Suite à une rupture amoureuse, un écrivain quitte Paris et retourne dans le village de ses parents, en Dordogne, où il décide d’écrire un roman d’amour pour récupérer Ana. Sur sa route, il rencontre un chien, le maire du village, deux policiers enquêtant sur l’empoisonnement de chiens dans la région, Vera la soixantaine, ancienne galeriste d’art qui a fui Paris et son mari. Le roman est truffé de personnages secondaires tout aussi attachants les uns que les autres, comme la mère Delbary. Le milieu littéraire est allègrement égratigné et le lecteur en rit. La description du salon du livre régional est vraiment très drôle.
Je retrouve avec plaisir le style de Florent Oiseau, son humour, son regard caustique et ses punchlines. Comme dans ses précédents livres, le personnage principal est un anti-héros qui doute, trébuche, se cherche. Il parle de solitude(s), de gens ordinaires. Fin observateur, il recueille toutes sortes d’anecdotes au quotidien, notamment dans le café en bas de chez lui, dont il nous régale ensuite. L’histoire de la carpe koï est à la fois incroyable et vraisemblable.
Si vous avez envie de lire quelque chose de singulier et de drôle en cette rentrée littéraire, je vous conseille le cinquième roman de Florent Oiseau. Vous pourrez également le découvrir dans le replay et le podcast de la rencontre VLEEL qui seront prochainement mis en ligne.
P.S. : J’ai glissé un peu de jaune pour Ana sur la photo 😉
Incipit :
Dehors, chauffeurs de taxi et pigeons se partageaient le parvis, des cigarettes et des avis. Un brouillard âcre se pavanait partout. Dans le hall, un pianiste malhabile semblait découvrir son instrument, tandis qu’une file patiente dégoulinait devant l’enseigne Brioche dorée. Dans cette gare, il faisait toujours froid. J’ai pris un ersatz de café et un sandwich, Le Champêtre, cantal, jambon sec, roquette, et toute la sécheresse de l’univers. Le café avait le goût des remords. Autour de moi, des créatures avec trop peu d’espace entre les yeux, calmes et frigorifiées, regardaient le tableau des départs en attendant de se voir indiquer leur quai. J’ai observé le panorama tout en avançant vers mon train. La fréquentation des gares, rendue obligatoire par mon travail, avait fait de moi une sorte d’anthropologue ferroviaire et mon constat était sans appel : les voyageurs les plus laids – au départ de Paris – transitent par Austerlitz. Le Berry, l’Orléanais, le Massif central, aussi pétris de qualités soient-ils, n’ont jamais produit beaucoup de mannequins. Je me suis regardé dans le reflet de la vitre de mon wagon, je ne faisais pas exception.
« J’ai passé les quinze dernières années à l’ombre des projecteurs. Dans la sphère germanopratine, mon nom circule moins que la grippe espagnole, seuls quelques libraires illuminés et une poignée de journalistes apprécient mes romans. Mon éditeur nourrit un avis tranché à mon sujet et m’en fait part sur un ton à la fois amusé et péremptoire :
– De tous les écrivains sans intérêt, vous êtes le meilleur Laurentis. »
« Je crois pour voir dire que le milieu littéraire se divise en trois catégories. Les mauvais écrivains (ils font consensus), les bons écrivains (là, en revanche, les avis divergent) et les autres. J’appartiens à la dernière catégorie et je m’en gargariserais presque, mais les choses commencent à changer et je semble prendre la mesure de mon métier, des livres que je vais laisser, de l’empreinte modeste de mon œuvre, et je la sais vouée à perdre le combat l’opposant à la postérité. Tous mes romans se situent à Paris, des héros flegmatiques s’y promènent en attendant le lendemain et j’essaie de sauver la fadeur de mes intrigues avec des aphorismes plein d’esprit, au sujet de problématiques follement originales, comme : la vie, la mort, l’amour ou le destin. »
« Je me suis réveillé à midi, j’ai relu mes premières lignes. C’était con et sincère. J’ai examiné mon téléphone, aucun message d’Ana. Je suis restée à me prélasser au lit comme une sirène ensuquée. »
« On trouvait plus de tristesse dans les yeux de ce chien que dans toutes les pièces de théâtre russe. »
« Écrire un roman pour récupérer l’être aimé m’apparaissait aussi peu louable qu’un chantage au suicide, mais je ne savais rien faire d’autre, je ne pouvais opposer que ça. »
« Un midi, en promenade sur le chemin gris, je m’étais permis d’appeler mon éditeur pour lui tracer les contours de mon roman.
– Vous êtes sûr de vous Laurentis ?
– Ni plus ni moins que les fois précédentes.
– Depuis quinze ans, vous n’avez jamais fait preuve ni d’aplomb ni d’appréhension. Vous êtes ailleurs. Je vais vous dire, il y a une chose sidérante avec vous. Je crois que vous êtes le seul auteur pour lequel je n’ai pas trouvé la réponse. J’en parlais à mon épouse il y a peu et je lui disais à votre sujet qu’après tant d’années je ne savais toujours pas si j’avais misé sur un cheval de course ou sur un âne. »
« En fait, mes personnages sont des dérivatifs, des pansements, je les utilise pour éviter de regarder mes monstres. »

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