Voici un roman drôle et décalé. Il est divisé en trois actes. Le lecteur est plongé dans la vie du narrateur, un homme solitaire et dépressif, aux réflexions souvent absurdes.
L’auteur parsème des indices dans le livre pour nous aider à mieux cerner cet homme replié sur lui-même. Il télétravail tout le temps sauf deux fois par an où il doit se rendre à Paris pour suivre une sorte de séminaire d’entreprise. Il va voir un psychiatre mais invente des histoires pour ses séances. Il vit dans le déni car la réalité est trop dure à accepter.
Le roman s’ouvre avec une scène dans une animalerie. L’homme est intrigué par un poisson, un combattant. La vendeuse pensant qu’il veut acheter un poisson engage la conversation et lui donne des conseils pour s’occuper de cet animal. Elle le laisse réfléchir puis revient à l’attaque et lui demande s’il le prend et comme il est incapable de prendre une décision mais ne veut pas le montrer, oui c’est absurde, il répond par l’affirmative.
Il se retrouve donc dans son appartement avec un poisson. Et puis un jour il se met à lire un poème de Baudelaire à voix haute et se rend compte que l’animal s’arrête de tourner dans son bocal. Il est attentif comme s’il l’écoutait. Lorsqu’il arrête de lire, le poisson retourne à son activité principale, nager. Le personnage principal passe alors son temps à lui faire la lecture, l’occasion de placer de nombreuses citations dont on retrouve les références à la fin, ainsi que les vins accompagnant ces lectures. C’est une véritable ode à la littérature : peut-elle nous sauver ou en tout cas répondre à nos questions ? Le roman prend alors une tournure philosophique et s’interroge sur le sens de la vie. Le lecteur est parfois interpellé.
Certes c’est drôle mais au bout d’un moment je tournais en rond, un peu comme Cookie ! J’ai trouvé quelques longueurs dans le 1er acte qui font que je n’ai pas eu de coup de cœur pour ce roman. Il y a aussi beaucoup de citations, peut-être trop ou trop longues, écrites en petits caractères. Peut-être n’ai-je pas vu toutes les références et je suis passée à côté de ce livre. En tout cas c’est un roman surprenant et original, entre spectacle d’humour et citations littéraires qui plaira certainement à d’autres lecteurs.
Ce roman fait partie de la sélection pour le Prix Orange du Livre, fortement recommandé par les deux libraires du jury. N’hésitez pas à aller lire la chronique de Geneviève qui l’a adoré !
Incipit :
« Curieusement, on évoque souvent le fruit du hasard, mais jamais l’arbre sur lequel il pousse. Des milliards de branches dispersées au-dessus de nous sans doute, avec pour immense tronc l’univers noir aux racines passionnées. Quoi qu’il en soit, ce fut grâce à l’un de ces fruits venus s’écraser près de moi que je rencontrai Cookie. Emprisonné dans un aquarium rectangulaire d’un rayon animalerie, il furetait de gauche à droite, de haut en bas, inlassablement, peut-être à la recherche d’un trou par lequel fuir. Son corps éclatait d’un blanc resplendissant, bondissant, euphorisant. Je suis persuadé que s’il avait possédé une masse volumique de 3,3464 x 10³ kg/m³, certains l’auraient confondu avec la lune, malgré ses plaques d’écailles et ses branchies. »
« J’attends la nuit avec la plus grande impatience, l’instant vide où je rejoins mon carnet matelassé d’or, bleu nuit. Je tire sur l’élastique noir, et les pages, ces grands papillons blancs griffés de noir, jaillissent de leur cage. Et moi de la mienne, mon chagrin et ma honte en bandoulière, mon encre pour élixir. Assise à ma petite table face au mur blanc, les jambes nues, je cherche le silence qui n’existe pas, j’entends encore les pas, les cris étouffés, le métal qui couine, la ville qui soupire. »
« Je bégayai quelques mots que je ne compris pas moi-même. Jusque-là, rien de surprenant : je ne me comprenais plus depuis des années déjà, à tel point que parfois je me devenais à moi-même un parfait inconnu et sursautais à la découverte de mon existence, ce qui avait pour inconvénient de m’offrir de sacrées frayeurs lorsque je croisais mon reflet. »
« Je n’osai pas terminer ma phrase. J’avais honte d’avouer que je ne savais pas m’occuper des autres. Je les laissais facilement pourrir dans un coin, d’où la relative solitude dans laquelle je barbotais, non sans plaisir d’ailleurs. Je me définissais comme « un cadavre qui flotte », formule chère à un écrivain dont l’influence avait été malheureusement déterminante dans ma vie. Aussi docile qu’un bout de bois mort, je m’abandonnais aux courants de la sociabilité, voguant d’une soirée à un café, d’un restaurant à une réunion, caparaçonné d’une épaisse écorce capable de dissimuler la couche de bois putride. »
« La vendeuse poursuivit ses explications durant plusieurs minutes. Le débit était précis, rapide, clinique. Je n’écoutais pas tout, de temps en temps mon esprit allait nager à côté du combattant. Je ne suis pas une personne très attentive ; il y a toujours une idée qui m’attirait ailleurs, en dehors du formel hic et nunc. On me le reproche souvent. Les gens ont du mal à accepter qu’être inattentif n’a rien d’une offense ; il s’agit juste d’une façon de voyager léger, ça permet plus de liberté dans les pensées. »
« Elle me porta soudain un coup terrible : « Je vous laisse réfléchir, je suis juste à côté, au cas où vous auriez d’autres questions. » Je blêmis. Réfléchir ne me convenait pas. Effrayé par le gouffre immense de la réflexion, je pouvais rester paralysé des heures immobiles à me pincer les lèvres, me tordre les poignets ou me balancer d’un pied sur l’autre. »
« On a tort d’imaginer la lecture comme une activité reposante. C’est tout le contraire. Lire implique d’imaginer, de comprendre, de déchiffrer, de construire, et de conserver l’esprit en alerte. A chaque phrase, une surprise est possible. Épuisant. »
« Je divague. Ou plutôt, j’écrivague. Calmons-nous. »
« Le vent giclait, encombré des restes de l’hiver. Il faisait si froid que les bouts de mes doigts étaient tout rouges, ils ressemblaient à des mini-cornets sorbet fraise. Dans la rue, j’avais du mal à tourner les pages de mon roman, alors de temps en temps, je m’arrêtais boire un café brûlant afin de me désengourdir les mains. »
« Je piochais livre après livre à la recherche d’une réponse. Des milliers de livres, des milliards de mots, forcément quelqu’un avait dû parvenir à résoudre l’énigme. »
« L’enfer ce n’est pas les autres, mais les questions imposées par leur existence. »
Un avis sur « Les écailles de l’amer Léthé / Eric Metzger »