Des gens comme il faut / Florence Chataignier

Fleurianne, la quarantaine, se plonge dans les cartons de photos et de lettres de son père décédé. Elle descend régulièrement dans sa cave et ouvre boîte après boîte la mémoire familiale. De façon assez chronologique, elle retrace l’histoire d’abord de ses grands-parents en 1935, puis de ses parents, Madeleine et Jean et enfin de sa sœur Apolline dite Nine et d’elle-même Fleurianne dite Fleur.

Une sorte d’arbre pousse dans la cave qui représente le poids de son héritage familial, des secrets enfouis ou présents sous ses yeux dans ces documents. Un récit intime, tout en introspection, qui raconte une famille dysfonctionnelle dont le souci premier est l’apparence.

Madeleine en épousant Jean accède à un statut social plus élevé alors que Jean affiche une norme souhaitée par ses parents. Il épouse une très belle jeune femme qu’il admire mais il est attiré par les hommes. Véritable tabou, Jean a refoulé son homosexualité pour ne pas jeter la honte sur sa famille. Madeleine après quelques années comprend l’erreur qu’elle a commise mais il est trop tard.

Deux filles naissent de leur union, Nine et Fleur. La première est parfaite et adoré par Jean. La deuxième au contraire est rejetée. On plaint Jean de n’avoir que des filles. Une époque où le patriarcat est présent.

Durant les vacances, Madeleine s’affiche avec ses amants. Les deux sœurs appellent leurs parents par leur prénom. Difficile de grandir entre deux parents obnubilés par leur personne. Elles devront à un moment donné partir, se couper de « l’emprise » de leurs parents toxiques pour pouvoir vivre tout simplement leur vie, sans parler de s’épanouir.

Je reconnais une qualité d’écriture à l’autrice de ce premier roman autobiographique cependant le sujet m’a paru trop intime, le « je » m’a perturbée renforçant le sentiment d’étouffement de cette famille. Un livre bien sombre même s’il parle de résilience. J’espère lire un second roman, sur un sujet différent, car la plume est très belle.

Merci Babelio et Le Cherche Midi pour cette découverte

Note : 3.5 sur 5.

Incipit :
« Ma première rencontre avec la sexualité fut la découverte vers 8 ans d’une cassette vidéo érotique dans le lecteur du salon. Un jeune homme (un jardinier dans mon souvenir) y était le centre d’intérêt exclusif d’un monsieur plus âgé et élégamment vêtu. Intriguée, je m’enquis de la chose auprès de Jean (mon père, je ne le répéterai pas, lecteur), avide de vérifier comment deux hommes pouvaient bien faire l’amour, la cassette VHS ne révélant rien de suffisamment explicite. Il m’expliqua sans attendre et avec une délectation certaine que ça se passait par les fesses, et ne dis pas à ta mère que je t’ai répondu. N’étant pas précoce sur ce sujet, je ne savais pas exactement comment cela se passait entre un homme et une femme non plus, j’en déduisis que la sodomie était la meilleure façon de tomber enceinte jusqu’à ce que, des années plus tard, une amie de ma sœur ait pitié de moi et rétablisse la vérité. »

« Ma cave contient mon enfance et mon adolescence enfermées à double tour. Ce dont je n’ai plus l’usage mis je ne peux jeter s’y entasse, mes souvenirs, vieilles choses recouvertes de poussière comme cette étonnante cassette vidéo. L’écume de ma vie. L’humidité ne réussit pas à tout le monde. Certaines de ces choses se rebellent, moisissent ou s’effritent. Ce mélange d’objets empilés, de bribes de vie accumulées les unes sur les autres me procure un sentiment de trouble. Quand on pousse la porte de ma cave, on pénètre dans ma mémoire. »

« Je ne divague pas complètement, ma sœur aînée et moi avons poussé dans la vase avec un peu de lumière autour. »

« Faire bonne figure fut le mot d’ordre de notre enfance. Le sens de la marche n’était jamais prononcé à voix haute. Mais tout dans l’attitude de Madeleine et, le plus souvent, dans celle de Jean, nous guidait, ma sœur et moi, vers ce triste précepte : les apparences doivent à tout prix être sauvegardées. »

« Je lis ce vaudeville sans y prendre plaisir, comme on dissèque une grenouille en classe de troisième. »

« Implacables, les mots d’Étienne, le camarade de régiment, me reviennent en tête. Quelle horreur pour Jean d’avoir deux filles ! »

« La déception, encore une fille ! A l’évidence, un garçon aurait tout arrangé (pendant quelques mois au moins). »

« Oui, c’est évident, avec le cerisier d’Étienne, les bals tiennent le haut du pavé de mes souvenirs d’enfance. Ma cave serait-elle en train de me manipuler ? De me forcer à me remémorer les bons moments car il y en a eu forcément plein… Mais aucun d’eux n’implique le moindre membre de ma famille. »

« Il valait encore mieux rester tous ensemble à s’enfoncer dans ce bourbier qu’emprunter des chemins séparés. La certitude que Jean ne pourrait pas se remettre d’un divorce était trop forte, nous avons tacitement décidé de sacrifier Madeleine à notre bonheur, pardon, c’est idiot, de sacrifier Madeleine à notre malheur. »

« Je me souviens d’une petite fille qui grandit dans le n’importe quoi, engluée dans le mal-être ambiant, au milieu d’adultes drogués aux calmants, assommés par l’alcool, piégés dans leur vie non vécue, écrasés par leur tristesse. »

« Afin de compenser la démission de mon aînée et de contrôler les pulsion destructrices de Madeleine, mon adolescence ressemble à s’y méprendre à l’existence d’une vieille fille. Ce renoncement ne me coûte guère, je regrette simplement de ne pas sortir les vendredis ou samedis soir. Je trouve des excuses, je suis fatiguée, j’ai mal à la tête, j’utilise le joker de mes hanches branlantes ; à qui peut-on dire : J’ai très envie de venir à ta soirée mais j’ai un peu peur que ma mère ne se foute en l’air en mon absence ? A la place, nous regardons ensemble des films sur TF1, le plus souvent, elle repasse en jetant des coups d’œil à l’écran, l’air absent, puis s’endort sur le canapé et je la transporte dans son lit. Chaque soirée sans drame est une victoire à mon actif. »

« Je suis la fille de mon père en somme, qui tenait à sa souffrance comme à la vie même. »

« Pourquoi Jean ne pourrait-il pas enfin se conduire de manière raisonnable, assumer ce qu’il est, embrasser la vie d’un homosexuel ordinaire ? Le fait qu’il n’affronte pas ses désirs alors que plus personne ne l’en empêche (personne à part les injonctions paternelles périmées, un lavage de cerveau religieux et l’ensemble de son biotope) me peine profondément. Le gâchis de sa vie, ce renoncement à tout plaisir, m’éclabousse de tristesse et, à la fois, il faut bien l’admettre, cela nous arrange. »

« Je garderai de ces mois dans l’ombre un enseignement : la vérité n’existe pas, il ne reste que la mémoire des sentiments. »

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