Dévoré en 2 jours, je n’ai pas pu quitter Mona, le personnage principal de ce roman et la narratrice.
Mona consulte une psy car elle a des difficultés dans ses relations amoureuses. Elle cherche sa place. Elle développe des crises et se met à parler yiddish dans son sommeil alors qu’elle ne parle pas cette langue. Elle fait alors un séjour en hôpital psychiatrique.
En parallèle de l’histoire de cette jeune femme qui se passe de nos jours, il y a celle d’Avrum et Moyshé, en Pologne, en 1932. Je préfère ne pas vous en dire davantage pour ne pas gâcher votre plaisir de lecture. Sachez qu’il est question de transmission.
Ce premier roman est à la fois drôle et touchant. Nathalie Zajde est maître de conférence en psychologie et s’intéresse à l’ethnopsychiatrie avec notamment Tobie Nathan. Elle a créé de groupes de paroles pour les survivants de la Shoah. Son roman est un condensé de son expérience professionnelle et surtout l’autrice déborde d’imagination.
Encore une pépite publiée par les éditions de l’Antilope que je vous recommande.
Incipit :
« Mes crises ont commencé à l’adolescence, l’année où j’ai eu mes règles. Mes parents ont paniqué. Ma mère surtout. Elle croyait que j’avais un problème au cerveau. Il faut dire que son père est mort d’un AVC devant elle, quand elle avait dix ans. Ça l’a marquée. Pour la rassurer, j’ai dû passer une batterie d’examens dans les meilleurs services de neurologie. J’ai présenté ma tête dans toutes les positions à une foule de machines plus belles les unes que les autres, mais rien. En tout cas, rien de visible dans ma cervelle de fille unique d’un couple à problèmes. Un ami de mon père, professeur de médecine, a dit que ça pouvait être hormonal. Alors on a refait la ronde des rendez-vous à l’hôpital, cette fois, dans les meilleurs services d’endocrinologie. On m’a prélevé des litres de sang, je leur ai offert des dizaines de flacons d’urine… Résultat ? Rien à signaler ! Il ne restait qu’une solution : la psy. C’était dans ma tête mais ce n’était pas grave. Ma mère a trouvé une psychologue spécialiste des adolescents qui a reçues ensemble pendant cinq minutes, après quoi elle lui a demandé de sortir. Je suis restée seule avec elle, qui m’a posé un tas de questions. Au bout d’une heure, elle a demandé à ma mère de revenir pour lui annoncer me diagnostic : j’étais traumatisée par leur divorce… Malgré son agenda surbooké, elle acceptait de me suivre. »
« Dr Le Fur
– Je me mets où ? Je m’allonge ?
– Asseyez-vous là, en face de moi.
– ça marche ! Avant tout, il faut que je vous dise, en vrai, changer de psy, j’aime pas. C’est comme les débuts des histoires d’amour, depuis ma période d’orgies sexuelles, j’appréhende. Me dévêtir, me montrer nue pour la première fois à quelqu’un que je ne connais pas… A chaque fois, il faut s’adapter en faisant mine de rien, comme si c’était naturel. Je ne sais pas, ça peut sembler futile, mais pour moi, c’est pesant. C’est comme si, à force d’abuser, j’avais développé une réaction allergique. Me glisser dans un nouveau lit, commencer une nouvelle histoire d’amour, tout reprendre à zéro me demandent un effort terrible. »
« – Oui, tuer un nazi… Quoique, si on me donnait un flingue, je ne saurais même pas m’en servir. C’est bête !
– On n’est pas comme ça, nous autres, Juifs, on ne se venge pas…
– Ben… c’est ça le problème ! J’ai entendu une psy dire que nos morts réclamaient qu’on les venge. On aurait peut-être dû les écouter…
– Écouter nos morts ? Et tu crois à ce genre de trucs, toi ?
– Pourquoi ?
– Je ne suis pas d’accord !
– Tu préfères tendre l’autre joue ?
– Non, je ne dis pas ça, mais pour moi, la vengeance c’est pour les barbares ! De toutes les manières, aujourd’hui, les nazis qui ont assassiné nos parents… y’ sont tous morts…
– Et voilà ! J’ai encore raté l’occasion ! C’est ça mon drame. Pendant le Shoah j’étais trop petit pour me battre et aujourd’hui qu’il y en a qui veulent nous faire la peau, je suis trop vieux pour courir. J’ai tout faux ! »
« Je trouvais une certaine vérité à ces conceptions archaïques selon lesquelles les problèmes d’une femme, qui refuse les relations sexuelles, ou d’un homme qui ne parvient pas à trouver une épouse ou qui se révèle impuissant le jour de ses noces, seraient signe de la présence d’un tiers, d’un autre, d’un rival, véritable ou imaginaire… Je commençais à trouver intéressante la théorie du dibbouk. Je pourrais peut-être l’utiliser pour soigner ma patiente.
Grégoire poursuivait :
– Souvent le dibbouk prend possession d’un proche : sa veuve, son fils, sa fille, sa fiancée, un descendant… S’il le rend malade, s’il l’empêche de vivre, ce n’est pas par méchanceté, mais par une sorte de nécessité logique. !
– Passionnant ! Et comment soigne-t-on un tel mal ?
– Autrefois, des rabbins guérisseurs étaient « habilités ».
– C’est le mot que le vieux n’arrêtait pas de prononcer. Il disait qu’on n’était pas « habilités ». Forcément, je ne suis pas rabbin. Vous non plus, Grégoire.
Il sourit.
– Ah non ! Les rabbins habilités prenaient en charge le ou la possédée. Ils découvraient d’abord l’identité du dibbouk dont la communauté avait gardé la mémoire. Puis, ils lui demandaient ce qu’il avait laissé en jachère, ce qu’il fallait réparer pour le libérer. La Shoah a englouti tout ce monde : les malades et leurs guérisseurs, les communautés où était déposée la mémoire des disparus. »

Un avis sur « La patiente du jeudi / Nathalie Zajde »