Berline / Céline Righi

Voici encore une belle pépite publiée aux éditions du Sonneur !

Il s’agit d’un premier roman, assez court (119 pages) qui évoque la vie dans les mines à la fin des années 60 et plus précisément celle d’un homme, Fernand, dont la mine vient de s’effondrer sur lui. Il est bloqué sous une berline, plongé dans le noir et blessé. Va-t-il survivre ?

Le roman est composé de 14 « blocs » ou chapitres dans lesquels Fernand se remémore son enfance, sa famille, les quatre cents coups avec son ami Mario, Martha (celle qu’il aime).

Il décide de faire comme Mario lui a toujours conseillé, choisir les bonnes pommes plutôt que les pourries, les bons souvenirs plutôt que les mauvais.

Mais on comprend vite que l’enfance de Fernand a été marquée par un événement dramatique dont ses parents ne lui ont pas parlé et que sa tante lui révèle. Cet événement a plongé la mère dans une sorte de dépression, incapable de montrer un peu d’amour et de douceur à son fils. Quant au père, il est bon, mais n’ose pas affronter la mère. Il passe beaucoup de temps dans son jardin.

Fernand refuse de travailler à la mine et d’y descendre comme le font depuis des générations les hommes de la famille. Il rêve d’une autre vie mais le destin et le manque de courage de Fernand le mènent dans la mine. Que fera-t-il s’il s’en sort ? Osera-t-il changer de vie ?

Un roman sur l’enfermement dans tous les sens du terme. J’ai mis une trentaine de pages avant d’entrer dans le livre et d’être happée par l’écriture de Céline Righi. Le style est parfois sec, allant à l’essentiel, provoquant des émotions. Le roman oscille entre humour, tendresse et poésie. Bref une voix que je n’avais pas encore entendue en littérature et que je suis ravie d’avoir découverte.

Note : 5 sur 5.

Incipit :
Premier bloc
« Il ne sait pas depuis combien de temps il est là, sous la chose. Il se demande s’il est vivant ou mort mais, s’il se pose la question, c’est peut-être qu’il est encore un peu vivant. »

« D’elle, il ne sait pas grand-chose. Et quand parfois il ose la questionner sur avant, elle le coupe net, Le passé, c’est le passé, on le laisse où il est. Ce sont les seuls mots qu’elle consent à lui lâcher, avec une grimace qui peine à masquer le temps des mauvaises lunes. Il aimerait savoir ce qu’elle cache, reste à l’affût de son mystère. Mais la mère s’est fermée à double tour et a jeté la clef. Il a cinq ans, six peut-être. Et il se promet que, quand il sera grand, il fera la guerre au silence. »

« Dans la nuit souterraine, les flammes, l’odeur du brûlé, une tempête jaune et noire, le feu s’emmêlant à l’eau. Les galeries : inondées, les fumées : toxiques, des tourbillons de poussière s’enroulant autour des hommes comme des serpents, les ligotant, les étranglant jusqu’à les étouffer. Tout hurlait, s’affolait, flambait, ça s’écroulait de partout. La terre ouvrait grand ses mâchoires, les refermait, dévorait, broyait, engloutissait, digérait les hommes. »

« En descendant, il avait attrapé une mélancolie qui lui avait bétonné l’esprit. Devenue une ennemie familière, elle occupait sa vie, tandis qu’il pataugeait dans la mélasse des jours avec, sur la nuque, le poids d’une enclume. »

« Couic. À l’intérieur de la mère, l’effondrement. On enterre son petit. Le bien-aimé. Elle maigrit, se ratatine. D’une maigreur épouvantable, mondieumondieumondieu, qu’on est même demandé combien de temps elle allait pouvoir durer comme ça. C’est la tante qui raconte. Un matin, la mère s’est levée avec le haut du crâne tout blanc. Le chagrin lui avait enfariné les cheveux en une nuit. Et après ? Après, il arrive. Un an plus tard, comme un pet sur une toile cirée. Mais ça ne console pas la mère, tant s’en faut. Elle avait déjà misé tout son amour sur le premier, placé son affection comme on place une épargne, mais manque de bol, patatras, banqueroute. Le petit mort continue de vivre en elle, l’amour qu’elle a pour lui aussi,et ça lui mange toute sa chair. Lui ne montera jamais sur la première marche du podium, il sera comme l’autre, à vélo, qu’il avait vu une fois dans le poste de télévision, chez l’oncle et la tante : l’éternel second. L’ombre du mort, l’ombre d’une ombre. On ne lui dit rien, on ne lui explique pas qu’il y a eu un fils avant lui. Il sent seulement que sa vie sonne faux, que la mère a de drôles d’idées. Il a trois ou quatre ans. Elle l’emmène au cimetière presque tous les jours. Faut aller arroser, qu’elle répète. »

« Qu’on soit cloîtré sous terre comme lui, ou n’importe où ailleurs. Brasser la saleté qu’on a dans la tête, c’est le meilleur moyen de se foutre dans un cachot pire encore qu’une prison avec des barbelés et des murs épais, parce que le cachot-là, messieurs dames, on le voit pas, et on s’est mis dedans pourtant, dans un mitard pas possible, avec, en prime, l’illusion de la liberté, si c’est pas vicieux. Regardez la mère, ça, elle a bien réussi, à se confectionner son enfer, une maille à l’endroit, une maille à l’envers, à force de ruminer le passé tel un bovin son fourrage. »

« Oui, toute la douleur de sa mère était répandue là, en mille morceaux, parmi les éclats de saladier. Ce jour-là, elle n’avait plus rien contenu. Elle avait explosé comme un tir de mine. Des cris, des éclats, puis le silence : cette boue grise dans laquelle on s’englue. »

« D’abord, lui avait dit non au Mario. Ensuite il avait dit oui. De toute façon, quand le Mario avait une idée dans la tête, il l’avait pas au cul, et puis, que ce soit au Mario ou à qui que ce soit d’autre, lui n’avait jamais su dire non. »

« Les souvenirs continuent de s’abattre sur lui. Ça ne l’étonne qu’à moitié. Quand on est occupé à trimer toute la sainte journée, on ne se paie pas le luxe de couper les cheveux en quatre, mais, quand le corps est pris au piège, la tête est bien contente de pouvoir se faire la malle. »

« Bon, qu’est-ce qu’on fait l’oiseau ? On attend on attend on attend. D’accord, on attend. Enfermé, Effondré. Piégé. Sous les cailloux, les souvenirs. Fait comme un rat. Rat. Souris. Canari. S’accrocher. Appeler au secours. Qui ? Il n’y a ici que des fantômes. Ne pas s’intéresser aux pensées pourries. Ne choisir que les bonnes pommes. »

« Canari. Ce qu’il n’aurait jamais pu faire, c’est descendre l’oiseau jaune sous la terre. Les gueules noires, elles, s’en servaient comme d’une alarme : quand le piaf tombait dans les pommes – ou crevait carrément –, c’était le signal qu’il fallait se tirer. À cause des gaz. »

« La nuit totale, tant qu’on n’a pas trempé dedans, on ne sait pas ce que c’est. On croit savoir, on se trompe. On dit qu’il fait nuit noire, c’est faux : il y aura toujours un réverbère, la lune ou un simple vers luisant pour nous faire mentir. »

« La brise du printemps dispersait les odeurs de la rue et les bruits du quotidien, propulsait la plainte lourde de la sirène qui râlait toujours de la même façon : d’abord se gondolait, traçait une spirale sonore, voulait attraper sa note, puis se déroulait dans les graves et se tendait brusquement comme un serpent avant de mordre; le cri raidi se dressait dans le ciel et déchirait les nuages, finissait par se planter dans les oreilles des femmes, des enfants, ils la connaissaient bien, la vilaine mélodie qui chantait, Il est arrivé quelque chose. Tout le village se figeait. On priait le bon Dieu, sainte Barbe et tout ce qu’on pouvait pour que ce ne soit pas chez nous. »

« Aujourd’hui, dans le silence des morts, dans ce trou qui sera peut-être son ultime, l’enfance lui explose dans la poitrine comme un coup de grisou. »

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