Lulu, fille de marin / Alissa Wenz

En 2022 j’ai lu le premier roman d’Alissa Wenz dans le cadre du Prix Orange du Livre. J’avais beaucoup aimé « L’Homme sans fil ». C’est donc avec joie que j’ai accueilli cette masse critique de Babelio. Je découvre par la même occasion cette collection, « Une vie, une voix » des ateliers Henry Dougier. Ce sont récits personnels racontant des vies ordinaires, des métiers, une France passée, « notre mémoire commune ».

Dans ce petit livre de 107 pages paru en 2019, Alissa Wenz rend hommage à sa grand-mère Bretonne, née à la fin des années 1920. Tantôt elle raconte, tantôt elle pose des questions à sa grand-mère et rapporte leurs dialogues. Lucienne dite Lulu s’exprime simplement. Parfois on entend un accent ou du patois dans ses phrases. Elle raconte par bribes son enfance, sa famille, son père marin, son mariage mais aussi la condition féminine, la vie à la campagne, la guerre, l’occupation allemande. On voit une femme évoluer à travers le XXe siècle. Elle fait partie d’une génération qui a eu peu de droits et destinée à être des épouses et des mères, laissant de côté leurs rêves. On sent aussi de la nostalgie et quelques regrets de la part de Lucienne.

Alissa Wenz termine le livre en disant ce qu’elle sait de sa grand-mère, un portrait touchant qu’elle conclut par cette phrase :

« Je sais de ma grand-mère qu’elle m’aime, et que je l’aime. »

Ce témoignage permet de garder une trace d’une époque et c’est en cela que cette collection est un élément patrimonial intéressant. C’est aussi une belle leçon de vie que Lulu transmet avec tendresse à Alissa.

Je remercie Babelio et les ateliers Henry Dougier pour cette lecture

Note : 3.5 sur 5.

Incipit« 1932. La tempête. La nuit. Un village en Bretagne, Ploüer-sur-Rance, entre Dinan et Saint-Malo. Une petite maison, au port. Une chambre. Une femme et sa fille pleurent, serrées l’une contre l’autre. La pluie tambourine aux fenêtres, le vent s’époumone, les bourrasques sont terribles. La femme a vingt-neuf ans, sa fille six ans et demi. Elles pleurent, encore et encore, les larmes ne s’arrêtent pas plus que l’eau du ciel. C’est qu’elles pensent à l’absent, le père, le marin, le capitaine, qui part pêcher la morue à Terre-Neuve et s’éloigne six ou sept mois par an. Ce soir, il est en mer, il revient de Bordeaux à Saint-Malo. Par un temps pareil, on sait qu’il risque le pire. La tempête est affolante, un bateau n’y résisterait pas. »

« Pas besoin de savoir lire pour garder les vaches. » Cette simple phrase, dans son injustice flagrante, a suffi à insuffler le goût de la culture et de l’écriture à cette modeste famille de paysans et de marins. Un esprit de résistance aussi, farouchement entretenu par le père, le terre-neuvas, volontiers anticlérical, anticonformiste, généreux, adoré de tous – il fut maire de Ploüer pendant près de vingt ans, dans les années 1960-1970.


Et elle rit d’un air mutin, pétillant, avant de se replonger dans ses rêves de jeune fille : « Oh, moi, j’aimais bien valser. Qu’est-ce que j’aimais valser ! J’allais au bal avant, avec mon cousin P’tit Louis ! Oh, je valsais ! J’adorais ça. Je s’rais bien prise pour valser maintenant. Je serais vite par terre ! »


« Je sais de ma grand-mère que c’est une femme du XXe siècle. Qu’elle a traversé des événements, des coutumes, des relations, des chemins profondément ancrés dans leur époque. Qu’elle a vécu une féminité qui était la féminité de celles de sa génération, celles que l’on destinait d’abord à devenir des épouses et des mères, celles qui ont construit leur mariage, leur foyer, alors qu’elles n’étaient encore que des jeunes filles rêveuses, à peine sorties de l’enfance. Celles qui ne divorçaient pas, ou si peu. Celles dont les enfants ont eu vingt ans en mai 1968, celles qui approchaient déjà de la cinquantaine au moment de la loi Veil, qui leur semblait évoquer des pratiques d’un autre monde, d’une autre vie. Celles qui ont tout donné à leur famille. Je sais de ma grand-mère que sa vie ordinaire est ordinaire et extraordinaire à la fois. »

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