Une jeune femme raconte une soirée en boîte de nuit parisienne qui la hante. Un inconnu se colle à elle et lui demande d’où elle vient en touchant ses cheveux frisés. Les métisses l’excitent.
Ses grands-parents lui ont légué plusieurs origines. Ils sont nés au Niger, en Argentine, en Algérie et en France.
Cette agression sexuelle l’empêche de dormir, de vivre. Son corps ne lui appartient plus.
Avec beaucoup de poésie et de rythme, certains passages pourraient être slamés, ce premier roman introspectif nous plonge dans les pensées d’une jeune femme après un harcèlement.
Le titre fait référence à sa tentative de recouvrir ce souvenir rouge de bleu pour l’adoucir.
Luna nous explique qui est sa famille, sa vie, son enfance. Elle a déjà vécu quelques événements traumatisants. Aujourd’hui elle vit dans un appartement avec sa mère, prof de philosophie, et sa sœur.
J’ai aimé écouter cette voix originale. Un texte qui pourra paraître difficile pour certains lecteurs mais que j’ai beaucoup apprécié pour ma part. Si vous aimez les textes intimistes et que le côté fragmentaire ne vous fait pas peur, alors laissez-vous tenter par cette belle plume prometteuse.
Ce roman est sorti aujourd’hui en librairie !
Je remercie Babelio et le Seuil pour cette masse critique privilégiée
Incipit :
« Il faut bien raconter les histoires.
Il faut bien raconter les histoires.
Il faut bien raconter les histoires.
Les creuser jusqu’à la moelle.
Avant tout était rouge. La maison était rouge. Le souvenir de la maison était rouge. Une maison avec une cave, avec un escalier aux marches branlantes, avec ses souris, son jardin et son cerisier. Rouges, tous rouges. Dans chaque pièce une confidence, dans chaque recoin un secret chuchoté parce que les murs ont des oreilles.
La maison était rouge. Tu as tout repeint : les chaises, les tables, le canapé, la bibliothèque. Même le jardin tu l’as repeint. En bleu. Il fallait tout repeindre. L’horloge tournait. Tic-tac, tic-tac, BLEU. Bleus. Il faut que les murs soient bleus. Tu as lavé à grand bleu toute la maison que tu aimais tant et qui a disparu. Tu as peint en bleu les empreintes et les ombres des personnes qui vivaient dans cette maison. Il ne reste que ce carreau ocre au milieu de la cuisine qui ne veut pas se plier à la dictature bleutée. Tu frottes depuis des heures et la tache ne disparaît pas. Tic-tac tic-tac… Trente… vingt-neuf… Frotte frotte tu sais qu’il faut que tout redevienne bleu ! Le rouge de la maison est trop violent, le bleu c’est mieux, plus doux. Quatre-vingt-quinze pour cent de la population mondiale considère que sa couleur préférée est le bleu, tu te souviens, tu as lu ça quelque part, il y a longtemps. Le bleu est la couleur du passé, du commun et de l’acceptation. Tout doit devenir bleu. Tu dois tout accepter. Peins ta honte en bleu, peins tes amours déçues en bleu. Peins en bleu tes balbutiements et ta gêne. La tension en bleu. Peins les mauvais souvenirs en bleu au lieu de te mordre la joue, de te pincer les lèvres ou de laisser s’évader un petit bruit d’énervement quand ils ressurgissent brusquement. Peins tes yeux en bleu quand tu vois rouge. Pense bleu. Parle bleu. Ris bleu.
Le carreau ocre parle. « Tu viens d’où ? », suivie de la caresse d’un inconnu sur tes cheveux. Parle bleu. « Ah, ça explique pourquoi t’as les cheveux frisés. » Ris bleu. « C’est drôle parce que pourtant t’as les yeux bleus. » Parle bleu. Le corps se rapproche, il se colle, tu le sens qui se presse contre toi. Son souffle trop près, le filet de sa voix qui s’infiltre dans tes oreilles. Il dit quelque chose sur le métissage, sur les courbes de ton corps, sur son excitation qui grandit. Pense bleu, souris bleu et tais-toi ! »
« […] tu ne peux t’empêcher d’avoir honte. Honte parce que ces images t’obsèdent, parce qu’elles reviennent quand le souvenir des phrases qu’il a prononcées dans le fumoir, de ses gestes, remonte à la surface de ta mémoire mais aussi chaque fois que tu te rappelles les phrases, toujours les mêmes, qui te sont lancées ; les phrases de la rue, les phrases des bus, des terrasses de café, les phrases jetées à la volée et qui ont tout juste le temps d’atteindre tes tympans alors que tu traces ta route à vélo. Toujours ces mêmes voix, ces mêmes phrases qui te demandent d’où tu viens, d’où viennent tes cheveux, et ensuite te transforment en un morceau de chair exotique et baisable que l’on emmènerait bien faire un tour à l’hôtel. »
« Tu as honte parce que tu as peur. Tu as peur de ne plus jamais réussir à te voir autrement qu’à travers leurs yeux. Pour les autres, n’être plus qu’un corps. »
« Depuis cette soirée dans le fumoir, tu ne dors presque plus. Ta vie se partage entre les baby-sittings, les cafés, les bars, les soirées avec des amis et quelques rendez-vous Tinder que tu enchaînes sans jamais y croire. Depuis les mains de l’inconnu sur tout ton corps, tes nuits tu les passes en soirées, tes matins te servent à récupérer. Tout pour enfumer les souvenirs, les recouvrir de nouvelles scènes, qui toutes se ressemblent. Pour conjurer le mauvais sort, le mauvais œil. Danser, danser, danser, pour sentir le corps qui à nouveau t’appartient et s’abandonne en même temps. »
« Dans le champ de lavande
La bouche grasse d’huile d’olive du grand-père paternel goûte la chaleur de l’été.
Des souvenirs qui n’existent pas sont recouverts d’un duvet vert-de-gris
Les feuilles de l’arbre frémissent. »

Un premier roman qui saura trouver son public assurément !
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Je l’espère 😊
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