Dès les premières lignes, ce roman m’a emportée par son écriture poétique. Le personnage principal s’appelle Liouba Darcet. Elle est née d’un père Français (botaniste) et d’une mère Russe (journaliste). Elle se prédestine au métier de journaliste. Elle est encore étudiante quand elle apprend la mort de ses parents qui va la bouleverser et la plonger dans la solitude. Elle sera ensuite toujours dans une sorte d’exil, ne se sentant nulle part chez elle.
Pour son premier reportage, elle décide de partir en Jordanie pour chercher une histoire à raconter.
« Elle avait choisi la Jordanie parce qu’elle était prise par l’appel du désert, de ces paysages immenses et vides qui la laveraient de son deuil. Rien ne la retenait plus à Paris. C’était son rêve, à présent, de partir, de s’absorber dans le monde, de s’en faire témoin, de disparaître derrière ses mots, de devenir ce puits à travers lequel passerait la lumière. La douleur de la perte, le souvenir de Moscou, c’était ce qu’elle voulait fuir. »
Elle rencontre alors des bédouins dans le désert et recueille leurs témoignages. Leurs traditions ont changé car « le gouvernement impose aux familles de demeurer au même endroit ».
« […] mais en perdant la vie nomade, nous avons perdu quelque chose qui était notre liberté. Nous avons dû apprendre à devenir ceux qui restent, et non plus ceux qui s’en vont. »
Liouba fait la connaissance de Babak Majali qui plante des arbres dans le désert. Anne-Lise Avril fait de magnifiques descriptions de paysages. On a vraiment l’impression de partir en voyage avec elle. Elle insère de nombreux dialogues, à l’instar d’un reportage. Babak parle d’écosystème, de sécheresse, d’adaptation des végétaux aux conditions de vie extrêmes, au manque d’eau, à l’insolation, des sous-sols contenant des centaines d’espèces de fleurs en dormance et qui fleurissent au printemps.
« Elle aimait l’immobilité de ces moments, ces discussions. »
« Elle réalisait l’intrication ultime du végétal et de l’humain, qui avaient été, l’un et l’autre, la quête de leurs vies. » [à propos des parents de Liouba]
Il y a un côté Jean Giono, « L’homme qui plantait des arbres ». Avec cette notion de planter des arbustes qui ne grandiront certainement. Pour Babak, il faut tenter absolument quelque chose avant qu’il ne soit trop tard, ne pas baisser les bras. Je dirais même aussi un petit côté Pierre Rabhi.
De retour du désert, elle rencontre un photographe, Talal. Il est reporter de guerre à Gaza. Une attirance naît entre eux. Ils vont s’éloigner puis se retrouver quelques temps plus tard sur un autre endroit de la planète, entre deux reportages. Parfois ils travailleront ensemble sur un sujet. Liouba aura cette peur de perdre un être cher qui l’empêchera de s’attacher. Mais le désir est bien présent entre eux. A chaque fois qu’ils se croiseront, ce sera comme une évidence.
Le roman est divisé en 4 parties : le désert, la forêt, la nuit et l’île. Il alterne entre deux périodes, les années 2010 et les années 2040. Il y a donc un peu d’anticipation dans ce roman. La fin permet de faire le lien entre les personnages.
Ce premier roman est une belle découverte de cette rentrée littéraire. L’écriture est lente et douce. Les conversations sont bienveillantes, ouvertes, tout en simplicité. Le lecteur est sensibilisé à la préservation de la planète. Les thèmes traités sont nombreux et à la lecture de la biographie d’Anne-Lise Avril, je comprends mieux son attachement pour les forêts et leur sauvegarde.
Merci Netgalley et Julliard pour cette belle lecture
« En perdant ses parents, elle avait perdu le lien avec les patries de ses origines, avec ce qui la rattachait aux générations du passé. Elle n’était plus ni de Russie ni de France. Elle était seule, en exil. Irréductible. Libre. »
« Tout était là, les vestiges du passé et les racines de l’avenir. »
« L’exil est l’état naturel de l’être humain. Né dans un lieu de hasard, appelé à ne jamais y demeurer, appelé à toujours y être ramené. Même si Moha venait à partir, il garderait le désert avec lui. Il appartient fondamentalement au désert. »
« Comprendre la difficulté des hommes à coexister, ce qui les pousse à quitter leur monde familier pour se réinventer, ou parfois seulement survivre, ailleurs. Comprendre comment le mouvement, la découverte de la nouveauté et la douleur de la perte les métamorphosent sans cesse. L’être humain a toujours été une espèce migratrice, mais ce mouvement s’accentue aujourd’hui au fil des changements climatiques, de la montée des eaux, des conflits croissants. »
« [La photographie] transmet parfois la poésie de façon plus immédiate que le récit. C’est peut-être plus facile d’y croire, quand on l’a directement sous les yeux. »
« Elle se demandait si les orphelins s’attiraient naturellement, où qu’ils soient dans le monde, comme s’ils émettaient entre eux un signal reconnaissable, à leur insu. »
« Un mois de ciel noir et de pluies torrentielles avaient précédé, sur l’île, le retour du soleil qui se levait à présent chaque matin, écarlate, montait au-dessus de l’océan, comme s’il avait illuminé des mondes souterrains avant de jaillir à l’horizon. »
« Le Groenland était le dernier espoir. L’ultime septentrion d’un monde en débâcle. Un souvenir de l’hiver dans ses glaciers érodés. Jaya y était parvenue en bateau, longue traversée fantomatique, dans la blancheur obscure, à travers les reliques d’icebergs. Voie lactée océanique. Champs de coton jusqu’à l’horizon. De leur harmonie bleue, grise, montaient les soupirs de mille géants invisibles, qui rugissaient et qui toussaient, et dont l’écho se portait jusqu’au large, comme la voix de leur mélancolie. »
« – Les Tanzaniens de Dar es Salam chantent le hip-hop en swahili, annonça Liouba.
– Les Libyens de Tripoli jouent du oud avec un tempo de reggae, poursuivit Talal.
Ils se regardèrent en éclatant de rire. Telles étaient les nouvelles du monde. Tous les pays de la Terre semblaient être liés par un métissage éternel. »
il est dans ma liste d’envies, à tenter!
J’aimeAimé par 1 personne