C’est plus beau là-bas / Violaine Bérot

J’ai découvert cette autrice avec son précédent roman, « Comme des bêtes », publié également aux éditions Buchet Chastel, qui fut un coup de cœur pour moi. J’avais donc très envie de retrouver la plume de Violaine Bérot.

Elle nous entraîne à nouveau dans un monde à part, dans la nature et la montagne.

Ce roman est plus angoissant car comme le narrateur, on ne sait pas trop ce qu’il lui arrive. Il est professeur à l’université. Il a la cinquantaine et il est marié. Il se fait arrêter et enfermé dans un hangar avec d’autre personnes sans explication. Il ressent alors les effets de l’enfermement que subissent les animaux d’élevage : pas d’espace, pas d’eau, pas de nourriture, de la lumière artificielle à certains moments puis le noir complet. La violence est également présente. Impossible de sortir du rang ou de poser des questions sous peine d’être battu et de disparaître.

Il perd la notion du temps. Il se bat avec ses congénères pour avoir un peu d’eau. Et il réfléchit, se dit qu’il ne serait pas un héros et finalement qu’il est égoïste et individualiste. On ne sait jamais comment on réagirait lors d’une rafle, lorsqu’un gouvernement totalitaire arriverait au pouvoir, etc.

On pense beaucoup au sort des migrants dans ce roman, à leurs longues marches, au froid, à la faim, à la peur qu’ils peuvent ressentir.

Au cœur de ce roman il y a aussi les jeunes, ceux qui ont vécu la pandémie, qui n’attendent plus rien de l’avenir et déplore l’état de la planète. Peut-être seront-ils la solution ?

Beaucoup de thèmes actuels sont traités dans ce court roman qui incite à la réflexion. La fin a un côté fable. Mais je ne vous en dis pas plus sur l’intrigue pour ne pas divulgâcher. C’est une sorte de long monologue où le lecteur avance à tâtons comme le narrateur. Il n’y a pas d’autre point de vue. Le début des paragraphes ne comporte pas de majuscule. Le narrateur s’adresse à lui-même en se tutoyant dans de longues phrases. On suit le flot de ses pensées. Impossible d’arrêter sa lecture en plein milieu d’un paragraphe.

Dans cette dystopie, l’autrice nous prévient de ce qu’il pourrait advenir de notre pays et ça fait froid dans le dos !

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« et surtout ne pas te faire remarquer, te taire obstinément, t’effacer, te noyer dans la masse, t’appliquer à n’être d’un détail, toi qui aimais briller. Dans ce hangar géant où l’on vous a regroupés, tant de corps autour du tien collés les uns aux autres, tu penses aux porcs, aux volailles, par dizaines de milliers entassés dans un même bâtiment, à ce projet de ferme aux mille vaches comme toi et les autres dans ce hangar bondé, toi et les autres comme les porcs, les volailles, sous l’épuisante lumière artificielle qui parfois, tu ne comprends pas selon quelles règles, selon quelles lois, brutalement s’éteint ou s’allume, toi et les autres dans ce local sans fenêtre, et ces bruits de moteur en fond, ces accélérations, ces ratés, ces enrouements, et par-dessus tout la puanteur et la chaleur, toi et tous les autres autour, combien cela fait-il d’hommes, et tu repenses aux milles vaches, et tu te dis que c’est cela, vous, mille hommes, et ne jamais revoir le jour. »

« et comment est-ce possible, tu n’arrives pas à le comprendre, comment est-possible dans ton pays, dans une démocratie, avec un président élu par le peuple, comment est-possible ? Et par qui la rafle a-t-elle été commanditée, parce qu’il s’agit d’une rafle, tu ne vois pas quel autre terme serait mieux adapté vu le nombre d’hommes regroupés ici, mais les ordres sont-ils venus d’en haut, du gouvernement, ou bien s’agit-il d’un coup d’État, un soulèvement de l’armée ou de la police, ou alors ces enlèvements ont-ils été orchestrés par de simples citoyens que la haine a montés les uns contre les autres et qui auraient créé des sortes de milices ? »

« Ce qui t’arrive te paraît tellement improbable, tellement loin de ce qui, il y a quelques jours, était encore ta réalité, parce que des situations pareilles, non ça ne pouvait pas se produire dans un pays comme le tien, c’était plausible uniquement pour les autres, en Russie ou en Amérique centrale, ou bien sûr en Afrique ou au Moyen-Orient, mais dans ton pays jamais t n’aurais cru, et puis comment est-il pensable que tu n’aies rien senti venir, et pourtant tu te trouves réellement là, un parmi des centaines d’autres, un millier peut-être, assis dans ce hangar lugubre à attendre tu ne sais quoi, tu ne sais combien de temps, à avoir faim aussi, et soif surtout, et envie de pisser, à te retrouver à la merci de gardiens qui eux seuls décident du moment, sans logique aucune, et déjà tu as pris l’habitude, comme les autres, de ne jamais perdre des yeux la position des matons pour ne pas te faire surprendre, de faire attention à ne pas les provoquer pour ne pas risquer leurs coups, et ces hommes qui vous surveillent tu voudrais savoir qui ils sont, comment on les a recrutés, d’où ils viennent, car ils parlent ta langue, ils sont de la même nationalité que toi tu en es convaincu, mais pourquoi n’ont-ils pas même un uniforme, seulement des brassard noir, seul détail qui les distingue de vous sinon leur arme, et le plus souvent ce n’est qu’un simple bâton, ou parfois une matraque, sauf pour un original qui se promène avec un immense fouet, et tu penses aux jeux du cirque, vous participez à une farce grand-guignolesque, et bientôt un clown va débouler parmi vous avec son nez rouge et ses savates immenses, il éclatera d’un rire tonitruant, et c’en sera fini de toute cette bouffonnerie. »

« La voilà qui rougit sous ton regard et immédiatement ça te flatte, et c’est suffisant pour que tu retrouves la foi en votre histoire. Mais ton amour est une girouette, il s’effondrera, tu le sais, à la première distraction. Car aimer, tu en es désormais certain, aimer ne dure que le temps où l’on se persuade que l’on aime. »

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