Mona vit avec Paul, ils ont une fille, Rosalie qui a 6 ans. Mona a deux garçons d’un premier mariage qui ont la vingtaine. Premier mariage qui lui a permis de fuir le domicile parental.
Elle rencontre Vincent, prof de Tai Chi et débute une relation avec lui, pas sexuelle plutôt de confiance mêlée à de l’amour. A lui elle ose tout dire, y compris ce qu’elle tait depuis toujours.
On plonge alors dans l’histoire familiale. Ses grands-parents juifs quittent la Tunisie pour la France, à cause du racisme et de la violence à leur égard. Ils passent d’une belle vie à la misère. Ils s’installent à Paris où la grand-mère trouve un travail.
La mère de Mona se marie à 19 ans avec un homme originaire de Tunisie également. Mais sa forte myopie l’empêche de travailler. Son mari la rabaisse. Son salaire ne suffit pas à subvenir à leurs besoins. Ils se mettent alors à voler dans les supermarchés.
Quand Mona naît, ils ne changent rien à leurs habitudes et tout naturellement la petite vole comme ses parents lors de leur virée hebdomadaire. Mona remarque que son père est content, même fière d’elle quand elle réussit à voler un autoradio. A partir de ce moment-là elle fait tout pour faire plaisir à son père. Elle attend un geste d’amour en retour de ses parents. Mais sa mère dépressive, reste froide et distante. Le jour de la naissance de son petit frère, toute sa vie bascule.
Son enfance rime avec faim, froid, honte, vol, mensonge, jamais de vêtements ni de chaussures à sa taille, puis violence. Elle quitte ses parents et son petit frère qu’elle aura peu connu pour fuir un événement qu’elle occulte pour survivre, pour fuir son père. Dans ce texte, il est aussi question de la perte de l’enfance, d’une brisure qui marque toute une vie.
Quand écrire devient un besoin, une urgence vitale, cela donne ce roman à fleur de peau, émouvant, mais aussi avec un style et une poésie qui donne envie de lire encore cette primo-romancière.
Une belle découverte grâce aux fées des 68 premières fois.
Incipit :
« Il ne vient pas me chercher à la gare, il ne m’appelle pas pour mon anniversaire ni pour savoir si je vais mieux à cause du rhume qui m’a clouée au lit. Il ne m’écrit pas de cartes postales de là où il est, jamais il ne me laisse de message téléphonique. Nous n’allons pas au restaurant ni au cinéma, faire les magasins, prendre un café. Je ne lui demande pas ce qu’il fait en ce moment, ni ce qu’il fera l’été prochain, ni s’il s’ennuie depuis qu’il est à la retraite. Je me couperais la langue plutôt que de prononcer son prénom. »
« Cette histoire, c’est une tache de vin sur un chemisier blanc. J’ai pourtant fait le nécessaire, tout ce que j’ai pu, j’ai effacé son nom de mon répertoire, celui de ses amis aussi, j’ai jeté toutes les photos, j’ai brûlé tous les dessins, je ne dis jamais papa. »
« J’ai commencé à comprendre le jour où j’ai commencé à écrire, arrêtant de courir sur les tommettes. Il y avait ce que j’étais prête à donner et ce que j’étais vouée à retenir. Mon histoire était emballée dans du papier journal, parfois quelques lettres s’en échappaient, formant des mots, rarement des phrases, je cofondais aimer avec marié, écrire avec crier. Je m’empruntais de temps en temps puis retournais là où l’on m’attendait, le corps devant un évier ou au-dessus d’une poussette, j’étais une femme, une mère, jamais une fille. »
« Je croyais que ma mémoire était un lieu sans importance, je saurais plus tard qu’elle est une eau qui bout. »
« A trente-deux ans, j’avais émacié mes rêves jusqu’à en dépeupler mon existence tout entière, j’étais aussi perdue qu’une photo mal cadrée prise entre les pages d’un dictionnaire. »
« Je n’ai pas dormi de la nuit, le sommeil me prenait pas intermittence comme un temps capricieux, entre deux éclaircies. »
« Ces hier ont longtemps teinté de gris ses aujourd’hui, ils ne laissaient ni bosses ni bleus, elle boitait pourtant devant demain. Sa mémoire, ce n’est pas le passé qu’elle contient, mais le présent qui la déborde. Il y a ce qu’il faut décider de dire pour ôter ce manteau brodé d’écailles jeté sur les épaules, congédier ce chagrin qui aboie dans son cœur, liquider le chien et la putain qui lui sourit dans le miroir de la salle de bains, retourner à ses puzzles. Je vois l’enfant nettement maintenant, comme prise dans l’étau d’un médaillon, je suis prête à appuyer sur le bouton-ressort, soulever la petite vitre. »
« Quelque chose se refermait sur nous, le beau qu’on a rêvé, le bleu qu’on n’a pas peint, minuit jamais atteint. »
Un avis sur « Une nuit après nous / Delphine Arbo Pariente »