Le narrateur, 30 ans, Parisien, revient dans la maison familiale de vacances en Bretagne et retrouve pour un été toute sa famille éparpillée dans la France le reste de l’année. Il n’y est pas venu pendant plusieurs années, boudant et préférant d’autres endroits plus exotiques. Il se rend compte désormais que ce lieu est important pour lui.
Les souvenirs et les anecdotes sur les étés passés dans cette maison entouré de ses cousins, oncles, tantes et grands-parents se succèdent. Il y a notamment la cérémonie du jeté de doudou dans l’océan, rite par lequel il est passé et cette année ce sera au tour de Jean, 6 ans. Le narrateur observe Jean et se remémore ses activités et attitudes à son âge. Il prend alors le rôle d’oncle et passe du côté des adultes pour s’occuper un peu de lui. Il l’emmène à la pêche aux crabes et ouvre pour lui le placard du chocolat.
Le tempo du roman est lent à l’instar des longs étés s’égrenant sur la plage bretonne. Le ton est nostalgique et grave. Le narrateur comprend qu’il vieillit et que la mort se rapproche inéluctablement de sa grand-mère.
Ce roman est très bien écrit mais j’avoue n’avoir pas été passionnée avant d’arriver vers la toute fin du livre quand surgit le drame que je sentais poindre depuis un moment. A partir de là le roman devient bouleversant et m’a réellement touchée. Je n’ai pas passé d’étés en Bretagne, peut-être que ce roman vous émerveillera davantage que moi si vous avez eu l’occasion d’y séjourner ou d’y vivre et d’être envoûté par son air marin.
Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour cette lecture
Incipit :
« Je ne revins pas à la grande maison par hasard. On ne retourne jamais à quelque part par hasard. Secrètes sans doute, j’avais mes raisons après tant d’années de revoir la grande maison au mois d’août. Il y avait le temps qui passait et la certitude désormais que rien n’est éternel. Un jour viendrait où ce paysage, tel que je l’avais laissé enfant, n’existerait plus. Il appartiendrait à d’autres. Il serait abattu et reconstruit. D’autres familles s’y retrouveraient en été et les enfants d’autres noms joueraient sous les arbres. Grand-mère allait bientôt mourir. Grand-père était déjà mort. Les oncles et les tantes, les cousins vieillissaient. »
« Le temps ne passait jamais sans rançon. »
« Mais en Bretagne, dans cette terre que j’avais laissée vivre sans moi, qui n’avait pas changé, où de vieux parents se faisaient enterrer, un sentiment beau et douloureux d’appartenance émergeait désormais. Si notre pays est celui où l’on a les plus grands souvenirs, alors j’étais d’ici. Alors j’étais de cette terre entre dunes, champs et bruyères, de cette presqu’île lovée entre deux bras de mer. »
« Un cousin rompit le silence. Accoudé sur sa serviette, il s’adressa à Anne qui venait de refermer un gros roman.
– Moi j’arrive pas à lire sur la plage, je peux pas me concentrer. Alors je ne vais jamais plus loin qu’une ou deux pages.
Anne se retourna sur sa serviette de bain à la recherche d’une position meilleure. Elle répondit :
– C’est pour ça qu’il faut une lecture légère.
– Sans doute, mais l’idée même d’une littérature légère m’énerve. Autant ne rien lire du tout, tu vois.
– C’est du snobisme ça…
– Je crois pas… La lecture demande trop d’efforts pour qu’on se fatigue à lire des livres qui s’oublient tout de suite.
– Tu penses ?
– J’en sais rien. Tout ce que je sais, c’est que la littérature de plage m’ennuie. »
« Je lui dis que je ne reprochais rien à personne et que si je n’avais pas passé tous ces étés loin d’ici, je n’aurais peut-être pas pris conscience de l’urgence. Mais il avait raison. Il fallait dire les choses. Et il en était de la grande maison comme de ceux qu’on chérit, elle avait besoin qu’on lui dise haut et fort qu’on l’aime, qu’on ne peut pas vivre sans elle. L’oncle sourit : « Simplement, fais attention… Il ne faut pas dire trop tard à quelqu’un qu’on l’aime ». C’était un homme marié depuis trente ans qui parlait. Jusqu’alors j’avais passé ma vie à veiller à ne pas le dire trop tôt. Le vent tournait. »
« Dans l’air aussi quelque chose avait changé. On ressentait une fraîcheur nouvelle, encore plus de ciel pour respirer et l’urgence de profiter de tout une dernière fois. Par chez nous justement, les ciels étaient immenses. Même par temps gris, ils donnaient l’impression d’envelopper le pays. Ils le couvaient jusqu’à faire fondre l’horizon. Dans les plaines, derrière les champs de maïs, par-delà les talus, le ciel remplissait chaque espace vide de ses nuages lourds qui passaient en filant. »
« La dernière quinzaine d’août était le temps de la confusion, des jours en suspension. La jouissance laissait la place aux résolutions, le désordre à l’organisation. Certains savaient jouir des plaisirs sans penser à leur fin et ils étaient les plus gais. Aussi les derniers jour d’été révélaient-ils deux sortes d’hommes. Ceux qui vivaient sans jamais songer à la mort et ceux qui y pensaient sans arrêt. »
« Il avait fallu un été quelconque, semblable aux autres, pour que je me rende compte que le temps courait et qu’il existait déjà une première vieillesse en moi. »
2 commentaires sur « Que reviennent ceux qui sont loin / Pierre Adrian »