Une façon d’aimer / Dominique Barbéris

L’histoire débute dans les années 50 à Nantes, dans la période d’après-guerre. Madeleine se marie avec Guy et quitte sa Bretagne natale pour le suivre à Douala où il travaille à la Société des bois du Cameroun. Un changement de vie radical auquel elle doit s’adapter. Elle est une femme discrète, plutôt effacée, avec de l’allure mais se tenant toujours très raide et droite. Il est difficile de savoir ce qu’elle pense. Son mari est fou amoureux d’elle. Elle accouche à Douala d’une petite fille, Sophie. Lors d’une réception, elle rencontre Yves Prigent, administrateur civil qu’on dit espion aussi, sorte d’aventurier, en tout cas connu pour être un séducteur. Il tente de la faire danser, de la dérider, de la charmer. Elle reste une provinciale qui ne se sent pas à sa place dans ces fêtes mondaines entre Européens expatriés.

En arrière-plan, il y a l’Afrique coloniale et l’indépendance du Cameroun proclamée le 1er janvier 1960 qui les pousse à quitter Douala et à rentrer à Nantes.

L’histoire de Madeleine est racontée par sa nièce, bien des années plus tard. Sophie, qui est donc la cousine de la narratrice, trouve des photographies, articles et lettres après la mort de ses parents. Les deux cousines se replongent dans les souvenirs de famille avec une certaine nostalgie. La narratrice interroge alors des membres de sa famille. Sa mère évoque une bêtise au sujet de Madeleine et d’Yves Prigent.

Une sorte de mystère plane tout au long du roman et crée une ambiance particulière. Quel est donc le secret de cette femme ? Les éléments sont distillés au fur et à mesure, par petites touches. L’autrice suggère et laisse de la place au lecteur pour imaginer. Des paroles de chansons et des références musicales de l’époque ponctuent les chapitres.

On ressent le temps qui passe. On sent les odeurs et la chaleur africaine. Ce roman est d’une délicatesse absolue, très bien écrit. Il est d’ailleurs sur la liste de plusieurs prix littéraires et a déjà reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française et le Prix des libraires de Nancy-Le Point. Ce n’est pas un coup de cœur pour moi mais une très bonne lecture que j’ai appréciée.

Note : 4 sur 5.

Incipit :
« En faisant la vaisselle, ma mère chantait souvent « Le vie conjugale » :
Les histoires sages
finissent souvent
par un beau mariage
Et beaucoup d’enfants.
Guy Béart. On avait le disque à la maison, un 45 tours. Les disques, à cette époque, c’était fragile. Il fallait les manipuler avec précaution en les sortant de leur pochette pour ne pas laisser de traces de doigt. On les essuyait avec une petite brosse de velours bleu électrostatique. Malgré tout, il restait toujours de la poussière sur la piste, l’invisible poussière du temps. Je me souviens de l’odeur du plastique. »

« Madeleine est mince, avec des épaules presque maigres, un décolleté discret, des cheveux blonds ondulés par une mise en plis. C’est son allure, surtout, qui frappe, soignée, tenue un peu raide avec cette taille plate et sanglée, si foncièrement anachronique. Inimitable – c’est le mot qui me vient. Je ne sais pas à quoi tient cette allure : la démarche, le port de tête, une manière de se découper sur le ciel. Elle avait, paraît-il, à l’époque, « quelque chose de Michèle Morgan » dans la blondeur et le maintien. On le disait dans la famille. »

« Peut-être qu’elle se disait que le silence efface les choses, qu’il les annule. Vois-tu, c’est une question que je me pose aujourd’hui : si on ne parle pas, s’il ne reste aucune trace, est-ce qu’on ne peut pas douter de ce qu’on a vécu ? »

« Sophie a bu une gorgée de tisane. Elle a dit : D’une certaine manière, ma mère est l’héroïne d’un roman que personne n’écrira. »

« Ces promenades en silence le long de la mer, c’est un de mes souvenirs. Peut-être que le silence est une façon d’aimer – c’est une phrase que j’ai lue, ou que j’ai entendue. Je ne sais plus. »

« (Mais je me le demande, mois, ce soir, en écrivant, qu’est-ce que c’est : sacrifier sa vie ?
Sauver sa vie ?) »

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