Portrait du baron d’Handrax / Bernard Quiriny

Le narrateur de ce roman s’appelle Bernard, comme l’auteur. Il nous raconte sa soudaine passion pour un peintre peu connu, Henri Mouquin d’Handrax (1896-1960). Il se rend au musée d’Handrax dans l’Allier, pour voir les tableaux de cet artiste oublié dans l’idée d’écrire un livre sur lui. Et il finit par rester dans cette petite bourgade de 1500 habitants. Il est embauché au musée en tant que gardien. Son nouveau collègue François-Paul travaille par ailleurs pour le baron d’Handrax. Il entretient des dizaines de maisons que le baron a rachetées. Archibald d’Handrax aime garder ces maisons en l’état, c’est-à-dire avec leur mobilier et décoration intérieure, car elles lui permettent lors d’un séjour de voyager dans le temps.

Ce baron est complètement décalé et excentrique. Vous pourrez lire nombre de bizarreries et de manies à son sujet dans ce roman. Il organise notamment des dîners de sosies. Il lui arrive de marcher de travers et de faire des bonds afin d’éviter du regard des antennes ou tout autre objet défigurant le paysage.

Bernard va se rendre au manoir du baron pour voir les tableaux de l’ancêtre et, de conversation en conversation, ils vont devenir amis. Il passe de plus en plus de temps au manoir et fait la connaissance de toute la famille du baron ou devrais-je dire de toutes ses familles, l’officielle et l’officieuse, qui cohabitent gaiement. Le baron est un grand enfant qui adore jouer et n’hésites pas à passer une nuit de temps en temps dans un pensionnat pour retomber en enfance.

Vous l’avez compris ce roman est très drôle. J’ai adoré suivre les conversations de ces deux hommes. Le texte est écrit dans une langue soutenue, on ressent ainsi tout le côté bourgeois du baron. De brefs chapitres s’enchaînent et forment le portrait du baron d’Handrax, un personnage romanesque à souhait et plutôt attachant. Les anecdotes sont originales, savoureuses et drôles. Ce roman se lit tout seul. Le style est très agréable. Bref j’ai passé un très bon moment de détente avec cette lecture. Je lui ai trouvé un petit côté Amélie Nothomb pour la loufoquerie des histoires et la bizarrerie du personnage.

C’est le premier roman que je lis de Bernard Quiriny et certainement pas le dernier. J’ai maintenant très envie de lire les « Carnets secrets » d’Archibald d’Handrax publiés en parallèle pour rester dans l’univers fictif de cet homme imaginaire.

Ce livre fait partie de la sélection du Prix Orange du Livre 2022. La majorité des jurés lecteurs l’ont aimé. D’ailleurs certains m’ont fortement recommandé ses précédents romans et nouvelles.

Note : 5 sur 5.

Incipit :

« Henri Mouquin d’Handrax (1896-1960) : peintre mineur, oublié de nos jours. Je m’en suis entiché par hasard, après avoir acheté une toile de lui chez un antiquaire, pour une bouchée de pain. J’ai commencé à me documenter sur sa vie, à chercher des études à son sujet. Je n’ai rien trouvé ; nul historien de l’art, nul érudit, ne s’est passionné pour son cas. J’ai voulu réparer cette injustice, en écrivant moi-même un livre. Ce livre sans doute n’intéresserait pas grand monde, mais qu’importe ! Et si les éditeurs n’en voulaient pas, je m’imprimerais à mes frais. »

« Le baron : « Il ne faut jamais perdre une occasion de retomber en enfance. Séjourner dans l’enfance conserve la santé ; je m’y octroie souvent des congés, et voyez : je ne suis jamais malade, je me porte comme un charme. »

« Je demeurai stupide. Il m’expliqua tout.

– J’appelle dîners de têtes des dîners de sosies, sosies d’artistes ou d’écrivains, vivants ou morts – plus souvent morts. J’en ai eu l’idée à Cannes, quand je suis tombé dans la hall de l’hôtel sur un monsieur qui ressemblait à Freud – le Freud cigare de la photo, avec son gilet gris et sa chaîne de montre sortie du gousset. La ressemblance était telle que je n’ai pas pu m’empêcher de lui parler. Il s’est révélé un interlocuteur charmant et cultivé, quoique absolument rétif à la psychanalyse. »

« – A vous entendre, on pourrait croire qu’ils créent des disputes artificielles pour le seul plaisir de venir se réconcilier chez vous, à coups de calva.
– Vous plaisantez, mais je me demande parfois si ce n’est pas le cas.
Je haussai les épaules.
– Et le jour où vous n’aurez plus de calva ?
– Ce sera la guerre civile, je suppose. »

« C’est dans ces moments de suprême agacement que je l’aimais le plus, et que sa société m’était la plus délicieuse. Il le savait, et il en profitait. « Vous vous plaignez que je sois pénible, disait-il, mais vous vous ennuieriez, si je l’étais moins. » Il ajoutait : « C’est, je crois, l’une de mes missions sur cette Terre : mettre hors de soi mon entourage, et lui peser sur les nerfs. Je ne sais pas bien à quoi sert pareil don, mais ce n’est pas à moi d’en juger : j’accomplis la volonté de la nature qui me l’a donné, et je persévère dans mon être. Le jour où je n’énerverai plus personne, c’est que je ne serai plus à la hauteur de ma tâche ; je n’aurai plus alors qu’à me jeter au fleuve. En attendant, je vous tourmente, et c’est très bien. » Il tenait le même discours à sa femme, qui fulminait : « Dieu que vous êtes énervant, Archie ! » Il le prenait pour un compliment et répondait, tout content : « Merci ». On avait envie de l’étrangler, on l’aimait plus que jamais. »

« Le Baron se tut, puis ajouta, péremptoire : « Si la nature avait voulu que nous parlions et mangions tout à la fois, elle nous aurait donné deux bouches. »

« – Cela ne peut-il pas attendre ?
– Non. En cet instant précis, il est aussi Sartre qu’on peut l’être. Si ça se trouve, d’ici quelques minutes, il aura perdu en sartrité. Il faut le voir maintenant.
J’acceptai, doutant ce pendant qu’un sosie puisse perdre sa ressemblance. »

« Qu’est-ce que la Terre, sinon une chambre à tout casser géante ? »

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