J’avais eu un gros coup de cœur pour le précédent roman de cette autrice, « Lettre d’amour sans le dire » paru en 2020. Je suis donc ravie d’avoir pu lire ce livre en avant-première.
Une fois plongé dans ce roman, vous ne pourrez plus le lâcher. Amanda Sthers, véritable conteuse, nous offre 7 histoires se déroulant à Naples. Le narrateur est Jacques, un français qui a vécu 40 ans au-dessus du café Nube où se déroulent les histoires. Il est portraitiste, caricaturiste et se promène toujours avec un carnet. Il observe les gens qui entrent dans le café, les habitués et ceux de passage. Dans toutes les histoires on trouve un café suspendu, un café déjà réglé et offert à celui ou celle qui n’a pas les moyens de le payer. Des personnages ou des éléments reviennent dans les histoires. Il y a toujours de la malice dans les lignes écrites par Amanda Sthers. Elle fait notamment un clin d’œil à Elena Ferrante et à sa saga « L’ami prodigieuse » qui se déroule à Naples.
J’ai aimé l’atmosphère du café et de la ville. Ces tranches de vie sont humaines et dessinent en creux le portrait du narrateur qui détient également sa part de mystère. En effet Jacques est parti précipitamment de Paris et nous en révèlera la raison avant la fin du roman.
La structure du roman se calque sur celle d’un opéra, avec notamment une ouverture, un intermezzo et un final.
Dans certaines histoires on trouve aussi des légendes ou des faits historiques. Il y a des histoires d’amour, d’adultère, d’écrivain, de médecine chinoise, de camorra, de malédiction et quelques allusions au confinement. Vous lirez entre autres celle d’Aldo, devenu insomniaque, qui aimerait retrouver le sommeil.
Un roman très agréable à lire, drôle, avec des personnages attachants, qui plaira sans aucun doute à de nombreux lecteurs !
Merci à VLEEL et aux éditions Grasset pour cette lecture en avant-première et la très belle rencontre hier soir.
Replay sur la chaîne Youtube VLEEL et podcast sur les plateformes dédiées.
Incipit :
« OUVERTURE
(à l’italienne)
Si vous fermez les yeux, vous entendrez les linges qui dansent au vent comme autant d’étendards, les mâts clinquants des bateaux, les voix qui rient ou crient au loin, la mer Tyrrhénienne qui s’en va et revient, quelques Vespa agiles, et tout ce chœur improvisé vous dira qu’un chemin est gravé sous les semelles de ceux qui foulent les pavés napolitains. Il y a dans Naples une injonction organique, une boucle de l’Histoire à laquelle on doit se soumettre, une sensation aiguë du destin. On ne peut échapper à ce que cette ville a inscrit dans le livre de notre vie, on doit s’y résoudre comme in s’abandonne malgré la peur dans les bras de l’être aimé.
Mon nom est Jacques Madelin, j’ai soixante-douze ans. Je suis français mais une histoire m’a mené dans la baie de Naples il y a quarante-deux années. J’ai perdu l’amour mais je suis resté dans la ville. Je vis dans un petit appartement au-dessus du bar de Mauricio Licelle, mon meilleur ami. La café Nube appartenait à son père et son grand-père avant lui. Nube veut dire nuage ; de lait, de pluie, dessin dans le ciel ou annonce d’un orage. Nuage comme le flou de mon cœur incapable d’aimer à nouveau.
Lorsque l’on commande un café à Naples, on peut en régler un second indiqué sur l’ardoise du bar comme un café sospeso ; un café suspendu, offert à qui entrera sans avoir les moyens d’en payer une tasse. »
« Ce qu’on offre, ce n’est pas un café, c’est le monde autour, du chahut à partager, des regards à croiser, des gens à aimer. »
« Voici un récit fait de sept histoires que j’ai recueillies par bribes au café Nube pendant les quarante dernières années, toutes sont liées par ce fil invisible qu’est le café suspendu. »
« Tout semblait faux mais j’avais envie de la croire parce qu’elle racontait si bien. Elle m’expliqua que Naples était le personnage central de son roman et que ses personnages étaient tous truffés de défauts car c’était la seule manière de donner un sentiment de vérité, elle aimait à répéter que les êtres avaient tous l’âme boiteuse et que Naples, ville schizophrène, sale et sublime, vieille, défigurée et majestueuse était la représentation de l’essence humaine, et un portrait fidèle de celle qu’elle pensait être. »
« C’est pour ça que j’écris sur Naples vous comprenez, pour me débarrasser d’une chose de moi-même, pouvoir commencer une vie neuve.
– Et vous en ferez quoi ?
– C’est une bonne question. Je pense que je ne le saurai qu’une fois le roman écrit. Je suis encombrée de trop d’histoires pour le moment. C’est comme si j’étais hantée, et que mes fantômes se servaient de moi pour finir leur tâche.
– Je pense qu’être artiste, c’est être hanté. On croit que ça n’arrive qu’aux maisons mais ça arrive aussi aux gens, les gens hantés deviennent des écrivains. » »
« J’écris quand même, je n’ai pas le choix. C’est en moi comme je respire. Mais c’est violent. Un livre qui n’est pas lu n’existe pas, il n’est même pas écrit. Il n’est pas un fantôme, il est le néant. »
« J’aurais dû m’en douter, seules les femmes peuvent vous laisser le souvenir impérissable d’une rencontre qu’elles ne vous ont même pas accordée. Si j’avais su comment la reconnaître, j’aurais sans doute pu en tomber amoureux. »
« Cette fois, le médecin l’ausculte. Aldo est si fatigué que sous sa peau, on parvient à voir la trace de ses vêtements d’enfance. Il a l’air d’un gosse en pyjama. »
« Les livres, ce sont les rêves que quelqu’un d’autre nous prête. »
« Il y a les gens heureux et ceux qui créent. Je n’ai pas eu la vie que j’imaginais mais mon cœur s’est senti à sa place au fond de ce café, penché sur mon carnet. Alors, si vous en avez les moyens, je vous encourage à laisser ce récit dans une chambre d’hôtel, un wagon de train ou un banc pour qui ne pourrait pas s’offrir un livre. Un roman suspendu. »
Un avis sur « Le café suspendu / Amanda Sthers »