Une autre vie / Marie-Hélène Lafon

Son père est décédé en 2021. David Fourré, des éditions Lamaindonne, lui a proposé ce projet de livre autour de photos dans la collection « poursuite et ricochets ». Elle avait à ce moment-là rassemblé les photos de son père dans une enveloppe. Bref les planètes étaient alignées et c’est fort bien pour poursuivre ma #lafonmania !

Elle partage ainsi 8 photos de son père lors de son service militaire à Casablanca de 1957 à 1959. Sur ces clichés, elle le voit sourire, alors qu’elle ne l’a pas connu souriant. Elle interroge ces souvenirs, essaie de comprendre l’homme qu’il a été pendant ces quelques mois, jeune, insouciant, heureux. Une autre vie…

Elle nous livre ici quelques clés supplémentaires pour comprendre son œuvre, intimement liée à sa famille et sa région natale. Dans chaque texte on ressent l’écriture et l’intonation de Marie-Hélène Lafon, comme dans ses romans. Elle cherche toujours le mot juste et précis. Essai ou roman, je reste admirative de cette autrice. Je crois que je pourrais lire n’importe quoi écrit par elle, pas la peine de lire le résumé, je précommande d’office !

Merci à VLEEL pour cette belle découverte de maisons d’édition litté-photo. J’ai un deuxième titre de cette collection dans ma pile à lire, et il me reste ensuite à faire connaissance avec Light Motiv et les deux livres de la collection « Singulières » que j’ai sélectionnés.

Note : 4.5 sur 5.


Incipit :
« Mon père sourit. Sur la photo du palmier, il sourit carrément ; il a vingt, vingt et un ou vingt-deux ans, il sourit à Casablanca entre 1957 et 1959, les photos ne sont pas datées. »


« Ceci n’est pas une enquête. Je flaire des pistes, je suis des traces, je tisse. »


« Sur la photo, donc, il sourit, d’un sourire d’éclatante jeunesse que je ne lui connaîtrai pas. Il aura deux-petits fils qui naîtront en 1995 et en 1997, et après sa mort, en mai 2021, je reconnaîtrai sur cette photo, la photo du palmier, le beau sourire charnu de l’aîné de mes neveux.
Le sourire de mon père me saute à la gueule.
Toujours les traces des corps, des gestes, des voix, des intonations des ascendants dans les corps, les gestes, les voix, les intonations des descendants émeuvent, bouleversent, retournent, me retournent. Ce sont des résurgences, elles me traversent, me travaillent, travaillent les textes que j’écris depuis plus d’un quart de siècle ; elles strient les textes, les scarifient, les secouent, les caressent, frémissent dans leurs silences.
La photo du sourire de mon père est aussi celle du palmier ; enfin, je crois que c’est un palmier, je suis nulle en palmiers. Je suis meilleure en frênes, en hêtres, en noisetiers, en érables, en peupliers, voire en bouleaux, en chênes, ou même en platanes. Je suis comme mon père qui n’avait jamais vu de palmier avant 1957 et n’en revit plus après 1959. Le palmier, le maillot de bain, le parasol, la plage de mon père sont d’un exotisme radical, ils ouvrent sans sa vie une parenthèse, peut-être enchantée, probablement douce, joyeuse, capiteuse, charnelle et cicatricielle ; je tâte de l’adjectif, j’avance à tâtons sur les traces du personnage que devient mon père dans une autre vie que la sienne. »


«  Dans la sphère familiale, il ne témoignait d’aucune aptitude à la joie, et je crois que la peur fut son véritable métier, la peur de manquer, de ne pas être à la hauteur, de ne pas arriver à finir la fenaison à temps, de ne pas réussir à payer les prochaines échéances des emprunts, la peur de tout, la peur tout le temps. »

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