Alerte coup de cœur !
Ça faisait longtemps que je n’avais pas pris autant de notes et recopié autant d’extraits d’un roman ! Bref ce roman m’a beaucoup plu !
Ce sont les pierres d’un mur qui nous racontent l’histoire d’une famille.
« Nous les pierres rousses de la cour, qui faisons ce récit, nous nous sommes attachées aux enfants. C’est eux que nous souhaitons raconter. Enchâssées dans le mur, nous surplombons leurs vies. Depuis des millénaires, nous sommes les témoins. Les enfants sont toujours les oubliés d’une histoire. »
Le roman se divise en 3 parties ou 3 points de vue, celui de l’aîné, puis de la cadette et enfin du dernier. On ne saura pas leur prénom. Ils sont toujours nommés ainsi.
Voici l’incipit :
« Un jour, dans une famille, est né un enfant inadapté. Malgré sa laideur un peu dégradante, ce mot dirait pourtant la réalité d’un corps mou, d’un regard mobile et vide. »
L’aîné a 9 ans quand son petit frère naît et que leur mère constate que l’enfant est aveugle en passant une orange devant ses yeux. S’ensuivent une série de rendez-vous médicaux qui confirme que l’enfant est aveugle mais aussi qu’il ne marchera et ne parlera jamais. Son cerveau ne transmet pas les informations. On leur annonce une espérance de vie de 3 ans. Voilà qui bouleverse la vie de cette famille.
« Ce serait un nouveau-né pour toujours. »
Alors que l’aîné s’attache à l’enfant, la cadette, elle, développe une colère. Elle ne supporte pas cet enfant différent qui lui vole son grand frère. Et puis il y a le regard des autres. On cache aux camarades qu’on a un autre frère pour éviter de dire qu’il est handicapé.
Pour les parents c’est le parcours du combattant pour remplir des dossiers de demande d’aides, pour trouver un centre pouvant accueillir l’enfant. Des épreuves inhumaines qui mettront à rude épreuve leur couple. Dans la famille, chacun s’adapte et a une réaction différente.
L’enfant vivra jusqu’à l’âge de 10 ans. A sa mort, l’aîné sera dévasté et lui fera une promesse : « Je laisserai ta trace. » Pour le dernier, qui naîtra après, il ne cessera de sentir le poids, la présence de l’enfant absent. Il fera tout pour être un enfant parfait, ne causant aucun souci à ses parents, essayant comme la cadette de ramener la vie au sein de la famille, une certaine « normalité ».
Le roman se situe dans les Cévennes. L’autrice décrit superbement la nature, la rivière qui coule au bord de la maison et la montagne qu’ils gravissent fréquemment.
Tout en sensibilité et émotions, Clara Dupont Monod nous offre un roman bouleversant, tendre et humain sur un sujet peu traité dans la littérature. Un très beau texte, poétique, qui m’a donné envie de goûter aux gaufres à l’orange.
Merci à Netgalley et Stock pour cette lecture
[Edit du 19/10/21] Ce roman a reçu le Prix Landerneau 2021.
[Edit du 25/10/21] Il a également eu le Prix Femina 2021.
[Edit du 25/11/21] Prix Goncourt des lycéens 2021.
« On posait l’enfant sur le canapé, la tête calée sur un coussin. Cela suffisait à le rendre heureux. Il écoutait. A son contact, l’aîné apprit le temps creux, l’immobile plénitude des heures. Il se coula en lui, comme lui, pour accéder à une exceptionnelle sensibilité (froissement au loin, rafraîchissement de l’air, murmure du peuplier dont les petites feuilles, retournées par le vent, brillent comme des paillettes, épaisseur d’un instant chargé d’angoisse ou rempli de joie). C’était un langage des sens, de l’infime, une science du silence, quelque chose qu’on n’enseigne nulle part ailleurs. A enfant hors norme, savoir hors norme, pensait l’aîné. Cet être n’apprendrait jamais rien et, de fait, c’est lui qui apprenait aux autres. »
« Depuis, l’aîné a grandi sans se lier. Se lier, c’est trop dangereux, pense-t-il. Les gens qu’on aime peuvent disparaître si facilement. »
« L’inquiétude a planté en lui ses racines, germé comme le figuier des montagnes, coriace et résistant. »
« Il aspirait toutes les forces. Celles de ses parents et de son frère aîné. Les premiers affrontaient, le second fusionnait. A elle, il ne restait rien, aucune énergie pour la porter. »
« la fragilité engendre la brutalité, comme si le vivant souhaitait punir ce qui ne l’est pas assez. »
« En la cadette s’implanta la colère. L’enfant l’isolait. Il traçait une frontière invisible entre sa famille et les autres sans cesse. Elle se heurtait à un mystère : par quel miracle un être diminué pouvait-il faire tant de dégâts ? L’enfant détruisait sans bruit. Il affichait une souveraine indifférence. Elle découvrait que l’innocence peut être cruelle. »
« Si la cadette résumait, l’enfant avait pris la joie de ses parents, transformé son enfance et confisqué son frère aîné. »
« Il fallait rayer l’espoir de pouvoir lui dire « pensons à nous et pense à moi ». Il fallait s’adapter comme on épouse les contours d’une guerre. Elle apprit les trêves et les offensives. »
« Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres. Car les bien portants ne font pas de bruit, s’adaptent aux contours cisaillants de la vie qui s’offre, épousent la forme des peines sans rien réclamer. Ils seront les gardiens du phare détestant les vagues mais tant pis, refuser serait déplacé. Un sentiment de devoir les guide. Ils se tiendront là, vigies dans la nuit noire, se débrouilleront pour n’avoir ni froid ni peur. Or, n’avoir ni froid ni peur n’est pas normal. Il faut venir vers eux. »
« L’heure n’était plus au chagrin. L’heure était au sauvetage d’une famille en péril. Son père devenait violent, sa mère muette, et son aîné était déjà un fantôme. Il était l’heure de combattre. Une force émergea au fond d’elle, d’une froideur tranchante. »
« Le dernier n’avançait pas seul. Il le savait. Il était né avec l’ombre d’un défunt. Cette ombre ourlait sa vie. Il devait faire avec. Il ne s’insurgea pas contre cette dualité forcée, au contraire. Il l’intégra à sa vie. Ainsi donc, un enfant handicapé était né avant lui, avait vécu jusqu’à l’âge de dix ans. Les absents étaient aussi des membres de la famille. »
« Il les protégeait comme on s’assied près d’un enfant malade. Il sentait bien que ce n’aurait pas dû être son rôle. Mais il sentait aussi que le sort aime défaire les rôles, et qu’il fallait s’adapter. »
« Comment était-il possible de regretter autant quelqu’un mort avant soi, se demandait-il, et cette question était un vertige. »
« Il se sentait usurpateur. Il s’excusait silencieusement auprès de son frère. Pardon d’avoir pris ta place. Pardon d’être né normal. Pardon de vivre alors que tu es mort. »
Moi aussi, ce fut un vrai coup de coeur et aussi de justesse dans son humanité ! J’espère qu’il va recevoir au moins un prix car il le mérite 😉
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Oh oui un prix serait mérité 😊
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