Ce roman nous plonge dans la vie d’Antonin Artaud, notamment ses années d’internement en psychiatrie. C’est sa mère, Euphrasie Nalpas (1870-1952), qui raconte les souffrances de son fils sous la forme d’un journal.
Justine Lévy donne à entendre une voix singulière, celle d’une mère possessive, ravagée et démunie face aux douleurs de son « Nanaqui ». Elle dit le connaître mieux que n’importe qui et n’hésite pas à l’interner de force et à accepter le traitement par électrochocs.
Selon les phases il reconnaîtra sa mère ou pas, l’insultera. Elle ne baissera jamais les bras et continuera ses visites régulières. Malgré la faim et le rationnement, elle lui apportera un panier à chaque fois. Il faut dire que sur ses 9 enfants, elle en a perdu 6. A la mort de son mari, elle n’hésitera pas à monter à Paris pour s’occuper de son « Nanaqui ». Elle le retrouvera parfois dans des situations insoutenables pour une mère, tel un clochard mendiant dans la rue en haillons.
Le roman s’ouvre en 1920 et s’achève en 1948 à la mort du poète.
On sent que Justine Levy s’est documenté. Elle dépeint la vie des artistes pendant la guerre, les amis d’Artaud partis en exil, au combat ou déportés comme Desnos. Ce sont d’ailleurs les amis d’Antonin Artaud, les « Antonistes », qui vont mettre fin à son internement.
Justine Lévy a piqué ma curiosité. Je suis ensuite aller faire quelques recherches sur Antonin Artaud.
Un roman touchant sur un amour maternel dément.
Merci Netgalley et stock pour cette lecture qui m’a permis d’en savoir plus sur cet artiste.
1930
Une grue, une cocotte qui se prend pour une poétesse, voilà ce qu’elle est, voilà ce qu’elles sont toutes ! Je ne supporterais pas qu’il l’épouse, ni qu’il en épouse une autre d’ailleurs. Personne ne le comprend comme moi, personne ne l’aime par cœur comme moi. J’ai toujours été là pour lui. Celle qui n’a pas compris sa douleur ne peut pas prétendre l’aimer. C’est mon Antonin, le mien, à moi, et s’il n’est pas à moi alors il n’est à personne, ah voilà que moi aussi je deviens folle de douleur, pourquoi un fils doit-il partir, quitter sa mère, personne ne sait le soigner comme elle, comme moi, comme une mère, personne n’a besoin de lui comme moi, ni de moi comme lui, personne ne me volera mon Antonin.
Aujourd’hui, il ne m’a pas reconnue. « Allez-vous-en, madame, partez. » Alors je suis partie – qu’est-ce que je pouvais faire d’autre ? Le bus, le ticket, la marche, jetée dehors comme une imposture, propulsée hors de cet asile de Ville-Evrard par un coup de pied dans le derrière administré par mon propre fils, je courais, je fuyais, plus du tout de crampes dans les jambes, zéro arthrose, zéro douleurs dans le dos ou dans la nuque, rien, plus de mère, plus d’enfant, juste du brouillard partout.
Je ne peux plus venir que deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche, entre 13 et 15 heures. Ça me permet de faire la queue plus longtemps le mercredi pour le ravitaillement, et de grappiller deux ou trois choses en plus pour Nanaqui au marché noir. Mais bon ce n’est pas commode, cette guerre, avec mon arthrose. Et mon âge. Dans le bus je prie un peu. Je vérifie que j’ai bien tout mis dans mon cabas (les pommes de terre cuites, les citrons, le pain), que je n’ai pas oublié mon autorisation de visite à faire oblitérer par le surveillant général qui n’est pas très aimable non plus et qui ne me reconnaît, comme mon Antonin, qu’une fois sur deux, quand ça lui chante ou quand le chocolat le tente.
Je sais qu’on m’incrimine. Ça m’est égal. Je sais bien, moi, qu’il ne faut pas qu’il sorte. Qu’il n’est pas guéri. Qu’il fait semblant. Qu’il ne guérira pas. Qu’il n’a pas sa place dans la société des hommes indépendants, libres, qui travaillent. Je sais bien qu’il ne sera jamais indépendant ou autonome et que la liberté est bien trop dangereuse pour lui. J’en ai discuté avec les docteurs Ferdière et Latrémolière. Eux aussi estiment que faire sortir Antonin maintenant serait tout bonnement catastrophique.
Je reviendrai lire plus tard car je vais bientôt le commencer !
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