L’autre moitié du monde / Laurine Roux

J’ai découvert Laurine Roux en 2020 avec son deuxième roman, « Le sanctuaire », que j’ai adoré. Elle était déjà publiée aux éditions du Sonneur qui fut également l’une de mes belles découvertes en matière de maison d’édition. Bref deux chouchous. Vous l’aurez compris, cette lecture partait déjà avec un a priori très positif. Et je n’ai pas été déçue. Dans un registre différent, Laurine Roux nous emmène cette fois-ci en Espagne, dans les années 1930. C’est une période d’histoire que je ne connais pas trop mais qui m’a passionnée.

Le roman s’ouvre avec Pilar, la mère de Toya, travaillant dans les cuisines du château de la Marquise, une bonne femme tout à fait détestable avec ses employés. La Marquise et son mari possèdent tous les terrains alentours et emploient toute la main d’œuvre locale dans leurs champs. Ainsi, Juan, le père de Toya, travaille dans les rizières. Au milieu de cette vie dure et des humiliations subies, pousse Toya, une enfant sauvage ou « pequeña salvaje » comme la nomme ses parents avec tendresse. Et il y a aussi le fils de la Marquise, Carlos, un homme violent. Mais je ne vous en dis pas plus pour ne pas divulgâcher.

Un autre personnage important est Horacio, l’instituteur. Outre sa culture et son piano, il amène une idée nouvelle, collectiviser les terres et encourage les paysans à se rebeller.

Le lecteur suit l’histoire du point de vue de Toya, d’abord jeune fille de 13 ans qu’on voit grandir et devenir une femme. L’autrice nous offre de beaux portraits de femmes.

Laurine Roux parsème son roman de mots en espagnol. J’ai eu l’impression à plusieurs occasions de me trouver en Espagne, de sentir la chaleur du soleil sur ma peau, les délicieuses odeurs de cuisine de Pilar. J’ai aimé me promener dans cette nature sauvage, dans le marais avec Toya notamment.

Je me suis attachée à Toya, à sa famille et à tous les paysans. Laurine Roux a construit son roman en 3 parties, intercalant le présent afin de mieux ménager le suspense. D’ailleurs la fin m’a particulièrement émue. Ce roman vous fera passer par toutes les émotions.

J’ai retrouvé un peu de la noirceur de « Né d’aucune femme » de Franck Bouysse. Ces histoires de maîtres et de domestiques, de pouvoir, de secrets et de violence.

Un roman d’aventure, d’amour, de révolte et de vengeance que j’ai beaucoup aimé et lu quasiment d’une traite.

A noter dans vos agendas, une rencontre en visio et en vrai est organisée par VLEEL, le 18 février à 19h30 avec Laurine Roux à l’hôtel littéraire Le Swann à Paris : https://vleel.com/rencontre/vleel-avec-laurine-roux-a-lhotel-litteraire-le-swann-paris/

Note : 5 sur 5.

« Toya se demande : en va-t-il ainsi des êtres humains ? Existe-t-il chez les meilleurs, sa mère par exemple, une poche qui retiendrait toutes les pulsions ? »

« Toya ne rentre pas directement à la baraque, s’arrête au bord d’un bassin et glisse dans l’eau saumâtre. Elle laisse les carpes s’enrouler autour de ses chevilles, attend. L’enfant se demande si un jour, les histoires des grands seront moins opaques. »

« Elle hausse les épaules. Pourquoi pas. Ça lui permet d’esquiver l’essentiel : elle ignore ce qu’est un piano.

La gamine découvre l’énorme instrument, le chêne vernissé et les arabesques. Ils poussent la bête du couloir jusqu’au fond de la classe. A chaque à-coup, de drôles de sons émanent du bois, des résonances, des grondements proches de l’orage. Horacio s’enthousiasme, il en est sûr, ses élèvent vont adorer. […]

C’est là que la chose se produit. Assis sur le tabouret, Horacio presse une touche. Toya est clouée sur place. La même note, six fois, grave, lasse, qui donne vie à une silhouette. Celle-ci apparaît devant les yeux de la gamine, nette, parfaite, avançant sur un chemin sans paysage, sans passé ni avenir – juste la solitude renouvelée de chaque instant. La note a cette tenue, digne, et la petite y voit sa mère qui part au Château. Les larmes envahissent ses yeux. Horacio appuie sur une deuxième touche. Tout de suite, une autre couleur. Une seconde silhouette se détache, marchant à côté de la première – c’est son père conduit en prison. Toya apprendra plus tard sur les deux notes portent un nom, qu’elles s’appellent ré et mi. Pour l’instant, elle goûte les sons, les laisse déposer leur image au creux de ses paupières, celle de corps jumeaux. Qui marchent, contigus, parallèles. »

« Pourtant, ça aurait pu continuer comme ça pendant des siècles. Personne ne dira le contraire. Alors qu’est-ce qui les a poussés à cesser le travail ce jour-là ? Des malheureuses, il y en a eu d’autres. Alejandra, par exemple, sans chercher bien loin. Allez savoir pourquoi, cette fois-ci c’est différent… Certains allègueront que les événements se produisent quand ils sont mûrs. Ce matin, c’était une grenade pleine à craquer de jus ; il a suffi d’en effleurer la peau pour qu’elle explose. Le plus important, c’est qu’ils soient là, rassemblés autour de la baraque, en brassée d’oiseaux autour du nid. »

« Les anguilles cherchent toujours à retourner là où elles sont nées. »

« Pilar saurait. Elle ne se précipiterait pas, ferait un geste pour dire, Viens. Ensuite, elle préparerait un bon plat, quelque chose qui réchauffe au-dedans. Une zarzuela, avec ses moules, ses langoustines et tout le toutim. Elle poserait l’assiette sur la table sans rien dire. Il y aurait de la fumée qui s’échappe, les parfums emmêlés – tomates, encornets, bouquet garni –, ils diraient les heures passées à éplucher, dépiauter, l’envie de faire plaisir. Peut-être que Pilar regarderait Toya manger, ou bien elle en profiterait pour laver la casserole. A la fin elle essuierait ses mains contre son tablier, s’assiérait ¿°Qué pasa pequeña ? Juan en est sûr, sa fille parlerait. »

5 commentaires sur « L’autre moitié du monde / Laurine Roux »

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