Voici un premier roman très original dans cette rentrée littéraire, une nouvelle voix venue de Suisse. Rebecca Gisler est diplômée de l’Institut littéraire suisse et du master de création littéraire de l’université Paris-8. Elle est également traductrice.
En 122 pages elle dresse le portrait de « l’oncle ». C’est ainsi qu’il sera nommé tout le long du roman. La narratrice et son frère ont la vingtaine, ils sont traducteurs de notices d’aliments pour animaux pour un site de vente en ligne. L’oncle a la cinquantaine et il semble effectivement être resté « coincé quelque part en enfance », comme le dit la quatrième de couverture. Ils vivent tous les trois dans une maison au bord de la mer en Bretagne. La mère de la narratrice, qui est aussi la sœur de l’oncle, vit en Suisse.
Le style est particulier mais on s’y fait assez vite. Une phrase peut avoir la longueur d’un paragraphe. Elle est sans cesse rallongée par un « et » pour poursuivre l’idée développée. Le ton est vif, parfois enjoué. On sourit, parfois on prend un air dégoûté. On se dit qu’un tel oncle ne peut exister et puis finalement si. Quand on y réfléchit, on trouve quelqu’un dans son entourage qui n’est pas à cheval sur l’hygiène, à la diététique très discutable, avec des manies bizarres, etc.
Entrez dans cette famille « biscornue », découvrez cet oncle marginal, vous ne regretterez pas cette expérience de lecture !
J’ai aimé les références parsemées par l’autrice. J’ai été hypnotisée par cette écriture singulière, unique. Un court roman qui dépote ! Je suis curieuse de lire un second livre de cette autrice.
Incipit :
« Une nuit, je me suis réveillée avec la certitude que l’oncle s’était enfui par le trou des toilettes, et alors, poussant la porte des cabinets, j’ai constaté que l’oncle, en effet, s’était échappé par le trou des toilettes, et sur le carrelage il y avait un tas de confettis de papier hygiénique et des plumes blanches par centaines, comme si quelqu’un y avait une bataille de polochons, et la cuvette des toilettes ainsi que les murs étaient badigeonnés de poils et de toutes sortent de fientes, et regardant le petit trou de faïence, je me suis dit que ça n’avait pas dû être facile pour l’oncle, et je me suis demandé ce que j’allais pouvoir faire pour le sortir de là, sachant que l’oncle doit peser un bon quintal, […]. »
« Assis, l’oncle a le ventre comprimé contre la table, et le ventre de l’oncle est tellement gros qu’il a l’air séparé du reste de son corps, comme un fardeau, ou comme un animal de compagnie, mais il faut dire que malgré son ventre qui est sûrement très lourd, l’oncle se tient toujours bien droit, son dos s’adapte gentiment au dossier de la chaise et non l’inverse, et son ventre de compagnie déborde toujours un peu sur la table, et il ondule et il gargouille tout à fait comme un animal qui serait posé sur ses genoux, et l’oncle regarde l’écran noir de la télévision et il dit, dommage qu’elle ne marche par la télé quand même. »
« Il est peut-être important de préciser que nous ne nous asseyons jamais en face de l’oncle, la place en face de l’oncle étant réservée aux invités que l’on veut mettre à l’épreuve, aux nouvelles amoureuses de mon frère, par exemple, à toutes sortes de jeunes gens trop polis pour se révolter, car dîner en face de l’oncle c’est accepter de partager sa nourriture, je veux dire que c’est accepter les trombes de postillons qu’il vous partage à la figure, en effet l’oncle est très bavard, et ce surtout avec les nouveaux venus, ceux qu’il s’agit de mettre à l’aise. »
« Il y a une marche à l’entrée de la chambre de l’oncle, et ma mère a failli tomber car il y avait près de vingt ans qu’elle n’avait passé cette porte, et ma mère en relevant la tête s’est exclamée : quelle horreur ! et mon frère lui n’a rien dit, il avait les yeux qui brillaient, et ma mère a répété quelle horreur, et moi j’avais envie de faire demi-tour, et ma mère a encore dit quelle horreur, et je suis restée sur la marche dans le nuage de poussière qu’avait soulevé ma mère en trébuchant, et j’ai bien regardé les yeux de mon frère et la chambre de l’oncle. »
Un avis sur « D’oncle / Rebecca Gisler »