Over the rainbow / Constance Joly

Constance raconte l’histoire de son père, Jacques. Elle a essayé de se mettre à côté de lui, au plus proche et non à sa place. Elle a comblé les silences pour nous offrir cette autofiction romancée.

En 1968, les parents de Constance quittent Nice pour habiter à Paris. Ils sont tous les deux professeurs. Là-bas, son père va enfin oser vivre sa sexualité. Il est homosexuel mais à l’époque c’est une réalité qu’on cache car elle est répréhensible. De plus, dans sa famille, c’est inacceptable, inavouable. Bertrand, son petit frère, a été pris en flagrant délit avec un autre garçon et il a été exilé de la famille.

« En 1976, l’homosexualité est encore répertoriée comme une maladie mentale. C’est un délit, passible de prison, il faudra attendre six ans encore pour qu’elle ne le soit plus. »

Vers l’âge de 7 ans, Constance remarque que son père est de plus en plus absent. Il finit par quitter Lucie pour s’installer avec l’homme qu’il aime, Ivan. Une histoire d’amour qui durera 12 ans. C’est le début d’une vie entre deux appartements pour Constance. Sa mère sombre dans la dépression.

Jacques et Ivan partent en voyage aux Etats-Unis. Ils comparent les mœurs américaines avec les nôtres : « Ici, la liberté sexuelle est réelle, même les gays sont meurtris par l’assassinat de Harvey Milk un an plus tôt. »

A 50 ans, il rencontre Sören, ce sera son dernier amour. Celui qui l’accompagnera durant la progression de sa maladie, jusqu’au bout. En 1988, il a peur de faire le test du sida, à juste titre.

« Il te reste quatre ans à vivre. Malgré la dureté de ta maladie, Sören me dit que ces quatre années ont été parmi les plus belles de sa vie. »

Il décide de ne rien dire à sa famille et ses amis, mais en 1991 les symptômes sont omniprésents, son état se dégrade.

« A partir de là, je m’aperçois que j’ai moins de souvenirs de toi. Ma vie se met à dérailler. Je commence à avoir peur de tout. […] Je n’arrive plus à travailler, je redouble mon année de licence. Je ne vais plus tellement te voir. Je passe à côté de ta maladie. »

Constance dit ses difficultés d’être entendue dans ces histoires de grandes personnes, ces mensonges d’adultes. Ce n’est pas si facile de grandir et de se construire quand les repères changent ainsi. Elle parle de son adolescence, de ses premiers amours, de son rapport à son corps. L’amour était plus important que son père, sa mère ou ses études.

Elle rend un vibrant hommage à son père. Elle parle aussi de toute sa famille. Dans ce roman, elle donne la parole aux enfants, une époque où on ne les écoute pas. Qui se soucie de savoir ce qu’elle pense ?

Elle évoque avec nostalgie leurs dernières vacances avant la maladie, l’insouciance. Il y a de nombreux passages poétiques, magnifiques, emplis d’amour, de tendresse et de lumière.

Les chapitres sont courts. Le livre se lit vite, un peu trop à mon goût. J’aurais aimé passer encore un peu de temps avec Constance et Jacques. Alors je le relis et j’apprécie. Bref, un coup de cœur.

Les 68 ayant adoré son précédent roman, « Le matin est un tigre », je l’ai noté sur ma liste de livres à lire.

« J’écris pour ne pas tourner la page. J’écris pour inverser le cours du temps. J’écris pour ne pas te perdre pour toujours. J’écris pour rester ton enfant. »

Morceaux choisis :

« C’est toi qui proposes le prénom « Constance ». Tu as envie de cette vertu dans ta vie, creuser ton sillon dans ce mariage, dans cette fiction. Durer, persévérer, j’en porte le prénom et la charge. Tu ne persévéreras pas dans ton rôle de mari, mais dans celui de père, si. Tu as été un père discret, emprunté, timide et merveilleux. »

« Qui se souviendra de tes étagères en cuivre, remplies de DVD, d’éditions de poche avec papier cristal, ta collection complète de Konstantin Paustoksky (qui le connaît ?).
De tes babouches jaunes glissant sur le parquet.
De ton adoration pour les comédies musicales.
Pour Judy Garland, et son air tragique.
Qui se souviendra de ta façon de chanter
Somewhere over the rainbow
Quand tu prépares ta sauce verte. »

« J’ai découvert ces jours-ci un petit livre étrange, Dîner fantasma. Un livre de notes et de recettes pour inviter les fantômes. […] A la fin du mince recueil, je lis cette phrase, comme en réponse à mon chagrin : « Au Japon, on dit que lorsqu’une personne vous apparaît en rêve, ce n’est pas vous qui pensez à elle, c’est elle qui pense à vous. » Cette pensée m’apaise tout d’un coup. Peut-être, me dis-je, ai-je autant besoin de toi que toi, de moi. Peut-être serais-tu heureux de me rejoindre de temps à autre, pour manger ce que tu as aimé, par la même occasion ? Et si je pouvais encore t’offrir quelque chose ?
Depuis, j’ai placé une coupelle de pâtes d’amande à côté de mon lit. »

« La vie emporte tout, l’amour et les visages de ceux que nous avons aimés, et pourtant nous agissons sans relâche. Nous nous construisons des digues dérisoires, bientôt emportées.
Encore quelques minutes au soleil. Juste quelques minutes. »

« Le bruit des ronces, c’est savoir qu’on va manger des mûres avant même de voir les buissons. C’est savoir qu’on va plonger dans la mer quand on a chaud. Tu vois, c’est ça, le bruit des ronces : c’est s’approcher du plaisir, et c’est encore mieux que d’y être déjà. »

Note : 5 sur 5.

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