai commencé à tourner les pages du dictionnaire à la recherche de qui était Marguerite Duras.
C’était écrit en grosses lettres noires.
Sans poésie ni sentiment.
Car c’est toujours comme ça qu’écrit l’Académie française.
En grosses lettres noires.
Sans poésie ni sentiment.
Comme si les mots n’étaient rien d’autre que de vulgaires traits noirs sur du papier blanc. »
« Elle me regardait m’agiter en me reprochant de voir mal les choses.
Elle me disait que j’étais si obsédée par ce pays et ma nationalité que j’étais incapable de voir les choses telles qu’elles étaient et que je ne voyais que ce que je voulais voir. »
« Aucun lieu n’échappe à la violence. Où que vous soyez sur cette planète, vous pouvez être à peu près sûr qu’un truc bien dégueulasse s’y est produit.
C’est comme si la violence venait toujours du même endroit, et que cet endroit était les hommes. »
« J’étais allée au Monoprix de la rue Pelleport. Le vigile n’avait pas pu s’empêcher de me suivre dans les allées pour s’assurer que je ne vole rien, mais il était aussi discret qu’un agent des services d’hygiène de la Ville de Paris alors je l’avais repéré facilement. »
« Quand j’ai sorti les fleurs de sous le lit, elles étaient recouvertes de poussière et les pétales étaient aussi noirs et secs que le cœur de la maire de Paris. »
« Dans mon pays, on dit qu’il y a trois choses que l’être humain ne se lasse jamais de contempler : la mer, le feu et le malheur des autres. »
« Le paysage qui s’offrait à mes yeux était si beau que j’en ai eu le souffle coupé et ça m’a rappelé que, dans cette vie, le souffle peut vous être coupé par autre chose que par des coups. »
Un avis sur « Tu mérites un pays / Leïla Bouherrafa »