Alice, québécoise de 26 ans, a tout quitté pour faire le pèlerinage du chemin de St-Jacques de Compostelle, du Puy-en-Velay jusqu’à Santiago. Elle n’est pas croyante. Elle cherche un sens à sa vie, à expier sa souffrance liée à un chagrin d’amour. Fabrice, son amoureux depuis 5 ans, vient de la quitter pour Laure. Alors elle marche sur Fabrice.
Elle raconte avec humour son périple, les ampoules, les codes des marcheurs, les rencontres, etc. Il n’y a pas de filtre. C’est comme si elle s’adresse directement au lecteur, avec franchise. Elle utilise des expressions québécoises, un peu d’anglais aussi, souvent des gros mots et surtout des insultes à l’encontre de Fabrice et Laure. Ça lui fait un bien fou de sortir toute cette colère. Cette aventure sportive et humaine l’a fait évoluer forcément. Elle marche un bon bout de chemin avec trois autres compagnons : Louis, Louise et Chris.
J’ai aimé cheminer avec Alice. Ce premier roman au ton résolument contemporain et décalé m’a embarquée. J’espère retrouver bientôt la plume de Rosalie Roy-Boucher. L’occasion aussi de vous parler des éditions Bouclard, une petite maison d’édition indépendante basée près de Nantes, qui publie également une excellente revue littéraire. A découvrir si vous êtes curieux des objets littéraires !
Ce premier roman est le mémoire de création littéraire de l’autrice, publié en 2018 aux éditions de Ta mère, une petite maison d’édition québécoise à la ligne plutôt irrévérencieuse. Lors d’une rencontre en ligne, elle a dit avoir fait le chemin de Compostelle à l’âge de 25 ans, il y a 13 ans. Il y a donc du vécu dans ces pages écrites de façon fragmentaire, composée d’extraits de journal et d’étapes du voyage. Sur le chemin, Alice « chiale » beaucoup. Au début elle ne voit pas la beauté autour d’elle mais grâce à Chris et ses pauses photos incessantes, son regard va changer.
Si vous voulez entendre son accent québecois, rien de mieux que le replay VLEEL !
Incipit :
Notre-Dame-du-Puy
Je suis arrivée hier au Puy.
Vol direct jusqu’à Lyon. Vol à rabais.
J’ai pris le train jusqu’à Clermont-Ferrand.
C’était du déjà-vu, Clermont-Ferrand.
J’ai reconnu les panneaux, le café Caf’Crème où le jambon-beurre a augmenté de deux euros.
J’ai grimpé dans l’autocar après avoir filé quelques centimes au guitariste à la chevelure gominée qui se faisait aller les blue suede shoes au coin de Jeanne d’Arc et de l’avenue de l’Union Soviétique. J’ai pas su s’il quêtait ou si c’était un loisir. Anyways.
Deux heures plus tard, je suis sortie de l’engin. Devant moi, la cathédrale du Puy-en-Velay. Impressionnant, mais bof. Une église, c’est une église.
J’ai dormi au refuge communal. Une espèce de gymnase rempli à sa capacité maximale de lits superposés. C’était donativo. Contribution volontaire. J’ai fait la cheap. Huit euros, j’ai donné. Je suis pas encore partie que déjà je vie comme une pauvresse.
La vérité, c’est que je le suis, pauvre, comme Job pis sa gang de BS. Cassée comme un fucking clou. J’ai laissé mon boulot d’écrivaine de petites annonces pour partir à l’aventure. Pour m’échapper, pour m’extirper. J’ai vendu mes meubles, entreposé mes boîtes, donné ma démission, acheté une paire de pantalons de randonnée hors de prix qui sèchent en un rien de temps même sous l’orage et sacré mon camp.
« Une semaine que je marche c’est pas mal beau c’est pas mal fou une semaine que je me draine les ampoules en faisant des grimaces la meilleure méthode c’est d’y faire passer un fil à coudre si quelqu’un m’avait dit un jour que je ferais de la couture dans ma peau je l’aurais pas cru. C’est pas mal beau c’est pas mal fou et je comprends pas pourquoi je suis là j’avance en catchant pas j’avance avec mon sac comme les autres on avance avec nos sacs pour voir si l’herbe est plus verte plus loin. Les autres me parlent je fais la bonne Québécoise sociable le cœur n’y est pas mon cœur est resté à Montréal dans les mains de Fabrice Picard qui le triture et lui rentre des aiguilles de bord en bord pour le drainer mon cœur est resté dans leurs mains à Laure et à lui et ils le pressent entre leurs poitrines lorsqu’ils s’enlacent et lorsqu’il se font l’amour encore plus qu’avant parce que c’est légal maintenant. Une semaine que je marche et que le décor se meut et se transforme et que les oiseaux cui-cuitent et que je suis loin bien loin du mal montréalais et je marche et je suis les autres et ça change rien.
Je m’arrête, je me recouds et je continue. »
Un avis sur « Alice marche sur Fabrice / Rosalie Roy-Boucher »