J’avais beaucoup aimé le précédent roman d’Arnaud Dudek, « On fait parfois des vagues ». Je n’ai donc pas hésité à demander ce livre via Netgalley.
On retrouve des éléments communs comme la relation père-fils et le thème de l’identité. Ce roman raconte l’histoire de Victor, un garçon qui vit avec son père. Le père s’occupe de lui du mieux qu’il peut, mais il ne gagne pas beaucoup d’argent avec son travail à l’usine et s’est endetté en achetant la maison. Il boit souvent pour oublier.
La mère est partie du jour au lendemain sans donner de nouvelles. Elle réapparaît de temps en temps pour disparaître aussitôt. Elle est très instable.
On sent une relation forte entre le père et le fils malgré les non-dits et la pudeur. Quand Victor demande à son père s’il peut s’inscrire à l’athlétisme tout en sachant que cela lui demandera des sacrifices, le père accepte. Ainsi commencent les entraînements et les compétitions puis il est repéré pour ses aptitudes à la discipline du triple saut. Victor est sérieux et redouble d’efforts pour atteindre son rêve : faire partie de l’équipe de France.
Je me suis attachée à Victor. J’étais à ses côtés, espérant qu’il arriverait à percer, à battre un record, à être sélectionné. C’est un gamin tellement attachant qui mérite sa chance, travailleur, sérieux. Malgré une famille dysfonctionnelle et leur condition sociale modeste peut-il réussir ? peut-il s’en sortir ?
J’ai par moment pensé à Toumany, l’athlète du roman de Mathieu Palain, dans « Ne t’arrête pas de courir », lui aussi essaye de sortir de sa cité et de sa vie toute tracée.
Dans ce roman on est comme une petite souris dans les coulisses du sport professionnel. Victor devra choisir entre le sport et l’amour. La pression est constante et peut même relever du harcèlement, mais je ne vous en dis pas plus, à vous de découvrir l’histoire de Victor.
Les chapitres se découpent comme le triple saut : course d’élan, premier saut, deuxième saut, troisième saut, suspension, réception.
Je n’ai pas retrouvé le style du précédent roman. Les phrases courtes alternent avec les phrases longues. L’écriture est sensible et agréable. Je n’ai pas lâché le roman avant de connaître le destin de Victor.
Merci à Netgalley et Les Avrils pour cette lecture
Incipit :
« Un père et son fils paraissent rue des Tourterelles, en provenance de la rue de la Cendrée. C’est un joli dimanche matin avec soleil brillant et vent frais, qui mériterait un vin blanc gras en bouche, un plaid en tartan et une chaise en résine tressée – mais un dimanche matin creux comme un bambou au bout du compte, parce qu’il n’y a ni plaid, ni vin, ni chaise à l’horizon. »
« Cela jaillit comme du soda gazeux d’une bouteille qu’on aurait secouée vigoureusement : sans prendre le temps et le souffle de ponctuer sa phrase, Victor lance un beau jour à son père qu’il veut s’inscrire au club d’athlétisme du chef-lieu de département, à 15 kilomètres de chez eux. Pour lancer, pour courir, mais aussi, mais surtout pour sauter, c’est hyper méga bien, le saut en longueur. »
« La vie, à l’Institut, est académique, réglée, millimétrée. On s’entraîne on étudie on s’entraîne on étudie on s’entraîne ; pendant ce temps-là, des gens s’occupent du reste. Dans ce curieux microcosme, des gamins motivés essaient de déployer le talent brut que des entraîneurs régionaux ont détecté chez eux pour échapper à leur sort, briser le signe indien, ne jamais remettre les pieds dans leur cité à 20% de chômage ou leur village abandonné, ne pas devenir leur mère, leur père, ne surtout pas reprendre le flambeau de la vie normale, de la vie médiocre, de la vie des cours d’immeubles et des zones d’activités commerciales, des Gifi et des Lidl, de Pôle emploi et des Caisses d’allocations familiales. »
« Victor ignore par quels états, par quels tourments il va passer. Il est jeune, doué, déterminé mais relativement naïf, il pense que sa bonne étoile ne peut pas pâlir, mais voilà, elle est tellement complexe, la vie, tout à la fois plume d’oiseau et instrument de torture, couette en duvet d’oie et bombe à fragmentation, cœur gravé sur un tronc de hêtre et feu de forêt criminel, abécédaire poétique et discours négationniste, confiture fraise-litchi et page Wikipédia recensant les personnes mortes d’un cancer du pancréas, lumière ambrée, ténèbres bancales, dunes blanches et foyers d’accueil médicalisés, il faut la prendre avec soi, toute cette complexité, toute cette pagaille, ce yang, ce yin, toute cette beauté inexplicable, se dire qu’un jour les portes automatiques s’ouvrent en grand sur votre passage mais que, le lendemain, elles peuvent demeurer closes – et pour peu qu’un homme de ménage ait fait du zèle, qu’il ait rendu cette porte absolument transparente, on peut s’y écraser, oui, se la prendre en pleine figure. »
« – Comment vous sentez-vous ?
La question lui avait fait venir des larmes. Elle appelait une réponse sincère :
– J’ai mal.
– Où ça ?
Victor avait désigné son cœur, et avait ajouté :
– Derrière.
– Sous le cœur ?
– Oui. Pas le cœur qui bat, l’autre, derrière, celui qui se serre quand on perd.
– Vous avez perdu quelque chose, ou bien quelqu’un. Qu’est-ce qui chagrine ce cœur arrière ? »
« Il replie sa serviette avec soin, la range dans le sac, y glisse, toujours avec soin, la gourde et ses lunettes noires. Puis il se plis en deux, littéralement – cette souplesse, cette facilité, ce regard : pas un amateur, c’est certain. »
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