Les gens de Bilbao naissent où ils veulent / Maria Larrea

Voici un premier roman très fort de cette rentrée littéraire. J’ai été totalement emportée par la plume et l’énergie de l’autrice, impossible d’arrêter ma lecture. Bref je l’ai dévoré, passionnée par l’histoire familiale de Maria et de ses parents Julian et Victoria.

Le roman commence avec des scènes dures. Ensuite il alterne entre passé et présent. Julian et Victoria ont tous les deux été abandonnés par leur mère à leur naissance et confiés à un couvent. Julian fuit sa mère à 14 ans et s’engage dans la marine. A 10 ans, Victoria est récupérée par sa mère pour s’occuper de ses frères et sœurs. Son quotidien sera fait de misère, de labeur et de violences infligées par son père. Ils n’ont pas eu d’amour de la part de leurs parents. Quelques années plus tard, ils se rencontrent et c’est le coup de foudre, le mariage puis l’exil vers la France. Cette nouvelle vie est loin d’être facile. Il faut apprendre une nouvelle langue et accepter un travail pas très gratifiant. Même s’ils reviennent chaque été à Bilbao, ils seront des étrangers aussi bien en France qu’en Espagne.

Maria raconte son enfance et son adolescence entre son père alcoolique et sa mère mutique, angoissée. Devenue adulte, une tarologue lui révèle un terrible secret qui bouleverse sa vie et la pousse à faire des recherches sur sa famille et sa naissance à Bilbao. Un test génétique lui en apprendra beaucoup sur son arbre généalogique.

Maria, double de l’autrice, est née à Bilbao, a grandi à Paris et fait des études de cinéma pour devenir réalisatrice et scénariste. On sent un style cinématographique dans l’écriture. On a l’impression d’être dans un scénario qui ne laisse pas de répit au lecteur ni aux personnages d’ailleurs. Le ton est vif, direct, familier et sincère. Je me demande quelle est la part de fiction et de réalité dans ce roman. Elle met aussi en lumière un épisode honteux et douloureux de l’histoire espagnole. Maria nous confie ses doutes et ses peurs pendant l’écriture de cette quête identitaire.

Je serai assurément au rendez-vous pour son prochain roman, car ce premier roman est une belle entrée en littérature. Un coup de cœur !

Note : 5 sur 5.

Incipit :
« On ne se souvient pas du moment de sa naissance.
Je ne me souviens pas de la mienne, de naissance. C’est impossible d’ailleurs, les structures cérébrales permettant de fabriquer les souvenirs sont immatures chez le nourrisson. Je sais simplement ce qu’on me raconte à ce sujet-là. Mamá, dis c’était comment quand tu as accouché de moi ? Pues como todo el mundo. Eh bien, comme tout le monde. Une femme, un utérus, un fœtus, un nouveau-né à l’arrivée. C’est ça le trajet, le modus operandi dans ma tête d’enfant, d’adolescente et même d’adulte. »

« Victoria fit un timide pas en avant, et sourit.
Ce sourire, le premier d’une enfant à sa mère, allait rester sans réponse toute sa vie durant. »

« En s’adaptant à cette vie, le cerveau de Victoria s’était modifié, au lieu de grandir, de s’étendre ou de rêver, il réduisait. Toutes ses missions, ces collisions et agressions avaient modifié ses synapses, son activité neuronale s’amenuisait. Victoria ne dormait presque plus. Hypervigilante, elle redoutait les courts moments où elle somnolait, elle était alors en proie à des cauchemars violents. La structure de son hippocampe et ses hormones lui jouaient des tours. Victoria se mit à bégayer, cherchant des mots, butant comme si elle avait oublié le sens du langage pendant sa nuit blanche. Il fallait qu’elle parle vite, qu’elle crache les mots comme des pépins d’orange. Elle se concentrait tellement qu’elle perdait le fil de ce qu’elle voulait dire. »

« Dans la queue des douanes, je n’avais pas encore dix ans que je me sentais déjà coupable de je ne sais quoi. Je me sentirai coupable toute ma vie, devant les portillons des grands magasins, ceux de l’aéroport, devant les flics, les professeurs, les contrôleurs et les directeurs. »

« Quand j’observais mon père arriver à Bilbao, j’avais l’impression de voir une vedette de cinéma. Il portait ses plus beaux polos, des chemises Lacoste neuves, ses poches étaient pleines de billets, des centaines de francs qu’il changeait contre des milliers de pesetas. Une année de travail se transmutait en restaurants, côtes de bœuf, glaces et cadeaux. On vivait là comme des riches mais tout le quartier se foutait discrètement de notre gueule, nous étions les pijos, les bourgeois, franchutes, les Français. Pas d’ici. Je sentais bien le regard des autres enfants sur moi, nous avions le même âge et pourtant nous n’avions pas grand-chose à voir. Je voulais être espagnole comme eux mais j’y arrivais mal. Ils jugeaient mon accent, me jaugeaient, mais j’étais habile. Pour m’intégrer, j’arrosais allègrement la bande de gosses du quartier de bonbons gélatineux, paquet de chips, je prêtais ma Game Boy à qui voulait. Je passais ma vie dehors et j’étais aussi heureuse sur les terrains vagues aux seringues usagées que dans les humbles potagers des vieilles dames à chat. Je montais à l’arrière des vélos des garçons, jambes bronzées comme des knackis, le cœur battant d’une midinette. Ma mère, elle, vivait sa vie, elle papillonnait avec son mascara bleu. Plus rien à récurer, la femme de ménage se transformait sous mes yeux en femme moderne. »

« Le Pays basque pour les Basques était son mantra, lui l’immigré qui habitait Paris et buvait du bordeaux dans un restaurant grec tenu par des Égyptiens. Il voulait incruster dans ma cervelle cette fierté de l’appartenance, tu es basque, tu n’es pas espagnole. »

« A l’inverse des plantes et des fruits, nous, humains, pourrissons dans l’invisible. Cancers, tumeurs, crises cardiaques, AVC, tout se meurt à l’intérieur, parce que l’homme est malhonnête. »

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