Entre recueil de nouvelles et roman, le 9ème livre de Jean-Marcel Erre est bourré d’humour, parfois noir, tout en ouvrant la réflexion sur la normalité et la monstruosité, avec une touche de féminisme.
La narratrice se nomme Julie. Elle a 25 ans et vit en Lozère, mais sa singularité est d’être tétraplégique de naissance. Elle s’échappe de son handicap par l’écriture : « on lit pour sortir de soi, vivre d’autres vies ». Les chapitres alternent entre la voix de Julie qui interpelle les lecteurs et les histoires qu’elle raconte, des portraits brossés autour des thèmes normalité/monstruosité, chance/malchance, bien/mal.
Le roman est truffé de jeux de mots et de références littéraires et actuelles. L’auteur joue avec les personnages et les titres de ses précédents romans qui peuvent d’ailleurs se lire indépendamment. On sent que l’auteur s’est amusé à écrire ces histoires. A la base, ce sont des chroniques publiées dans Fluide glacial, qu’il a réécrites. La moitié sont des portraits. Ce sont des formats courts qu’il a ensuite interconnectés. On retrouve des références d’une histoire à l’autre.
J.M. Erre a débuté la rencontre VLEEL par la question de la légitimité en tant qu’homme, valide, d’écrire à la place d’une femme, handicapée. Pour lui, elle ne se pose pas. La littérature permet d’écrire en se mettant « à la place de ».
Si vous avez envie de passer un bon moment de lecture avec un excellent conteur, lisez ce roman !
Incipit :
Julie
Normalité ou monstruosité ?
Je m’appelle Julie, j’ai vingt-cinq ans et j’habite un village de Lozère nommé Margoujols. On dit de moi que j’ai l’esprit vif, beaucoup de curiosité et un humour noir parfois féroce. Je suis une lectrice passionnée et je pratique l’écriture en amatrice. J’aime la danse classique, le patinage artistique et le punk rock celtique hardcore. Je suis accro aux réseaux sociaux, féministe, écolo, libre et révoltée, mais il m’arrive aussi de rêver au grand amour de conte de fée, et même de m’imaginer avec une flopée de mouflets. Je suis normale, quoi.
Ajoutons à présent un détail à mon portrait. Mon petit truc en plus qui me donne toute ma personnalité : je suis tétraplégique de naissance.
« Un de nos plus grands humoristes, Michel Houellebecq, montre dans son roman Extension du domaine de la lutte que le libéralisme économique trouve son équivalent dans le domaine des relations amoureuses et sexuelles. Si certains d’entre nous vivent des relations sentimentales et érotiques variées et excitantes, d’autres sont condamnés à la solitude et au désert affectif au fond du couloir à gauche. Pour ce qui me concerne, bien que vivant une relation fusionnelle avec mon fauteuil, il est inutile que je précise dans quel camp je me trouve. »
« Cette liste suffit à comprendre l’objectif réel des écrivains qui mettent en scène des histoires d’amour. Leur but est de consoler les lecteurs vis-à-vis de la misère de leur vie sentimentale en leur décrivant par le menu les ravages de la passion. Le message qui ressort de l’échec de ces couples littéraires est on ne peut plus clair : lectrices, lecteurs, continuez donc à bouquiner au lieu de perdre votre temps et votre santé à essayer de vivre des histoires d’amour qui s’avéreront inévitablement foireuses.
De là à en conclure que les écrivains seraient eux-mêmes des ratés de l’amour qui se servent de l’écriture pour s’auto-persuader qu’une vie de couple réussie relève de la fantasmagorie… Je vous laisse juge. »
« Vous me trouvez tordue de penser ça ? Tant mieux. Si vous me pensez tordue, vous allez me trouver inquiétante. Si vous me trouvez inquiétante, vous allez vous méfier de moi. Et si vous vous méfiez de moi, vous allez arrêter de me regarder avec compassion. Enfin.
Je veux être considérée, comme possiblement perverse, au moins autant que n’importe quel valide. Et si vous voulez vérifier qu’on ne sait jamais ce qui se cache sous une apparence de faiblesse, lisez l’histoire de Ferdinand Bic, ce si sympathique centenaire en fauteuil roulant… »
« Le 1er janvier, impatient d’identifier scientifiquement l’âge d’or, Ousmane se lança dans la recherche historique en se rendant à la source de toutes sources : la bibliothèque nationale de France. Était-ce mieux avant ? Ce jour-là, Ousmane fut déjà certain d’une chose : parfois, c’est mieux après (car le 1er janvier les bibliothèques sont fermées). »

Un avis sur « Les autres ne sont pas des gens comme nous / J.M. Erre »