Mille hivers / Renaud de Chaumaray

Sorte de huis clos sur une île de Gascogne, ce premier roman est original et ressort tout particulièrement de cette rentrée littéraire, bref je l’ai beaucoup aimé et vous le recommande !

Sur cette île, d’une circonférence de 4 km, se trouvent un vieil homme mourant, sa fille, Dorothée, et le gardien, Tortu. Mais surtout il y a un iceberg qui n’a rien à faire là et que Tortu découvre au lendemain d’une tempête, échoué sur la plage. L’île est coupée du reste du monde à cause de la tempête. Ce qui n’est pas pour déplaire au gardien qui n’a pas envie de voir débarquer des curieux. C’est un être solitaire renfermant quelques blessures.

Cet iceberg reste tout de même un mystère et fascine Dorothée. Attirée, elle revient sans cesse l’observer, le toucher. Une sorte de relation charnelle se crée. Après 12 ans d’absence, elle est arrivée la veille sur l’île, un peu perdue, décidée à prendre soin de son père jusqu’à son dernier souffle.

La nature est omniprésente. L’île regorge de faune et de flore. On se demande si le climat s’est totalement déréglé et s’il s’agit d’une fable écologique.

Les chapitres alternent entre le point de vue de Tortu et de Dorothée, puis de deux autres personnages vers la dernière partie du roman. Les sensations ou sens font souvent ressurgir des souvenirs du passé des protagonistes.

Il y a une réelle ambiance, une atmosphère dans ce roman. Le début est plutôt dense, avec beaucoup de descriptions. En peu de pages, l’auteur nous donne beaucoup d’éléments, pour ensuite nous embarquer dans l’aventure et enchaîner les chapitres. Tous les personnages sont bien développés et attachants. On entre dans la psychologie de chacun et dans les relations entre chaque « couple ».

J’ai trouvé de la poésie dans l’écriture de Renaud de Chaumaray. Le roman se teinte de fantastique au début, mais à la fin tout s’éclaire et le lecteur a les réponses à ses questions, c’est la fin du suspense !

Merci aux éditions Le mot et le reste pour cette lecture captivante à l’instar de sa très belle couverture.

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« Le jour où l’iceberg s’échoua sur l’île, les cerisiers du verger étaient tous en fleur. Six d’entre eux avaient été couchés par la tempête durant la nuit. Leurs pétales maculaient le mur de la grange comme des confettis après un carnaval. En plus des jeunes arbres fruitiers, le vent avait abattu une cinquantaine d’arbres, dont une majorité de pins et de chênes-lièges.
Tortu était occupé à ramasser le bois mort qui jonchait les plages. Il longeait le rivage en remontant l’île vers le nord et constituait de grands tas de bois et de déchets divers au fur et à mesure de sa progression. Arrivé au pied de la corniche, il leva enfin les yeux et sa récolte lui glissa des mains.
L’iceberg était là.
Quelque chose monta dans sa gorge, un rire ou un cri, il n’aurait su dire, car cela mourut avant de franchir ses lèvres. Il jeta un regard vers la falaise, puis vers le large, sans savoir vraiment ce qu’il cherchait, et reposa les yeux sur la glace, n’arrivant pas à choisir entre détresse et fascination. »

« Le gardien prit alors conscience d’une chose : quelle que soit la raison de cet échouage, sa solitude allait prendre fin. Ce territoire deviendrait une curiosité qui ameuterait les foules et la petite île serait prise d’assaut. Pour cet homme qui avait toujours cherché à fuir la civilisation et qui avait finalement trouvé dans ce lieu un véritable sanctuaire, c’était un bouleversement inédit. »

« L’hiver avait longtemps été sa saison favorite, les corps se recroquevillaient dans le silence qui tombait sur la ville, les terrains de jeux étaient désertés et son caractère solitaire jurait un peu moins. »

« Depuis lors, les chemins qu’il empruntait à travers la forêt et qui venaient longer de trop près la haute bâtisse de bois que son patron et désormais sa fille occupaient, avaient pris un tour nouveau. Une vibration qu’il aurait pu qualifier de « jaune or » s’était mise à courir le long des feuillages sur lesquels se découpaient les façades blanches de la villa. L’air aussi y avait muté, il était plus épais et plus sucré. Et quand le regard du gardien quittait la végétation pour scruter la fenêtre de la chambre du premier étage, il avait l’impression de respirer du miel. »

« Les jambes engourdies, elle avança jusqu’au pied du charme, plus majestueux encore que dans ses souvenirs. Moins haut que le phare, il n’en restait pas moins le maître incontestable des lieux. Ses impressionnantes branches nues, leurs innombrables ramifications, parcouraient le ciel gris comme le système sanguin d’un vaste corps disparu. »

« Dorothée posa sa main sur celle de son père, trouva tout de suite le geste faux et fit machine arrière. Il y avait toujours eu quelque chose entre ces deux-là pour éviter qu’ils ne se touchent. Quand ce n’était pas l’absence de l’un, c’était la rancœur de l’autre. »

« L’iceberg était un point d’interrogation monstrueux, échoué sur le rivage comme au bout d’une phrase. »

« Cet être iconoclaste donnait à l’île des airs de conte de fées. »

« Si, à l’époque, on lui avait demandé de s’imaginer adulte, elle se serait vue plus épanouie. Elle avait attendu toute sa jeunesse d’être une femme indépendante et de vivre la vie qu’elle voulait, et, à présent, elle trouvait que l’âge adulte avait l’amertume d’une fin d’éclat de rire. C’est ce qu’elle se dit en se blottissant sur le vieux matelas du transat, les yeux mi-clos, observant Tortu exécuter sa chorégraphie répétitive. »

« Cet iceberg était la somme de centaines, voire de milliers d’hivers. Et seulement trois jours allaient suffire à l’île pour défaire cet ouvrage patient. »

« Elle ne pouvait s’empêcher de projeter les travers de l’humanité sur ce spectacle étrange. C’était une vieille habitude pour l’homme blanc que de jeter dans ses cales des êtres et des choses qui ne lui appartenaient pas. »

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