Sorte de roman dans le roman, deux histoires s’entremêlent dans ce premier roman. Celle de la narratrice qui s’installe au Havre pour ses études et sort de sa première histoire d’amour. Et celle de Flora et Zak, 15 ans, qu’écrit la narratrice.
Elle écrit leur histoire et se remémore en parallèle la sienne qui lui laisse un goût amer. Elle s’inscrit sur Tinder, fait des rencontres, mais rien ne la satisfait. Elle n’arrive pas à oublier son premier amour. Elle peine à passer à l’âge adulte.
Flo/Flora et Zak se connaissent de vue depuis l’école primaire. Ils viennent de milieux sociaux différents. Ils se croisent à une soirée et s’embrassent. Ainsi débute leur relation, hésitante, pleine de désir. L’autrice réussit très bien à retranscrire les préoccupations des adolescents, les sentiments, les peurs.
J’avoue avoir été embrouillée au début par l’enchevêtrement des deux histoires. Je ne sais pas si c’est dû au fait de l’avoir lu en version numérique. Les pronoms se mélangent également. Parfois je ne savais pas de qui il s’agissait, de quel point de vue se plaçait la narratrice. Donc j’étais un peu perturbée au départ, puis je me suis laissée prendre par la poésie du texte, par l’écriture singulière de Lili Nyssen.
Un premier roman intéressant, un style, une nouvelle écrivaine à suivre !
Merci à Netgalley et Les Avrils pour cette lecture
Incipit :
« Une bouteille de vodka disparaît et jaillit entre les corps. Tout le monde danse serré, le goulot éponge les lèvres mouillées, le sol tremble – c’est le voisin et son balai. »
« Tu l’aurais rangé dans la bibliothèque alors que j’aime que les livres vagabondent. Je disais laisse, ça fait de la vie. Tu disais non, ça fait du bordel. »
« On n’arrivait pas à le dire. Je t’aime. On tournait autour du pot. On était encore un peu ados mais est-ce que ça passe après, est-ce qu’on a moins peur quand on est grand. »
« Dehors dans la nuit, ses pas meurent sans se taire, juste, ils cessent d’être. »
« On roule vers Calais. On se détache du Havre et ça faisait longtemps pour Flora ; tendre vers l’ailleurs, faire de la place dans le figé des images mentales jusqu’ici accumulées. »
« June désormais est grande et serrée, tout en elle se rétracte comme s’il fallait s’amoindrir. Pas assez de place pour elle dans le monde. Flo ne sait plus comment ça s’est terminé. Il n’y avait pas eu de drame, juste un effacement. L’amitié brouillée, nos consciences désassemblées alors que c’étaient deux aimants, je ne sais plus ce qu’on pouvait se dire pour que ce soit si fort et que soudain, plus rien. »
« Ça brûle d’être si loin. Une douleur pas tout à fait chagrin ; j’aimerais que tu sois là mais l’horizon s’entrebâille. Je ne respire plus ton air, je décolle un peu. Déjà dans la nuit qui tombe, sous les liseuses au plafond, déjà j’oublie un peu que tu me manques. »
« Elle ne s’habille pas, enfile le peignoir des beaux jours. Humide encore, prend place sur le tabouret du piano. Elle n’y a pas touché depuis des mois, n’a plus vérifié l’accordage ni travaillé un morceau. Il fallait éloigner la musique comme une tristesse, tout faire taire un moment. Ces derniers temps ont été aux fantômes, aux traces cherchées dans les coins, fonds de café secs, affaires oubliées ; traces effacées peu à peu à force de grands ménages compulsifs et puis regrettés. »
« Il ne porte pas le ciré jaune qui traîne dans le placard, ni les bottes. Il aurait l’air de quoi, d’un bâton de colle. »
« Donc. Flo et Zak vacillent devant la même mer, dessoudés, il ne reste plus que la Manche pour réunir encore. Les cœurs battent pareil, en écho sur l’eau qui vrille mais les pulsions sont inversées. L’eau sombre les attire tous les deux. Maintenant on attend que le tumulte gonfle, qu’il attrape, renverse les corps. Que le denier souffle remonte à la surface, une bulle qui rompt sans bruit ? Après tout je peux, si je veux, les renverser. Un peu de drame. Et en même temps c’est inutile, il n’y aurait pas d’effet Titanic puisqu’un voyage scolaire, seulement, les désunit déjà. »
« Flora, chaleur. Soudain il veut rattraper sur sa bouche les jours infinis sans elle. Hier encore il ressentait que dalle, Flo dérobée, l’amour dans les tiroirs. Zak oublie vite mais parfois, nez dans le cou, parfois pop-corn au Gaumont des Docks, devant un bon Marvel, proches, collés, les corps s’attisent et il est comme réparé, rond, sans craquelures. Il faudrait prélever ces moments-là, les conserver dans des bocaux sur des étagères. On composerait comme ça son cabinet des curiosités avec toutes les bizarreries. »
« Zak mon amour, je n’ai pas envie de te voir tout de suite, j’ai peur d’avoir été trop heureuse pour retrouver ton silence et ta gueule cassée, ta manière de tuer la joie et de la garder, sous la semelle comme une araignée. »
« Tu préfères dire ou protéger ? on se demandait en fumant des clopes.
Protéger.
Mais le silence aspire tout comme quand une étoile meurt. »
« Flora toujours oscille entre la tentation de disparaître et la rage d’être au monde. »
Un avis sur « L’Effet Titanic / Lili Nyssen »