Tosca / Murielle Szac

Il s’agit du deuxième roman de Murielle Szac publié aux éditions Emmanuelle Collas.

Le 28 juin 1944, sept hommes Juifs sont raflés et se retrouvent enfermés le temps d’une nuit dans un placard à balai qui sert de cellule à la milice de Paul Touvier à Lyon. Le destin les réunit pour venger la mort de Philippe Henriot.

Ce court et poignant roman est basé sur une histoire réelle qui obsède l’autrice depuis de nombreuses années. Elle a été journaliste et a couvert le procès de Paul Touvier en 1994. Elle a voulu par la fiction redonner vie à l’un de ces 7 prisonniers dont l’identité reste inconnue à e jour. Après de multiples fausses pistes et des évocations dans des poèmes, elle a suivi les conseils de Bruno Doucey et a choisi la fiction pour terminer cette histoire.

Dans un véritable huis clos, elle retranscrit les émotions de chacun, qu’il soit résistant ou simplement arrêté à cause de son identité. Leur relation évolue au fil de la nuit. D’abord méfiants, ils s’ouvrent peu à peu aux autres. P’tit Louis est mal en point après avoir subi des tortures en tant que résistant. Il tient bon, ne veut pas trahir ses camarades. D’autres ne comprennent pas leur arrestation, ils sont des citoyens respectables et qui respectent les lois. Ils sont tous Français, les prisonniers et les geôliers. Et puis une voix s’élève, celle d’Ange qui chante un air d’opéra Tosca, « le chant de celui qui va mourir à l’aube », moment suspendu dans cette cellule.

Un roman en 3 actes, comme l’opéra de Puccini. Qui montre comment en une nuit une vie peut basculer à cause de l’antisémitisme.

Un roman où le lecteur sent l’odeur de la peur et celle de la mort. Comment rester digne alors qu’on se sait condamné ? Comment aurais-je réagi à leur place ?

Un roman contre le racisme et la violence, qui résonne malheureusement fort dans notre monde actuel où « la littérature est un rempart contre la barbarie » (Emmanuelle Collas).

Un roman essentiel.

Replay VLEEL à voir avec des lectures émouvantes.

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« Emile Z.
Les coups de feu claquent dans le dos du jeune homme, secs et brefs. Roger n’a que le temps de prendre ses jambes à son cou. Il ouvre à toute volée la porte de l’arrière-boutique et dévale la rue principale. Les quatre hommes qui viennent de surgir dans la cour, l’arme au poing, en tentent même pas de le poursuivre. Ils ne sont pas venus pour lui, mais pour son oncle. Les voilà qui gravissent l’escalier du premier étage, non sans avoir fait main basse sur le tiroir-caisse de la bonneterie, et font irruption dans la salle à manger où Emile et Julienne, sa femme, s’apprêtent à dîner. »

« C’est donc cela, l’odeur de la mort ? Un mélange de gas-oil, de sueur et d’urine ? Des habits chiffonnés, un menton mal rasé, la peau qui démange et les pieds qui puent. Quelle fin misérable… »

« Je regarde mes compagnons, un à un, presque tendrement. Nous sommes si différents. Juste un point commun, ce petit morceau de prépuce qu’on nous a coupé enfants. Et ce lambeau de peau en moins nous désigne comme frères. Nous marque au fer rouge. Nous destine à être rayés de la carte. »

« Cinq mètres de long sur quatre-vingt-dix centimètres de large. Oui, c’est bien cela, la cellule fait moins d’un mètre de large, il en est sûr. C’est qu’il a le coup d’œil pour mesurer les coupons de tissu sans même utiliser de règle. Son patron vante souvent devant les autres coupeurs cette précision infaillible. Avec lui, jamais de gâchis. Et ça tombe juste. Dès qu’ils l’ont jeté à l’intérieur, il a machinalement mesuré l’espace. C’est un réduit à rats, un placard pour ranger les balais. Le plafond est en soupente. L’atmosphère chargée de poussière prend à la gorge. Sur le mur en face de la porte, un soupirail grillagé distille une faible lueur. »

« Il n’y a plus d’air. Plus d’heures, de minutes, de secondes. Juste un grand trou noir, un vertige. La peur brute qui broie les entrailles. Est-il donc vrai que nous allons mourir demain ? Est-il donc vrai que je ne serai plus vivant demain ? L’esprit bute sur cet avenir sans nous. Comment se représenter l’irreprésentable ? Le jour qui se lèvera et que nous ne verrons pas. »

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