De nouveaux endroits / Lucile Génin

Gros coup de cœur pour ce premier roman qui m’a fait passer par toutes les émotions ! Un roman traitant de beaucoup de sujets, très actuel.

Mathilde est une jeune fille de 17 ans très attachante. On la voit évoluer dans les 3 parties du roman et quitter progressivement l’adolescence pour devenir adulte. Elle a un sacré caractère, un peu insolente et plutôt révoltée ou en tout cas en colère. C’est un peu normal avec l’enfance que sa mère lui a fait vivre. Sa mère, Anne, enchaîne les cures de désintoxication pour retomber dans l’alcool à chaque fois. Après le divorce, son père a demandé sa garde. Il a refait sa vie avec une femme commissaire plus jeune que lui. Ils ont eu deux garçons. Mathilde n’apprécie pas sa belle-mère mais son opinion va peu à peu changer quand sa mère va tomber amoureuse de son infirmière, Olive.

17 ans, c’est aussi le moment de choisir son orientation après le baccalauréat, une question difficile, que faire de sa vie ? Mathilde est passionnée par le cinéma mais son père dit que ce n’est pas un métier.

17 ans, c’est aussi l’âge des premiers amours, désirs et relations sexuelles. Entre amour et amitié, comment se conformer à l’image que les autres attendent d’elle. Sa poitrine est plate et elle ne met pas des robes et des talons comme son amie Hélène. Elle préfère courir encore et encore, s’échapper.

Et un jour, elle tombe sur des lettres et le journal intime de sa mère à son âge. Elle comprend que le problème d’alcool de sa mère est aussi une profonde dépression commencée dans une autre vie. Sa mère ne lui a jamais parlé de sa vie au Canada ni de sa famille. C’est comme si elle n’existait pas. Mathilde va mener son enquête, tenter de découvrir ce que cache sa mère et décider de partir au Canada rencontrer sa grand-mère maternelle.

Le face-à-face mère-fille est émouvant. Chacune a ses blessures.

Lucile Génin glisse de temps en temps des remarques sur l’écologie, le féminisme, l’éducation des hommes. Chaque personnage est intéressant et a une épaisseur.

J’avais parfois l’impression de suivre une série TV. L’écriture est dynamique. C’est une jeune fille de 17 ans qui raconte son histoire. Il y a des rebondissements, en tout cas de l’action, qui fait qu’on ne s’ennuie jamais. Bref je l’ai dévoré en une matinée lors de mes congés. Un premier roman très maîtrisé. J’ai hâte de lire d’autres livres de cette jeune autrice.

Merci Babelio et les Éditions du Sous-Sol pour cette lecture

Note : 5 sur 5.

Incipit :

« J’avais écrit une liste, le jour de mes 14 ans, de ce que je devais avoir fait avant mon dix-septième anniversaire. La liste incluait :

–          Embrasser un garçon
–          Partir très loin
–          Faire une connerie
–          Avoir mes règles
–          Expliquer à mon père que je déteste Cathy
–          Boire de l’alcool
–          Empêcher ma mère de retourner en cure de désintoxication

Pendant que je frottais le sang sur le fond de la culotte dans les toilettes blafardes, je me suis fait la réflexion que j’avais vraiment coché la seule case dont je me serai bien passée, à tout bien réfléchir. »

« Dans le miroir, une grande fille blonde et gracile, une fille tout étirée en muscles. Une fille aux yeux bleus translucides, si clairs qu’ils donnent toujours l’impression qu’elle ne regarde jamais vraiment ses interlocuteurs en face. Une fille sans seins, sans hanches, qu’on ne regarde pas. Une fille qui court en rond parce qu’elle est encore trop jeune pour aller où que ce soit seule. Une fille disproportionnée, au style vestimentaire bizarre, dans une grande maison bourgeoise de centre-ville, au milieu du bordel de sa chambre, en soupente, avec une grande fenêtre et vue sur les toits. Souvent, elle s’assoit sur le rebord de son velux et elle contemple le ciel pendant des heures, en se demandant comment c’est d’être adulte, comment c’est d’être libre, comment c’est d’être ailleurs.

Cette fille, c’était moi. Mathilde Champollion, comme l’égyptologue. »

« C’était mon moment. Celui du « non ». Sauf que c’était trop dur, car en face de moi il y avait mon ami Jules. Celui qui me portait depuis mes 11 ans, entre mes bagues dentaires et mes points noirs. J’étais sur le point de tout perdre.

Doucement, il a placé sa main dans la mienne et il s’est approché.
Intense ralenti. Très haut au-dessus de moi-même.
Il était sûr de lui. Comment aurait-il pu ne pas l’être ?
Et maintenant il avait ses lèvres à deux centimètres des miennes.

Alors d’un coup d’un seul, mon corps a dit « non ». Il a pris les commandes. J’ai fait un écart juste à temps, et j’ai vomi ma pizza sur nos deux paires de pieds si proches l’une de l’autre. »

« J’avais le cœur au bord des lèvres. Je ne sais pas pourquoi il m’avait fallu attendre cette vision fatale des bigoudis dans les cheveux pour que l’injustice me frappe.

Alors je suis descendue à la cave. Pour retrouver l’autre mère. Cette adolescente fantasque et si inattendue que je ne pouvais pas la lire trop longtemps sans avoir l’impression tenace de violer quelque chose d’intensément sacré. Mais ce matin-là il n’y avait plus de sacré alors qu’on en était à sonner les noces et à sabrer le champagne. »

« Je bois une coupe de champagne, puis deux, puis trois.

Je me suis souvenue du jeu d’alcool stupide de Jules : « Si tu mens tu bois. » Tu m’étonnes qu’elle soit devenue alcoolique après toutes ces années à mentir… Peut-être que moi aussi j’allais devenir alcoolique d’ailleurs, tiens. J’avais des raisons, non ? »

« J’avais eu l’impression d’entendre feu Mémé quand elle poussait un peu trop sur le lambig, et ça n’avait rien d’un compliment. Ça avait tellement tempêté ce soir-là, que Cathy avait dû monter rassurer mes frères dans leur lit. Mon père n’était pas du genre à se mettre beaucoup en colère, il préférait fuir par des chemins de traverse. Mais je l’avais suffisamment étudié pour trouver son détonateur. Et alors il se fendait d’une colère noire, impénétrable, et pétrifiante, que même Cathy n’osait pas affronter. Il y avait dans l’air électrique et dans nos éclats de voix quelque chose qui n’appartenait qu’à nous. »

« Tu sais, les mères et les filles, c’est pas facile. Surtout quand elles nous ont tant désirées. »

« Mathilde, être une femme dans un monde bricolé par des hommes, c’est être constamment traitée de manière différenciée, et faire quotidiennement face à des injustices. Mais plus il y aura de jeunes femmes qui diront que ce n’est pas normal, plus on s’habituera. Plus ils s’habitueront. »

« On éduque les petits garçons en leur donnant le monde dans les mains. Eux ils peuvent tout faire : coucher, ne pas coucher, briser des cœurs, aborder des filles quand les filles n’en ont pas envie… »

« Mon père était dubitatif.

Je le savais parce qu’il avait dit : « Je suis dubitatif », et il avait fait sa moue de circonstance. Il était partagé et perdu. Et je le savais parce qu’il avait fait la même tête que quand Cathy lui demande de choisir entre deux de ses robes ou entre le chapon et la dinde à Noël. »

« – Tu peux pas dessiner comme tu dessines sans un regard artistique.

– Je sais pas ce que ça veut dire, être artiste. Ma mère peint depuis toujours et pourtant elle a toujours eu besoin de l’argent du liquor store pour tenir. Donc je suis pas sûr de ce que ça implique d’être un artiste. C’est quoi la différence entre elle et un mec qui expose au Guggenheim pour une tonne d’argent ? Qui dit qui est un vrai artiste ?

– Je pense pas qu’être artiste soit lié à ce que tu fais de tes œuvres, ou à comment tu les montres au public. Moi, personne a jamais vu mes films à part moi-même. C’est juste ma manière à moi de voir le monde. C’est ça, être artiste. Une manière de voir le monde. Enfin, selon moi. »

« Elle m’a emmenée dans des parcs régionaux qui protégeaient une rainforest intacte de coupes et s’ouvraient sur des palais d’écorces, de pins de Douglas que des dizaines de corps bout à bout n’auraient pu encercler. C’étaient des monstres de vivants, et pour la première fois j’ai compris : je n’avais jamais vu de vrais arbres. De ceux que de mémoire humaine on n’a jamais ni plantés ni coupés. »

3 commentaires sur « De nouveaux endroits / Lucile Génin »

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