L’enfant rivière / Isabelle Amonou

Dès les premières pages on sent que quelque chose dissone, est-ce Zoé ? où le monde dans lequel vit Zoé ?

Le roman s’ouvre avec Zoé, une jeune femme qui chasse. Que chasse-t-elle ? souvent des animaux mais parfois des humains aussi. On se trouve plongé dans un monde qui ressemble au nôtre mais avec une dystopie assez proche, située en 2030, à moins que ce ne soit un roman d’anticipation. Enfin bref, il n’est pas toujours nécessaire de classer, catégoriser, etc. Parfois certains romans cochent plusieurs cases et d’autres ne se trouvent dans aucune ! Ce qui est sûr c’est que c’est un roman qui interroge sur notre société et qui vous emporte dans un souffle romanesque (surtout dans la deuxième partie pour moi).

Il se passe au Canada, essentiellement au bord de la rivière des Outaouais où a grandi et vit encore Zoé. Elle a eu un enfant avec Thomas. A l’âge de 4 ans, Nathan disparaît mystérieusement. S’est-il noyé dans la rivière proche ? A-t-il été enlevé ? Après des semaines de recherches infructueuses, et de reproches de la part de Thomas envers Zoé, leur couple vole en éclat. Thomas part du jour au lendemain pour Paris. Il revient 6 ans plus tard, à la mort de son père. Il assiste à l’enterrement, puis vide la maison pour la mettre en vente et oublier cette partie de sa vie. Il veut retourner en France au plus vite. Mais il ne peut résister à l’envie de voir Zoé avant de repartir, alors qu’il n’a pas pris de nouvelles d’elle depuis sa fuite. Il découvre le quotidien de Zoé, les camps de migrants, les enfants survivants dans les bois, etc.

En 2030, il y a des guerres dans le monde, des réfugiés climatiques, beaucoup de violence. Les autorités canadiennes offrent des primes pour des mineurs capturés et livrés qui seront ensuite enfermés dans des camps puis envoyés derrière un mur en Alaska.

Et puis il y a ce mystère autour de la disparition de Nathan. Alors que Thomas a tiré un trait sur la possibilité de le retrouver, Zoé est persuadé qu’il est encore en vie.

Différentes voix alternent pour raconter cette histoire. Ce qui est assez intéressant puisqu’on a différents points de vue, essentiellement ceux de Zoé et Thomas. Mais aussi celui de Camille, la mère de Zoé. Elle a vécu dans un pensionnat pour autochtone, perdu son frère et basculé dans l’alcool. Puis elle rencontre Martin, le père de Zoé, qui va « la sauver ». Zoé grandit dans une famille dysfonctionnelle avec un père violent et une mère incapable d’un geste d’amour.

Le rythme du roman s’accélère dans la deuxième moitié et la tension présente au début du roman se fait plus pesante. L’autrice tire les fils de son histoire et tout se met en place, se révèle au lecteur.

J’ai aimé le personnage de Zoé, le mystère autour de la disparition de l’enfant, la présence de la nature et l’évocation de la culture autochtone avec sa terrible histoire. C’est aussi une quête identitaire. Peut-on se sentir Algonquin lorsqu’aucune culture n’a été transmise ? Je précise que ce n’est pas un roman de nature writing et que l’autrice est Bretonne ! Ce livre est né d’une résidence d’écriture à Gatineau, à la frontière entre le Québec et l’Ontario.

Un roman intéressant, aux multiples sujets, avec un beau portrait de femme, du suspense, que je vous invite à découvrir dans les chroniques d’autres lecteurs qui ont partagé cette lecture commune, notamment sandra_etcaetera.

Merci VLEEL et Dalva pour cette lecture

Note : 4 sur 5.

Prologue :
« Zoé frissonna. Elle éprouvait l’excitation du chasseur parvenu au bout de sa traque. Elle y était, enfin. Dans la lunette du fusil, il apparaissait plus grand. A moins de cinquante mètres, elle ne raterait pas son tir. Ça lui avait pris trois jours pour repérer le groupe. Puis celui qui s’en éloignerait. Poursuivre et attendre. Les nerfs à vifs, comme chaque fois. Affûtée par le danger. Se fondre dans la forêt, disparaître, effacer ses propres traces et son odeur. Mais eux aussi avaient développé un instinct nouveau pour affronter le sien, ancestral. La partie de cache-cache devenait plus difficile. »

« C’est plus un monde pour avoir des enfants. Je sais pas quoi lui dire, à ma fille. La température va encore augmenter de trois degrés dans les vingt ans qui viennent, les océans vont monter, la rivière va déborder tous les ans, on se tapera d’autres tornades, on sait plus quoi faire des réfugiés. »

« Ici on ne les tirait pas à vue, on ne les massacrait pas. Mais on essayait de les arrêter à la frontière et on les mettait dans des camps, ça aussi ils l’avaient compris, ils faisaient donc tout pour échapper aux autorités. Ils avaient appris à vivre seuls. A s’enfoncer dans la forêt pour qu’on ne les capture pas. Ils avaient appris à voler. Et aussi à pêcher, à chasser, à cueillir, à tuer. A survivre. On en parlait de plus en plus souvent dans les journaux, à la radio. Le fléau mineur du Canada, des dizaines de bandes plus ou moins organisées qui maraudaient, chapardaient, volaient, et parfois tuaient. Ce n’était plus à Mexico, Bogota ou New York, c’était ici, au Québec, que ça se passait. C’était partout dans un monde déboussolé, mais c’était ici plus qu’ailleurs, parce que le Canada s’en sortait plutôt bien, ça se savait, ça les attirait. Des enfants de plus en plus jeunes. Au début, la police, les services sociaux, les associations, tout le monde avait essayé de gérer ça au mieux. Personne n’avait réussi. Ils étaient trop nombreux. »

« Pour la plupart, les enfants perdus étaient imprévisibles. Calmes un instant, violents le suivant. Instables et dangereux. »

« Sa mère ne lui avait enseigné ni la langue ni la culture de ses ancêtres. La seule chose qu’elle lui avait transmise, c’était sa peau sombre, son œil gauche et ses cheveux noirs. Elle avait laissé pousser Zoé comme une fleur sauvage de rocaille. Sans racines. Si tu grandis entre deux cultures, si tu portes les marques des deux et les manques des deux, tu es juste nowhere. C’était comme ça qu’était Camille. Thomas lui avait appris qu’on appelait ça une « pomme » : rouge à l’extérieur et blanche à l’intérieur. Une paria. C’était comme ça aussi que se sentait Zoé. A moitié rouge et à moitié blanche. Mais contrairement à Camille, elle était plutôt rouge à l’intérieur. Elle n’avait pas voulu ça, pour Nathan. Lui qui n’avait qu’un quart de sang autochtone ne serait jamais algonquin, de toute façon. Elle l’avait dit à Thomas. Soit on est autochtone, soit on ne l’est pas. Thomas avait rétorqué que cette décision appartenait à l’enfant, qu’elle ne pouvait résulter que de ses propres choix, que Clément avait ce choix, lui qui n’était que « demi ». Et qu’en refusant la nationalité à Nathan, elle lui ôtait cette liberté de choix. Elle s’était contentée de hausser les épaules. On verrait bien quand il serait adulte. Oui, mais… »

« Elle devait expliquer à ses enfants pourquoi elle avait accepté de peindre et d’exposer ce qu’elle ne pouvait nommer, ce qu’elle s’était toujours refusée à raconter. Elle aurait pu, comme tant d’autres, confier son histoire à la Commission de vérité et réconciliation. Elle aurait pu raconter la séparation, le pensionnat, la disparition de son frère, mort sans sépulture, la violence, l’impossibilité de se reconstruire. Elle n’avait pas voulu. Elle n’avait pas pu. Même à ses enfants elle n’avait pas pu. Surtout à ses enfants. Elle s’était laissé ronger de l’intérieur en tentant de les préserver. Encouragée en ça pas Martin qui prétendait qu’il ne servait à rien de remuer les vieilles histoires. Mais le silence aussi blesse et réprime. Parfois plus que les mots. C’était Thomas qui lui avait appris ça, le premier. Le seul à qui elle avait accepté de s’ouvrir un tant soit peu, à la condition expresse qu’il n’en rapporte rien à Zoé. Et plus récemment, la fille de Clément, sa petite-fille qui allait sur ses seize ans, était venue la voir. Elle devenait adulte et réclamait la vérité, comme son père. Cette histoire ne concerne pas que toi, mais aussi toute notre famille. Toutes les générations de notre famille. Tu dois parler. Pour toi et pour nous. »

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