Emma est professeure aux Beaux-Arts de Paris, son mari Paul est pianiste concertiste. Ils fêtent les 8 ans de leur fille Nina. Ce soir-là ils l’emmènent à la fête foraine. Un moment d’inattention et leur fille disparaît. La mère et la fille ont un lien très fusionnel. Viennent alors les heures d’angoisse et de recherches. Au petit matin la police les appellent. Ils ont retrouvé Nina. Le couple part alors au commissariat chercher leur fille. Mais les retrouvailles sont moins joyeuses que prévu. Emma se tient sur la réserve. Elle ne reconnaît pas sa fille. Le doute s’insinue en elle.
Cet événement est le déclencheur qui fait ressurgir de son enfance un traumatisme, des secrets de famille. L’ambiance est glaçante. On s’attache à tous les personnages, aussi bien à cette mère désespérée qui cherche sa fille qu’à cette petite fille qui recherche désespérément l’amour de sa mère. Le livre interroge sur ce qu’est l’amour maternel.
J’ai aimé les références à l’art dans les propos d’Emma. D’ailleurs, la narratrice est Emma. C’est elle qui raconte les émotions qu’elle ne ressent plus, les élastiques des cheveux de sa fille qui ne sont pas les mêmes qu’avant sa disparition, sa relation de couple qui se délite, etc.
L’écriture est maîtrisée. On se retrouve complètement plongé dans la tête de cette femme. Même si le titre en dit beaucoup, il y a encore des éléments à découvrir tout au long de la lecture. Oui ce n’est pas un livre drôle, je vous l’accorde mais quand c’est très bien écrit et que le sujet me happe, c’est une très bonne lecture pour moi. Un roman puissant et prenant qu’il m’a été difficile de lâcher et que j’ai dévoré en l’espace d’une journée. Bref un premier coup de cœur dans mes lectures pour le Prix Orange du Livre 2023.
Incipit :
« J’ai perdu ma fille Nina la nuit du neuf novembre deux mille vingt-deux, date de son anniversaire. Pour ses huit ans, Paul et moi l’avions emmenée dans une fête foraine. Les stands étaient dressés sur le parking d’un hypermarché en périphérie de la ville. A l’époque se trouvait un chantier en contrebas et d’imposants travaux. Je me souviens des grues au long cou, d’une forêt immobile, de la joie de Nina quand elle a aperçu la Grande Roue. « Ce qu’elle a grandi, la petite ! » a dit Paul. Avant la naissance de ma fille, je ne connaissais pas la taille de mes rêves, je veux dire, leurs dimensions réelles. Grâce à sa présence, j’ai pu mesurer leurs étroitesses, leurs immensités et, parfois aussi, leurs inaccomplis. Nina tient entre ses mains mes forces vives : pour elle, je peux dépasser l’impensable. »
« Nos mains se rencontrent, elle me remercie, n’empêche, aucun contact, nos peaux sont silencieuses, entre ma fille et moi ce n’est qu’un rien qui passe. Je suis déçue. Quand j’essaye de comprendre, j’achoppe sur une fourche logique : ou bien j’ai un sérieux problème, ou bien nos retrouvailles sont ratées. Je bute, oui, mais mon cerveau trouve une sortie et s’ouvre malgré moi vers une troisième voie d’explication : si je ne ressens rien, c’est parce que ce retour est une fiction. Contrairement aux apparences, je n’ai pas retrouvé ma fille ! »
« Je suis professeure de peinture aux Beaux-Arts de Paris, j’ai l’œil, je sais identifier mon enfant comme un artiste reconnaît les différences entre le tableau qu’il a peint et celui qui a été parfaitement recopié par un faussaire. Les anomalies, les erreurs du copiste, aussi subtiles soient-elles, sautent aux yeux du peintre car il est lié à son œuvre par une inaliénable familiarité. »
« Les familles sont fragiles je trouve, comme les châteaux de cartes. Il suffit que quelques neurones cessent de jouer leur rôle miroir pour que la familiarité qui nous lie aux autres s’évanouisse. J’ai cru que c’était la nuit qui avait englouti ma fille, mais cette nuit avait eu lieu en moi. Mon cœur était juste, mais mon cerveau avait faux. »
« A la maison, jour après jour, l’atmosphère familiale s’épaissit et se leste d’un supplément gravité sans chantilly. Ce que nous avons le plus en commun ce n’est plus un foyer, mais d’avoir perdu le sens de l’humour. Nous vivons beige. »
« – ça va madame ?
– Je ne sais plus. Depuis l’anniversaire de ma fille, je vis dans un cauchemar sans fenêtre et j’aimerais que quelqu’un m’aide à en sortir. »
« Un jour, un passant me dit :
– Je sais ce que vous vivez, ça porte un nom, il s’agit d’un deuil. Un deuil blanc.
– Blanc ?
– Oui, c’est quand la personne qu’on a perdue n’est pas morte, elle existe encore, mais on ne la retrouvera jamais.
Blanc. Cette pensée me jette dans le vide. »
« Les enfants sont des frontières, dit-on, ils nous apprennent où sont nos limites, ils sont nos ombres portées mais portent aussi nos ombres. »
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