Un simple dîner / Cécile Tlili

Nous sommes à Paris. Le roman s’ouvre avec Claudia transpirant d’avoir cuisiné toute la journée alors qu’il fait très chaud. Ce soir ils reçoivent un couple d’amis. Ce dîner est important pour son conjoint, Étienne. Il a invité son ami Rémi et sa femme Johar. Dès les premières pages on sent l’emprise d’Étienne sur Claudia, effacée, se sentant inférieure et mal à l’aise face aux trois autres personnes de ce huis clos. Au fur et à mesure Claudia dévoile sa personnalité et son histoire.

Johar arrive en retard. Elle n’a pas envie d’être là. Aujourd’hui elle a eu une proposition de poste qu’on ne peut refuser, celle qu’elle espérait mais quelque chose la retient d’accepter tout de suite. Elle a demandé un délai de réflexion jusqu’à ce soir, jusqu’à ce dîner qui va faire basculer la vie de tous les protagonistes.

Rémi est professeur, Johar a un poste à responsabilités dans une grande entreprise avec laquelle le cabinet d’avocats d’Étienne espère pouvoir faire des affaires. Claudia est kinésithérapeute. Les chapitres alternent les points de vue et ressentis des personnages. Le lecteur vit ce dîner au travers des quatre protagonistes et c’est psychologiquement très intéressant. Il y a une véritable ambiance.

Dans ce premier roman, Cécile Tlili réussit à maintenir la tension et retranscrit très bien les préoccupations de chacun. Les secrets des uns et des autres sont peu à peu révélés. On entre dans l’histoire intime de chaque couple. La véritable personnalité d’Étienne apparaît à son ami Rémi au cours de la soirée. Il est question de réussite sociale, d’ambition, de discrimination, de patriarcat, de maternité.

Un premier roman de cette rentrée littéraire très réussi que j’ai eu plaisir à lire. Une autrice à suivre !

Je remercie Babelio et Calmann-Lévy pour cette lecture.

Ce roman paraît le 23/08/23.

Note : 4 sur 5.

Incipit :
Claudia s’adosse au mur de la cuisine. La chaleur emmagasinée par le plâtre tout au long de la journée se propage dans ses hanches, ses omoplates, ses épaules. Sa tête tombe en avant, infiniment lourde. À la vue des striures rouges qui lui barrent la gorge, Claudia s’enfonce un peu plus profondément dans le mur, indifférente aux traces que ses mains, encore grasses d’avoir huilé le poulet, impriment sur la peinture blanche.
On étouffe dans cette cuisine. Il est près de 20 heures, pourtant le soleil continue de se glisser par les interstices des volets pour venir lui griller la peau. Ou peut-être est-ce le curry qui fait de cette pièce une étuve. Quelle idée de préparer un plat chaud et épicé par ces températures. Étienne lui avait dit qu’une salade ferait l’affaire.
Étienne s’approche d’elle. « Ils vont bientôt arriver, Claudia. Va prendre une douche. »
Lui est frais et propre. Il pose une main sur le cou de sa compagne. Sentant son artère palpiter contre son pouce, il lui demande, incrédule :
« C’est de préparer le dîner qui t’a mise dans un état pareil ? Va prendre une douche, ça te fera du bien. »
La main glisse du cou vers la nuque, qu’il enserre délicatement, poussant imperceptiblement Claudia en direction du couloir et de la salle de bains. Cou étroit. Le cou du poulet est parti à la poubelle, avec les abats. Le boucher s’entête à lui donner tous les morceaux de la bête et, toujours, elle passe un moment à contempler, perplexe, ces intrus au milieu des chairs à la peau orangée : la surface brillante et sombre des viscères, la courbure du cou, les ergots, désormais inoffensifs.

« Elle se demande ce qu’elle fait là. Elle regrette la tranquillité de son banc. Elle ne se sent pas prête à affronter toute une soirée la politesse mielleuse d’Étienne, le malaise de Claudia ni la mauvaise humeur de Rémi à son égard – un comble, il l’a suppliée de venir ici, et maintenant il entreprend de régler ses comptes avec elle en public. »

Il est incapable de comprendre pourquoi elle a droit à tout ce pouvoir alors que lui-même doit se contenter des sucres que daigne lui jeter Alexandra. Il a bien suivi, lui aussi, un parcours exemplaire. Il a comme elle passé des nuits blanches au bureau, à guetter une lueur de compassion dans le regard vide des agents de ménage. Il pense à son père qui l’a poussé à devenir avocat comme lui, il ricane en se représentant la morgue du vieil homme, toujours rasé de près, élégant dans ses costumes anthracite. Il la comprend, sa vie, maintenant, les déguisements n’y changent rien : son père, tout comme lui, se prostituait le jour pour trouver des clients, puis se faisait violenter par eux jusqu’au bout de la nuit. Il s’est stupidement laissé entraîner sur les pas du vieux dans le grand bordel des affaires.
« C’était foutu dès ma naissance pour la gloire professionnelle, de toute façon, se dit rageusement Étienne : je ne suis pas une femme et je ne suis pas arabe. »

« Rémi se tait, surpris par le mépris qu’il a entendu dans la voix de son ami. Il y a quelques minutes encore, profitant de l’absence de leurs compagnes, les deux hommes avaient replongé avec plaisir  dans le souvenir de leurs années étudiantes. Le vieux complice vient de s’effacer, il a cédé la place à l’avocat arrogant qui donne des leçons au petit prof. »

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