Indomptables / Bruno Doucey

Ce roman se découpe en deux parties. La première où nous faisons connaissance avec les personnages, Mira Rai et Vitali Klitschko. Puis dans une seconde partie apparait Melina, la narratrice et écrivaine fictive de la première partie du roman.

Mira Rai est une jeune fille Népalaise. Elle aimerait continuer à aller à l’école mais la condition de sa famille ne le lui permet pas. Elle accomplit toutes ses tâches avec dévouement. Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est courir et voir les paysages défiler. Elle ne peut pas se résigner à son destin ; elle sera bientôt en âge d’être mariée. Elle se choisit un autre destin et remportera les plus grands marathons.

Vitali Klitschko, lui, est champion de boxe, comme son frère, Wladimir. On découvre son enfance en Ukraine avec sa famille. Son père est militaire et intervient notamment pendant la catastrophe de Tchernobyl. Aujourd’hui il mène un autre combat, il est le maire de Kiev.

Melina écrit sur ces deux sportifs depuis la cave de son immeuble bombardé en Ukraine. Avant la guerre, elle avait un projet avec eux. Elle avait aussi une toute autre vie, avec son fils, qu’elle a envoyé se réfugier en Grèce chez ses parents.

A travers le regard de Melina, Bruno Doucey interroge le rôle de l’écrivain et de la littérature. Il met en scène trois figures de résistants, qui forment de beaux portraits d’hommes et de femmes, de sportifs. Chacun se bat pour sa liberté et celle de son peuple. L’histoire de Mira, Vitali et Melina est touchante. La plume de Bruno Doucey est comme toujours poétique, emplie d’humanité. Un très beau roman engagé.

Merci VLEEL et Éditions Emmanuelle Collas pour cette belle lecture

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« Los Angeles, 26 septembre 2009
En face de lui, ce soir-là, celui que tous surnomment The Nightmare. L’homme n’est pas n’importe qui. Vainqueur des National Golden Gloves à vingt ans, en 2001, le Mexicano-Américain est précédé par sa réputation. Une pugnacité constante sur le ring. Des coups à terrasser un cheval. Une allonge qui surprend, parce qu’elle provient moins de la longueur des bras que de l’envergure des épaules. 1,93m de rage, de hargne et de haine. Chris Arreola est de ceux qui préfèrent mourir sur le ring que perdre un combat. »

« Je me souviens de ce que Varlam Chalamov écrit au seuil de ses Souvenirs de la Kolyma : « L’écrivain est l’espion du monde des lecteurs ». Alors, disons que, faute de mieux, j’espionne simultanément deux mondes qui me sont en grande partie étrangers. Je collecte des bribes d’informations, décèle ici ou là de maigres vérités. Comme un chat à la tombée de la nuit, je pars en maraude, et il m’arrive de ramener à l’aube quelques prises utiles à la poursuite de mon récit. »

« Je devais vous recevoir ici, à Sartana, et voici que vous vivez en moi.
Les notes destinées à vous présenter sont devenues une histoire, un récit, ma fiction. Celle dont j’ai besoin pour me battre et m’enfuir. Celle qui perfore les murs de ma vie, l’élargit et l’allège. »

« J’enrage de voir la Russie déverser les latrines de sa haine sur un pays qui ne demandait qu’à vivre libre. »

« Toi, Mira, je le sais, c’est en courant vers d’autres horizons, en franchissant des torrents, des cols, des lignes de crête et des frontières, que tu as pris la mesure du Népal en toi. Tu es et resteras à jamais la petite Népalaise qui a escaladé les plus hauts sommets du monde de l’endurance, celle qui est partie pour se trouver, qui s’est éloignée pour entrevoir un centre, un peu comme tu le faisais enfant lorsque tu gravissais les pentes de la montagne jusqu’au piton rocheux d’où tu apercevais le village de Sano Dumma, là-bas, au fond de la vallée. Tu montes et tu descends, tu descends et tu montes, tu pars, tu vis et tu reviens, tu ne seras jamais une pierre éboulée.
Et toi, Vitali, est-ce entre les cordes d’un ring qu’est né ton sentiment d’appartenance à la nation ukrainienne ? Tu vois le jour en Kirghizie, comme on le disait alors, mais tu n’es pas kirghize. Enfant, tu vis dans l’actuelle République du Kazakhstan, puis en RDA, mais tu n’es ni kazakh ni allemand. Parce que ton père est officier de l’Armée rouge, tu parcours de long en large les immensités insensées de l’Union soviétique, mais cela ne fait pas de toi pour autant un soviétique à vie. »

« Je n’ai pris que ce Carnet de bord de mer, un crayon, une bougie, mon kit de survie. Descendue moi aussi, tenant la main des autres dans la pénombre. Là, chacun trouve sa place, presque toujours la même, comme si des habitudes étaient déjà prises. Le petit tabouret, ma couverture y est pliée, dos au mur, carnet sur les genoux. J’attends avant de commencer à écrire. La flamme de la bougie vacille, puis se ragaillardit dans les profondeurs de la cave. »

« Nostos », c’est le nom que les autorités grecques ont donné aux opérations de rapatriement des Grecs d’Ukraine. Le mot est bien choisi parce qu’il désigne le « retour » au pays. Celui d’Ulysse, au prix d’une longue errance sur les mers. Celui des Grecs installés en Ukraine depuis des temps immémoriaux. L’exil, la Patrie… Bientôt, j’en suis sûr, la polarité du désir s’inversera : comme me l’écrit déjà Nikolaï, les exilés rêveront d’un retour en Ukraine.

« Je vais faire comme tout le monde : tenir bon et résister. »

« J’avais envie de pleurer, et voilà qu’Elpida me faisait rire.
– Tu sais que le théâtre grec et la mythologie ont pleins d’histoires de ce genre. Un personnage chemine sur une route, souvent celle qui lui a été tracée, puis il arrive à une bifurcation, le chemin se sépare en deux. A gauche, un accès facile, une voie large, plutôt confortable. A droite, un sentier raide et pénible. Que fait-il ? Où se dirige-t-il ? Ces deux chemins qui s’offrent à lui, cette obligation de faire un choix, c’est cela le libre arbitre. Ta liberté commence où cesse l’indécision ! »

« Trouver en soi des images qui aident à supporter l’horreur. S’inventer par l’imagination des portes de sortie. »

« 29 mars 2022
Je n’avais pas vu les choses sous cet angle. La course à pied, la boxe… Ce sont des sports pour lesquels tu n’as besoin de rien. Ni ballon, ni raquette, ni quoi que ce soit d’autre. Tu peux te battre et courir nu.
Le sculpteur, le musicien, le peintre, que ferait-il sans bois et sans gouges, sans piano ou sans saxophone, sans pigments et sans toiles ?
Assembler des mots, composer une histoire, un poème… Même dans l’obscurité d’un cachot, sans papier ni crayon, langue arrachée, doigts tranchés, celui qui a les mots porte l’énergie primaire de la transformation du monde. »

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