J’avais été bouleversée par le premier roman de Djaïli Amadou Amal, « Les impatientes ». Ce second roman est tout aussi fort et même davantage.
Il est toujours question de la condition des femmes africaines. Le personnage principal est une jeune fille, Faydé. Elle vit dans un village du Cameroun avec sa mère, sa petite sœur et ses deux petits frères. Son père a disparu lors d’une attaque de Boko Haram. La vie est rude. A cause de la sécheresse, ils n’ont plus rien à manger. Alors Faydé décide de partir à la ville pour trouver un emploi de domestique à l’instar de ses copines et envoyer de l’argent à sa mère. Celle-ci s’y oppose formellement. Mère et fille se tiennent tête. La mère finit par se résoudre à la laisser partir malgré ses craintes. Elle aurait voulu une autre vie pour sa fille, qu’elle aille à l’école et puisse être indépendante. Et surtout qu’elle ne subisse pas le même traitement qu’elle à son âge.
Faydé quitte son village pour la première fois et arrive dans la ville de Maroua. Srafata s’occupe de lui trouver une place et de lui apprendre les bases du métier, les codes de conduite et les astuces. Après leur journée de travail, elles se retrouvent et dorment dans une même pièce avec deux autres filles du village. Malgré leur condition, elles rêvent de trouver l’amour comme toutes les jeunes femmes. D’ailleurs il y a une très belle histoire d’amour que je vous laisse découvrir.
Ce roman est très instructif et d’actualité. On en apprend beaucoup sur la vie des domestiques considérés comme des moins que rien. La polygamie est aussi au cœur de cette histoire. Cette région située au nord du Cameroun est la cible d’attaques terroristes de Boko Haram. Les femmes sont menacées de toutes parts. Djaïli Amadou Amal dénonce le patriarcat et le pouvoir des hommes de violer en toute impunité que ce soit par le mariage forcé, l’enlèvement ou l’appartenance à une classe inférieure.
Je me suis totalement attachée à Faydé, espérant qu’elle s’en sorte et que la vie ne soit pas trop dure avec elle. La plume a gagné en puissance et souffle romanesque. J’ai dévoré ce roman, voulant savoir ce qu’il adviendrait de l’héroïne. Ce livre est un coup de cœur pour moi et je vous recommande vivement sa lecture.
Merci Djaïli Amadou Amal et Emmanuelle Collas pour ce magnifique roman, puisse-t-il toucher de nombreux lecteurs et faire avancer la situation des femmes au Sahel.
Incipit :
« La matinée est à peine entamée. Le soleil déploie déjà sa toile écarlate, laissant augurer une journée caniculaire. Peut-on s’attendre à autre chose, à cette période de l’année ? La saison des pluies n’est qu’un lointain souvenir. Le mois de janvier tire à sa fin, emportant avec lui les dernières brises fraîches, ultime répit avant les grandes chaleurs. Les champs s’étendent jusqu’au pied de la montagne et les épis secs de sorgho qui jonchent le sol accentuent la teinte dorée du paysage. »
« – Faydé grandit. Elle ne peut pas rester indéfiniment sous tes pagnes.
– Cette ville est dangereuse. Surtout pour une jeune fille si naïve.
– Pas plus que ce village. Nous étions toutes naïves quand nous y sommes allées.
– Ces gens de la ville… Tu sais comment ils sont ! Et si elle se fait violer ? Ou pire ?
– Ici aussi un homme peut l’enlever, la violer ou l’épouser de force, et tu ne peux rien y faire. Violer relève d’ailleurs de la tradition, et c’est ce qui risque de se produire si elle s’attarde plus longtemps ici ! »
« – Ta Srafata est là-bas depuis deux ans. Tu n’as pas peur, dis-moi ?
– Le cœur d’une mère peut-il avoir ne serait-ce qu’un instant de répit ? Mais même avoir peur est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre. Laisse partir ta fille, Kondem. De toute façon, que tu le veuilles ou non, elle s’en ira. Et ne pleure pas. Il faut souvent en sacrifier un pour que les autres survivent. »
« Kaado est un terme péjoratif et méprisant pour désigner « ceux qui ne sont pas peuls », ou plutôt qui ne s’identifient pas comme tels. Implicitement, ce terme désigne tous ceux de la classe dit « inférieure ».
Car, bien avant la colonisation occidentale et chrétienne, les Peuls, même s’ils ne s’en vantent pas, ont participé à la traite des esclaves, ont conquis toute la bande sahélienne par la force de l’épée sous le prétexte du djhad, sont devenus les plus puissants et les plus riches et, de ce fait, considèrent tous les autres peuples comme inférieurs.
Mais, si l’on traite ouvertement de kaado les domestiques, personne n’oserait librement qualifier de kaado un non-Peul instruit ou suffisamment aisé pour ne pas travailler pour autrui et ne dépendre de personne. »
Je me le note 😉
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