L’Amérique entre nous / Aude Seigne

La narratrice raconte son voyage de 3 mois aux États-Unis avec son compagnon. Son récit est entrecoupé de scènes qui se sont passées avant le départ. Elle espère durant cette traversée de l’Amérique pouvoir lui parler de sa relation avec Henry, un collègue. Elle aimerait pouvoir aimer deux hommes, Émeric et Henry. Cette jeune femme de 30 ans est très décidée et en même temps peine à trouver les mots et le moment pour en parler à Émeric.

Peu de temps avant le voyage, elle est tombée enceinte. Elle a décidé d’avorter. Elle parle de l’acte en lui-même, de la douleur ressentie, des changements observés dans son corps notamment sur son désir et des conséquences de ce choix.

Elle est journaliste pour un magazine people suisse et Émeric photographe animalier. Lui va parcourir les parcs nationaux pour photographier les animaux d’Amérique. Et elle, va interviewer les stars de cinéma pour connaître leur point de vue sur la réalité et la fiction. On la suit dans ses rencontres hollywoodiennes qui se déroulent souvent dans de grands espaces plutôt que dans de grandes villes.

Ce livre est également un voyage en Amérique pour le lecteur. Les paysages défilent et à l’heure post-covid, cela donne très envie de partir sur les traces de la narratrice.

Chaque chapitre est introduit par une playlist, une liste de chansons à écouter, « accordée à la tonalité de chaque partie ». Je n’ai pas écouté les titres. Je n’écoute pas de musique quand je lis. Je préfère être totalement immergée dans l’histoire et écouter plutôt la musique des mots.

Et je dois dire que j’ai beaucoup aimé l’écriture d’Aude Seigne. Je la découvre avec ce roman, qui me donne envie de lire ses précédents.

Ce qui m’a plu dans ce roman c’est l’introspection, la réflexion sur le couple, l’amour et le désir, ainsi que cette liberté de parole. Je l’avais repéré dans la présentation de la rentrée littéraire de VLEEL. Le thème notamment du polyamour, peu traité, en tout cas de manière aussi contemporaine, m’intéressait. Et puis j’ai eu envie de savoir ce qui allait advenir de la narratrice, de son couple, de cette histoire naissante. Bref j’ai dévoré ce livre.

Un roman sensible et passionnant à plus d’un titre pour tous les sujets qu’il aborde, servi par une très belle plume. D’ailleurs Aude Seigne en parle très bien dans la courte vidéo de présentation sur le site des éditions Zoé :

Note : 4 sur 5.

« J’ai pris ma décision mais ne sais comment en informer Émeric. L’appeler ? L’attendre ? Acheter des fraises ? Il est d’usage de mettre en scène les annonces de grossesse mais je ne trouve aucun manuel de savoir-vivre concernant les avortements. »

« Je l’interroge sur ses prises de positions au sujet du couple ouvert, il me répond d’un air appliqué. Il considère que les gens ont une conception puérile de la monogamie, que la fidélité sexuelle ne peut pas être la seule chose qui unisse un couple. Il dit que quand on aime une personne, on veut qu’elle s’épanouisse, mais que ce n’est pas à nous de définir comment. »

« Six mois plus tôt, le bureau d’un médecin que je ne connais pas parce que ma gynécologue a refusé de me recevoir. L’avortement est autorisé, certes, mais quand on a trente ans et qu’on vit depuis cinq ans avec le même partenaire, elle ne comprend pas. »

« La douleur, je ne sais pas comment je l’imaginais. Elle me tord comme un torchon, me vide les entrailles, me secoue la colonne vertébrale jusqu’à la nuque. Je vomis, je suis glacée mais en sueur, les mèches collées sur mon front. A cause des vomissements, je pleure, je pleure et la douleur me fait trembler jusqu’à perdre connaissance. Mon corps picote de partout, s’éclipse. »

« Henry me trouve courageuse et je réponds que je ne comprends pas ce mot. Comment parler de courage quand on choisit de se séparer d’un être plutôt que de le faire vivre ? »

« Notre conversation sur la fidélité prend la forme d’un dialogue épars, dont chaque réplique interviendrait plusieurs années après la précédente. Nous ne croyons pas à la monogamie sur toute une vie, nous sommes d’accord que la sexualité n’est pas ce qui définit un couple, nous nous amusons de ces grands sujets universels et irrésolus. Mais nous évoquons tout cela sans décider, sans appliquer, comme si cela ne nous concernait pas. »

« Notre relation est faite d’absences et de présences, qui ne sont pas toujours causées par l’éloignement géographique. Lorsque je raccroche, il ne me manque pas toujours. Je me sens à égale distance de lui et de tous mes êtres chers. »

« Il pourra me reprocher, je le sais, de briser les choses au moment où tout va bien. Nous sommes réconciliés ce soir-là, le voyage a fonctionné, nous a rapprochés. Je ne sais pas encore comment il se termine, mais je sais que si je veux avoir le droit d’aimer deux personnes à la fois, je dois le demander. Cette fois, c’est Émeric qui reprend la conversation de San Francisco, parle de ses autres attirances, dit qu’il ne comprend pas très bien les mots comme sentiments, aimer, être amoureux. Pour lui il y a la sexualité, l’attachement – bien documenté déjà chez les animaux –, les structures et ce qu’on en fait. Je ne l’interromps pas, à la fois parce que j’aime le ton de sa voix quand il parle de ça et que je suis d’accord avec lui. Il dit qu’il nous aime ainsi, dans cette liberté. »

« La déception a du bon. Elle me fait prendre conscience que j’aime projeter, imaginer, mais qu’arrive un moment où il m’est insupportable de ne pas explorer le réel. Qu’une réalité, même décevante, est toujours préférable à une projection. »

« Quand les siens ont appris qu’elle incarnerait une astronaute, ils ont trouvé ça cool, alors qu’elle ne savait pas comment coller à la réalité. Elle dit que sa vision de l’astronaute et ma vision de l’astronaute et la vision du public et des astronautes eux-mêmes, ce sont des choses différentes. Son travail consiste à essayer de réduire cette distance au maximum, mais elle existe toujours. Tout ce que nous ne sommes pas, nous le fantasmons. La simplicité de sa vision me dépasse, mais me séduit. »

« Je dis que ce qu’on donne à une personne n’est pas retiré à une autre, que l’amour est inépuisable. Au bout de deux heures de discussion, il n’y a plus rien à dire. Nous sommes muets face à l’océan. »

« Je leur demande comment ils ont abordé les scènes d’intimité, qu’ils ont dû tourner à deux ou en groupe, et les réponses fusent. L’intimité, c’est ôter une poussière du vêtement de l’autre par réflexe. L’intimité, c’est se rapprocher spontanément d’une personne spéciale dans une pièce remplie de gens. L’intimité, c’est quelque chose qui est donné ou non dès le début d’une relation, inscrit comme une possibilité dès la première rencontre. »

« C’est ça qu’il faudrait viser : des petits moments de grâce imprévus plutôt que des grandes trajectoires. »

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