Enfant de salaud / Sorj Chalandon

Voici un roman bouleversant d’un auteur que j’aime beaucoup. Une quête de vérité, où Sorj Chalandon enquête sur le passé trouble de son père. A-t-il été du côté des Allemands pendant la seconde guerre mondiale ? A-t-il été un SS ? De nombreuses questions l’assaillent depuis que son grand-mère paternel lui a lâché cette phrase : « Un jour, grand-père m’a dit que j’étais un enfant de salaud. »

En parallèle, son métier de journaliste l’amène à couvrir le procès historique et très médiatisé de Klaus Barbie à Lyon. Il se trouvent donc dans la ville de ses parents. L’occasion de les voir et surtout de poser des questions à son père, pour tenter de démêler le vrai du faux. Car son père est une vraie anguille, un manipulateur. C’est un homme violent qui l’a battu enfant. Il arrive toujours à retourner la situation à son avantage. Ce qu’il sait c’est qu’il a été emprisonné un an pour « actes nuisibles à la défense nationale ».

Le procès donne à entendre de nombreuses voix émouvantes, notamment des témoignages de Juifs rescapés qui ont subis des tortures infligées ou ordonnées par Klaus Barbie.

Dans le roman, Sorj Chalandon alterne entre le tutoiement en s’adressant à son père, et le récit à la troisième personne pour parler de lui. Un livre passionnant qui me donne envie de lire ses précédents romans sur son père : « Profession du père » et « La légende de nos pères », que je n’ai pas encore lus et qui offrent certainement d’autres clés de compréhension. Bref je vous recommande la lecture de ce livre, certes pas très gaie en cette période de fêtes, mais essentielle.

Note : 5 sur 5.

« Parce que tu as des convictions et que tu te bats pour elles. Extrême droite ou extrême gauche, c’est pareil. Ce sont des gars qui mettent leur peau au bout de leurs idées. »

« Souviens-toi toujours que la guerre en France, c’était 1% de collabos, 1% de Résistants et 98% de pêcheurs à la ligne. Toi, je t’aime bien parce que tu n’es pas un pêcheur à la ligne.

Le pire des compliments. »

« En quelques heures et quelques bières, il avait réussi un autre de ses tours. Faire passer un salaud pour un héros. »

« Tu m’as menti, une fois de plus. Pendant que tes camarades mouraient sur les plaines de Russie et d’Ukraine, tu étais emprisonné dans le Nord de ton propre pays. Comme des centaines de malfrats français. Je ne tenais plus sur la chaise. Je me suis allongé sur le parquet, bras en paravent sur les yeux. J’étais épuisé. Je me suis demandé s’il était possible de dormir tout un an, de me réveiller seulement lorsque mon corps et ma tête auraient encaissé ces nouveaux coups. J’étais à la fois soulagé et effondré.

Soulagé parce que jamais tu n’avais porté les runes de la SS sur ton col. Effondré parce que même sur ton lit de mort, tu m’avais encore trahi.

Jamais tu n’avais ouvert le ventre d’un partisan russe avec une baïonnette. Jamais non plus tu n’avais été décoré par personne. »

« Ton dossier pénal était entre les mains des Archives départementales. Mais une loi de 1979 avait fixé à cent ans, à partir de la date des documents, le délai pour qu’il puisse être ouvert à tous. […]

Mon père était un renégat mais je ne savais rien de sa trahison. Cent ans ? J’avais 34 ans. Et il me faudrait attendre l’âge de 92 ans pour savoir qu’elle avait vraiment été ta guerre. J’ai été terrassé par la nouvelle. »

« Lorsqu’elle m’a aperçu, ma mère s’est levée.

– Mon fils ! Ah ça, pour une surprise !

Je ne l’avais pas vu sourire depuis longtemps. La joie n’était pas une obligation familiale. »

« Comme les policiers, les gendarmes, comme ton juge, j’ai du mal à te suivre. Je vois leurs interrogations portées au crayon dans les marges de ton dossier. Tu as traversé la guerre sous des drapeaux différents, sans blessure ni dégâts. Chaque soir, tu t’es endormi un pistolet sur la tempe. Chaque matin, tu t’es réveillé dans la peau d’un survivant. C’est insensé. Certains naissent juste pour qu’on les enterre, d’autres, comme toi, se croient immortels. »

« Le père du salaud venait de dire à son petit-fils que désormais la charge lui revenait. »

« Alors, où est-ce que j’en suis moi ? Comment te suivre ? Soldat, légionnaire, nazi… Ah voilà. Et Résistant ! ça manquait. »

« Ta guerre avait fasciné mon ami historien. Un jour que nous dinions ensemble, il m’a demandé si je n’aurais pas préféré avoir un père « seulement » collabo. Quelque chose de simple, une saloperie sur quoi pleurer, cogner, qu’il me faudrait pouvoir admettre ou condamner, mais voilà que j’avais hérité du pire. Je me débattais dans l’épais brouillard qui entourait ton lac allemand. Tu restais une question et ta guerre était une folie. Elle ne me permettait ni de te comprendre ni de te pardonner.

Une fois encore, je t’en ai voulu. J’étais blessé. Ta vérité n’avait pas plus de sens que tes mensonges. »

« Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans traces, sans repères, sans lumière, sans la moindre vérité. »

« Le salaud, c’est le père qui m’a trahi. Tu as essayé de m’éblouir alors que tu m’aveuglais. »

« Pendant tout le procès Barbie, j’ai rêvé de suivre ton procès. Pas pour te juger, pour t’écouter mieux et t’entendre davantage. Pour que tu m’apprennes et que je comprenne. »

3 commentaires sur « Enfant de salaud / Sorj Chalandon »

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