Requiem pour la classe moyenne / Aurélien Delsaux

C’est l’histoire d’un homme, Étienne, qui se rend compte qu’il est passé à côté de sa vie. Comment l’a-t-il remarqué ? Tout a commencé à déraper quand il rentrait de vacances fin août avec sa femme et ses deux enfants. Sur l’autoroute qui les ramène à Lyon, alors qu’il roule, une voix à la radio lui annonce que Jean-Jacques Goldman est mort. C’était un héros de son adolescence, tout un symbole de la culture populaire et donc de la classe moyenne. Son monde commence alors à s’effriter.

Il a 45 ans, il est médecin dans un laboratoire. Il ne se lie avec aucun de ses collègues. Il n’a pas l’air d’avoir d’amis. Sa vie est bien réglée, toute tracée.

Sa femme est avocate. Un soir elle lui avoue qu’elle a pris un chien parce qu’elle a peur d’un client. Le passage où elle lui dit cela est très ambigu pour Étienne. Il pense qu’elle va lui dire qu’elle le quitte ou qu’elle a un cancer. Dans les faits, le chien va remplacer le mari pour deux nuits. L’ambiguïté continue avec le nom du chien, Martin.

Il découvre aussi que son fils lit la Bible et traverse une sorte de crise mystique. Il l’appelle par son prénom ce qui l’énerve au plus haut point. Quant à sa fille je vous laisse découvrir la situation rocambolesque dans laquelle il la trouve.

Un hommage est organisé et retransmis sur grand écran. On y apprend que (dans ce roman) Maxime Le Forestier est mort (alors qu’il est vivant), et apparaissent en duo, Francis Cabrel et Alain Souchon en fauteuil roulant.

Le roman retrace une semaine de sa vie à partir de l’annonce de la mort de Jean-Jacques Goldman. Étienne est le narrateur. Le lecteur suit sa pensée, son point de vue. C’est donc écrit à la première personne. Il s’agit du quatrième roman d’Aurélien Delsaux mais le premier écrit au « je ». On sent qu’un drame va arriver. L’auteur réussit très bien à nous tenir en haleine. Étienne va-t-il péter un plomb ?

Le ton est toujours entre deux eaux, parfois sarcastique ou absurde, parfois nostalgique ou mélancolique. Je me suis demandée s’il faisait de l’humour, mais non c’est le portrait d’un homme pathétique, un anti-héros.

Un roman sur la famille, les moments de crise avec des ados, un homme qui cherche sa place en tant qu’homme, mari, père. J’ai trouvé l’idée de départ originale mais je ne me suis pas attachée à Étienne, j’ai eu envie de le secouer. Tout l’effet contraire recherché par l’auteur. Il voulait que le lecteur soit touché, en empathie. Ce n’est donc pas un coup de cœur pour moi mais je sais qu’il a plu à d’autres lectrices qui ont participé à la rencontre en ligne. En tout cas l’auteur a le sens de la formule.

Avec son éditrice, Aurélien Delsaux a écrit une lettre à Jean-Jacques Goldman pour lui demander l’autorisation d’utiliser le titre, « La mort de Jean-Jacques Goldman », qu’il a refusé, mais il a lu le livre et a été touché par la démarche.

Merci à Netgalley et Noir sur Blanc/Notabilia pour cette lecture

Note : 3 sur 5.

Incipit :
« Les vacances étaient terminées jusque-là tout s’était bien passé. Je me souviens des chiffres d’alors, je voudrais les saluer : il allait bientôt être dix-huit heures. Blanche, ma femme chérie, somnolait à mon côté, nos deux enfants dormaient à l’arrière, je roulais sur la flambant neuve A89, j’avais quarante-cinq ans, j’avais enregistré sur le régulateur la vitesse maximale autorisée, le tableau de bord annonçait quarante degrés à l’extérieur. »

« Pour ne pas m’endormir, je doublai une Kangoo verte qui se traînait trop sur la voie centrale. Voici ma vie – une avancée rapide, contournant en toute sécurité, dans le respect des règles, le moindre obstacle. Je n’avais qu’à continuer à bonne allure ma trajectoire, je n’avais qu’à suivre les indications. »

« C’est en sortant du tunnel que j’entendis la présentatrice interrompre le programme pour m’annoncer à voix basse la mort de Jean-Jacques Goldman.
La nouvelle tomba en moi., avec ce son mou du galet jeté dans la mare. Dans le silence de la vase, une fois leur obscure retraite atteinte, y remuent des bêtes étranges.
J’éclatai en sanglots, mais doucement, le pus doucement possible, pour ne déranger personne, pour ne pas dévier de ma trajectoire. Je coupai la radio et mon portable.
Le trafic s’était soudain densifié. Tous les phares et tous les lampadaires s’étaient allumés. La nuit et la ville nous avaient avalés. »

« J’avais, depuis, investi dans un système de sécurité. Ce mauvais songe s’était fait de plus en plus rare. Mais contre les cauchemars on ne vend pas de système de sécurité infaillible. »

« Nous les regretterions un peu, ces jours libres – mais pas trop, pas longtemps. Le cours normal des choses emporterait dans ses flots tranquilles tout le sable de notre mélancolie. »

« Tout va bien ? demandai-je dans un grand sourire.
Blanche dit aux enfants d’aller dans leur chambre. Ils se levèrent aussitôt, et Laetitia se colla contre moi, tendrement. Je ne voulais pas qu’elle sentît trop ma transpiration ni mon chagrin, alors je la repoussais doucement et doucement lui dis Obéis à maman la chérie.
Je m’assis face à Blanche.
Tout va bien ? redemandai-je en vain.
Blanche ne savait vraisemblablement pas comment commencer. Le mot cancer clignotait en moi. J’aurais voulu lui prendre la main, mais elle gardait les siennes sous la table.
Elle prit une grande inspiration. Je crus qu’elle allait me quitter, réclamer une pause en m’annonçant qu’elle avait rencontré quelqu’un –, et je me blâmais déjà de n’avoir pas vu le coup venir. Mais elle dit, tout à trac, J’ai très peur, j’ai besoin d’être protégée, alors j’ai pris un chien.
Quelle race ? m’inquiétai-je sans comprendre. »

« En rentrant chez moi, je réfléchissais à ce qui ne m’avait jusque-là semblé être ni défaut ni tare, mais que j’étais aujourd’hui bien obligé d’admettre comme un handicap. Je n’avais jamais été physionomiste. Mon incapacité à reconnaître les gens avait pu passer, quand j’étais plus jeune, pour une charmante désinvolture, la distraction poétique d’un amoureux des sciences. Elle devenait avec l’âge et ma position, un affreux malentendu à l’égard de mes semblables. On me projetait dans le camp des personnages manquant d’humanité. »

« Je cherchais sur l’enceinte une touche qui permettrait d’augmenter le son du silence mais je ne la trouvai pas. »

« Mon fils croyait en la Trinité et ma fille, en l’amour mâtiné d’un rapport harmonieux à l’argent. Ces phénomènes pouvaient être assimilés à des passages obligés de leur développement psychologique. Ils me donnaient l’impression d’une sortie de route ou d’un coup d’arrêt – d’un échec en tout cas, de mon terrible échec. »

« La vie se séparait de moi. Elle avait muettement demandé le divorce, nous n’allions plus au même pas, elle m’avait doublé, s’éloignerait toujours davantage. Elle était partie faire le tour du monde sans moi, elle ne s’en reviendrait dans mon dos que pour me donner l’estocade. »

« Dans un effort que jamais dans ma vie je n’avais eu à faire encore, dans un effort qui me parut surhumain, je décollai mon cul d’une effroyable glu de tristesse. »

« Nous venions dire au revoir et merci, nous venions dire adieu à l’un des fils de la classe moyenne. »

« Les phrases se superposaient, se brouillaient. Ce brouhaha général me devenait pénible.
Je serrai les deux poings contre ma poitrine, contre mon cœur manchot, je le sentis se comprimer et durcir. Se changeait-il en pierre à la lumière fétide de la lune, inutile au-dessus de la puissance des ampoules, se changeait-il en petit caillou, je ne résistai plus. Je me tenais fermement le sein pour qu’il ne roule pas au fond de moi, qu’il ne roule pas comme une bille au fond de mes entrailles – que je ne chie pas demain le caillou de mon cœur confit dans mon caca. »

2 commentaires sur « Requiem pour la classe moyenne / Aurélien Delsaux »

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