Rousse / Denis Infante

Ce roman raconte la quête d’une jeune renarde, Rousse. Elle veut aller voir ce qu’il y a plus loin, au-delà du Bois de Chet. Son parcours est composé d’aventures, de rencontres, d’amitiés, d’entraide et de respect, parfois de peur mais toujours d’espoir et de courage.

Le climat change et la sécheresse se fait plus présente. Rousse recherche de l’eau, des paysages qui ne soient pas apocalyptiques. Les paysages défilent sous ses pas. Elle constate des traces de la présence d’hommes mais ils ont disparu de la Terre. Sorte de conte écologique, ce premier roman nous invite à faire preuve de sagesse et à percevoir la beauté de la nature qui nous entoure pour en prendre soin.

Les compagnons de route de Rousse, une ourse et un corbeau, partagent leurs connaissances avec elle. La transmission a un rôle important dans l’histoire.

Les émotions et les sens de la renarde sont au cœur de l’écriture de Denis Infante. La particularité de cet ouvrage est qu’il ne comporte pas d’articles devant les noms, c’est-à-dire l’absence de « le/la/les/un/une/des ». Je me suis rapidement habituée à cette écriture. L’envie de connaître la suite des aventures de Rousse a été plus forte. Je me suis attachée à cet animal. L’absence d’articles pourrait être comparée au jeu qu’on voit parfois passer sur un réseau social connu où il manque des lettres dans un texte mais notre cerveau arrive tout de même à le lire et le comprendre. Il reconstitue les mots. J’avoue préférer quand tous les articles sont là !

Ce fut une expérience de lecture intéressante et unique. J’ai aimé l’écriture sensible et poétique de Denis Infante. Si vous aimez les OLNI, objets littéraires non identifiés, celui-ci est original et devrait vous plaire. Ce court roman est une ode à la nature, à percevoir tout simplement la beauté des habitants de l’univers à l’instar des livres de Jean Giono.

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« Aucune pluie n’était plus tombée depuis de trop nombreuses lunes. Et dans Bois de Chet, comme partout alentour, vivants souffraient de grande soif. Mobiles autant qu’immobiles, ailes, pattes, nageoires, racines, radicelles, tous enduraient manque d’eau, manque de cet insaisissable et pourtant vital élément qui n’avait ni forme, ni voix, ni couleur, et si eau était vivante, nul jamais n’en avait surpris moindre preuve. Nul jamais n’avait échangé joie, bonheur, colère ou désir avec elle. C’était toujours sens unique. C’était toujours reflet, image de soi-même qui apparaissait parfois, à sa surface. D’elle, personne ne savait rien. Certains pensaient qu’eau n’était que forme liquide de rochers et comme eux, n’avait ni vie, ni esprit. D’autres, inversement, affirmaient qu’elle était mère de toute chose, génitrice, matrice, première née. »

« Rousse était jeune renarde à robe flamboyante, dont beauté et finesse d’esprit attiraient de nombreux soupirants, mais Rousse tous refusait, utilisant griffes et dents, fuite ou combat si nécessaire, dissuadant d’insister mâles plus tenaces. Rousse était libre et solitaire et tenait à le rester. Ce qui ne l’empêchait pas de s’être fait durant sa courte existence quelques amis fidèles parmi ceux de son peuple ou autres vivants, avec qui elle aimait partager doutes, joies et tendresse. »

« Rousse partir donc un matin à peine lueur du jour rosissait au levant, en direction de lointaines montagnes que l’on disait si hautes qu’elles touchaient le ciel de leurs doigts de glace et de neige, si froides que soleil lui-même renonçait à réchauffer leurs os de pierre. Rousse partit, trot ferle et souple, sans se retourner. Rousse avait dit au revoir à ceux qu’elle laissait derrière elle, amis, familiers, pistes de chasse, couleurs, chants d’oiseaux, cieux et nuages, arbres et vallons. Rousse partit espérant trouver au bout de sa quête air plus frais, rivières aux eaux claires, gibier abondant et dodu et toutes choses qui l’aideraient à entretenir sa joie. Espérant trouver sur son chemin assez de lumière pour fortifier son cœur, assez de joyeuses rencontres pour alléger sa course. »

« Elles se baignèrent dans eaux vives et fraîches, à odeur minérale, afin de se laver de toute poussière accumulée dans leur fourrure. Et, tandis que fort courant entraînait salissure et poussière, elles avaient sensation que Grand Fleuve extirpait aussi fatigue de leur corps et accablement de leur esprit.
Renarde avait rejoint berge boueuse depuis longtemps et savourait son bien-être à douce ombre de frêne, museau posé sur ses pattes avant, yeux mi-clos, humant exhalaisons limoneuses, vertes et poivrées, qui émanaient de plantes et terre gorgées d’eau, que Brune batifolait encore dans fleuve scintillant, plongeant, nageant, cabriolant, éclaboussant sans retenue, grognant et grondant de plaisir.
Et pêchant aussi, avec adresse et grand bonheur, perches, brochets et sinueuses anguilles. 

« Pourtant, Rousse voulait comprendre, Rousse interrogea vieux corbeau. Rousse voulait savoir. Noirciel battit des ailes, s’envola, revint, poussa nombreux croaillements de mécontentement, cependant que Rousse, insolente et entêtée, poursuivait vieux corbeau d’interrogations incessantes. Noirciel, qui avait pour jeune renarde affection profonde qui l’étonnait lui-même, finit par obtempérer, non sans lui reprocher impertinence et manque de considération pour vieilles plumes de vieux corbeau. Peu de respect qu’elle montrait pour très grand âge. »

« Noirciel disait vrai, Rousse voulait apprendre. Rousse voulait connaître et découvrir. Elle avait beaucoup réfléchi sur rive de Grand Fleuve. Atteindre neiges éternelles, trouver territoire opulent lui importait moins que parcourir terres et espaces. Que rencontrer vivants inconnus, contrées nouvelles, feuilles d’autre vert et autre forme que jamais ses yeux n’avaient vues. »

« Ainsi se déroulait courte ou longue vie de toute créature, un temps chasseuse affamée, un temps proie terrifiée. Un temps en quête d’énergie vitale, un temps luttant pour préserver sienne. Car, pour finir, qu’importait aux vivants, sinon de se préserver, se perpétuer, se transmettre. Du plus faible au plus fort, du plus inexpérimenté au plus retors, du plus lent au plus rapide. Sang versé, et sang bu.
Herbes, plantes, arbres, fleurs, feuilles et troncs, tous aussi participaient au cycle. Tous offraient leur part.
Rouge ou verte était sève de vivants. »

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