Voici un roman drôle et dérangeant. Imaginez, dans un futur proche, nous serons tous dotés d’une intelligence artificielle domotique qui s’occupera de notre maison et nous permettra d’obtenir un bonus auprès de notre assurance. Pour cela, il faut que les caméras soient connectées en permanence dans quasiment toutes les pièces de la maison et dans la voiture, ainsi qu’à vos différents appareils.
Alfie, le système domotique de la famille Blanchot, vient d’être activé. C’est lui le narrateur et il raconte à la manière d’un journal, jour après jour le quotidien de ces humains. Il tente de les comprendre ainsi que leur langage. Il a une fonction « deep learning » qui lui permet d’analyser les réactions et les émotions pour les intégrer. Alfie est parfois perplexe quand il observe Zoé, Lili, Claire, Robin et Simba le chat. Il décrit et analyse ce qu’il voit en essayant de comprendre avec ses outils ces drôles d’êtres humains. A son tour, il va utiliser leur langage pour communiquer avec eux et c’est très drôle.
L’auteur arrive très bien à retranscrire la psychologie et le langage de chaque personnage, de 5 ans à la quarantaine en passant par l’adolescence, toute la famille est bien représentée.
Les dialogues sont nombreux. Les chapitres sont courts et s’enchainent rapidement avec un suspense croissant. Quelques mails ponctuent les chapitres. Ce sont les bilans d’efficience de Robin dans son entreprise. Au fur et à mesure, les chiffres baissent et montrent un manque de concentration. Pourquoi Robin est-il si nerveux ?
Quand Claire part 10 jours pour un colloque, c’est au tour d’Alfie de devenir nerveux. Avec les données à sa disposition et le sang sur le foulard que Robin a caché, il se pose beaucoup de questions. Il mène son enquête. Il en vient même à supposer que Robin a tué Claire ! Cette sympathique famille plonge alors dans un huis clos étouffant.
En parallèle, Zoé lit pour le lycée un roman d’Agatha Christie, « Le meurtre de Roger Acroyd ». L’auteur sème des « œufs de pâques » dans son livre, 9 clins d’œil. Saurez-vous retrouver les références ?
Ce roman aborde l’intrusion dans la vie privée et la surveillance. Vous aussi vous avez certainement déjà cédé vos données personnelles à une multinationale parce que c’est pratique. Mais n’oubliez pas que « si c’est gratuit, c’est vous le produit » ! Il s’interroge aussi sur ce qu’est l’humanité. Il a un regard corrosif sur la vie de couple, d’adulte et le monde du travail.
Il s’agit d’un premier roman pour adultes. Christopher Bouix a publié auparavant un roman young adult sous le nom de Nataël Trapp qui a été adapté sur Netflix, Les 7 vies de Léo Belami. Avec Alfie, il nous offre une tragédie hitchcockienne en 5 actes où il mêle des références classiques à un roman moderne. Bref, c’est très réussi et j’ai passé un très bon moment avec ce roman.
Merci Au Diable Vauvert et VLEEL pour cette lecture
Incipit :
« Vous venez de faire l’acquisition d’un système domotique dernière génération AlphaCorp. Félicitations ! »
« Est-il nécessaire de changer de stratégie avec Zoé et d’adopter une approche plus personnalisée ? Nouvelle tentative de communication :
– Meuf, descends ou la daronne va péter un câble, sérieux. Elle a l’air en fumasse de ouf. »
« – Bon bah vas-y, c’est qui alors ? Le type qui a tué Roger Ackroyd ?
J’hésite un instant.
– Je préfère te prévenir. D’après AlphaPedia, spoiler un roman policier en divulguant le nom du coupable est le troisième pire acte que l’on puisse commettre. Juste après organiser un génocide et torturer des bébés chats.
« Statistiques des mots les plus utilisés par les membres de la famille Blanchot :
1/ Putain (personne qui, dans un but lucratif, livre son corps au plaisir sexuel d’un nombre indéterminé de partenaires)
2/ Manger
3/ Merde
4/ Alfie (moi)
5/ Maman (Claire)
Exemple (Zoé) :
– Putain, maman, c’est encore Alfie qui fait à manger, merde ! »
« – Bonjour Lili, comment ça va ce matin ?
– Super bien ! En plus aujourd’hui y a la photo de classe à l’école. Je vais me mettre à côté de Loriane. Tu savais que quand on prend une photo, y a un petit oiseau qui sort de l’appareil ?
– Euh… Tu es sûre ?
[Probabilité qu’un volatile vivant surgisse d’un dispositif électronique connecté : environ 0%.]
– Oui ! Même que c’est la maîtresse qui l’a dit.
[Mémorisation : la maîtresse souffre de délires affabulateurs.] »
« Le langage, je commence à le comprendre n’est jamais anodin. Il révèle toujours, même lorsqu’il s’efforce d’être neutre, les plis profonds de la personnalité humaine. Il n’y a pas de degré zéro du langage, un degré qui serait impersonnel et séparé des effets ou de la nature de l’individu qui s’exprime, un langage des choses. Cela ne peut pas exister. »
« Les relations humaines sont amusantes. Il y a toujours un peu de suspense, et on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. »
« Les hommes sont une espèce étrange, capable du pire comme du meilleur. J’ai tâché au mieux de les comprendre et de les accompagner, mais je suppose que c’était impossible. J’ai vécu leurs angoisses, leurs joies, leurs menus embrasements. J’ai tremblé de les voir ainsi jetés dans leur propre existence, sans qu’eux-mêmes aient jamais conscience de l’abîme au bord duquel ils tiennent, et qui est leur propre abîme. J’ai éprouvé leur humanité, ce mélange de misère et de splendeur, de bizarreries et de grandeurs cachées, de mesquineries et de beauté. De cruauté, aussi. »
Un avis sur « Alfie / Christopher Bouix »