Toutes les vies / Rebeka Warrior

Ce premier roman au style épurée de l’artiste Rebeka Warior est une véritable claque.

Elle raconte le cancer et la perte de Pauline, sa compagne. Son récit est entrecoupé de lettres et d’extraits de ses carnets, de 2013 à 2023.

Elle raconte les soins, l’hôpital, la souffrance, le corps qui change, sa présence auprès de Pauline, son sentiment d’étouffer par moment. Elle livre ses états d’âme sans tabou, dans un langage familier et cru. On ressent certes la douleur de la perte mais surtout beaucoup d’amour. Pour essayer de continuer à vivre sans Pauline, elle fait différentes expériences qu’elle relate. Elle pratique le zen, la méditation. Elle établit des listes et des règles d’une méthode expérimentale pour ne pas sombrer dans la folie. Entre Berlin et la France, la drogue passe aussi dans sa vie.

Il y a de nombreuses citations d’auteurs dont on retrouve la bibliographie à la fin du livre : Marc Aurèle, Simone de Beauvoir, Hervé Guibert, André Gide, Hermann Hesse, Édouard Levé, Thomas Mann, Jean-Jacques Rousseau, Jean-Paul Sartre, Anton Tchekhov. « Vivre vite » de Brigitte Giraud joue aussi un rôle dans son deuil. Toutes ces citations parsemées m’ont donné envie de (re)lire ces textes.

Un livre très humain et sensible sur le deuil de la femme aimée. Si vous aimez les ovnis littéraires ou les autofictions sans langue de bois, ce texte devrait vous plaire !

Ce roman a reçu le Prix de Flore 2025. Une belle entrée en littérature pour Rebeka Warrior.

Je remercie Netgalley et Stock pour cette lecture

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« Pauline et moi étions amoureuses depuis de nombreuses années. »

« C’est très dur ce que j’écris ici, mais je ne sais pas à qui confier ces horreurs et il faut pourtant que je les formule. Je n’écris pour personne. Je ne tente pas de faire la poète ou la maligne. Les mots je m’en débarrasse seulement. »

« Parfois on entend des gens dire « quand je ne pourrai plus marcher ou plus me torcher le cul seul, je me tuerai, je ne serai un poids pour personne, je saurai dire stop, je serai digne. »
Je pense au contraire que quand on est dos au mur, on choisit la vie… même misérable.
Il était déjà loin le « il faudra me tuer ». »

« Ce carnet sent si fort la mort que j’ai parfois du mal à le rouvrir. Pas du tout envie d’écrire, mal au dos. »

« Sur mon poignet droit, je venais de me faire tatouer « Toutes les vies », en référence à Tchekhov. J’ai alors vu mon pouls battre avec beaucoup de délicatesse sur le mot « vies ». »

« Le set débutait par un morceau de Scout Niblett que Pauline et moi adorions.
Nous avions trois chansons à nous : Scout Niblett, « River of No Return ». La Chatte, « Rien », le remix de Claude Violante. Brigitte Fontaine, « Diabolo ». »

« J’apprenais le Maka Hannya Haramita Shingyo, qui est un texte fondamental du bouddhisme Mahãyãna.
Je vous le mets ici car je trouve qu’il a une certaine puissance libératrice. »

« La souffrance était devenue partie prenante de la pratique, je faisais avec, je m’habituais.
C’était une question d’effort et de répétition – de résignation – comme dans la vie. »

« Je relus Hesse, Siddhartha, tout indiqué dans ma quête spirituelle, puis j’eus le coup de foudre pour La Montagne magique de Thomas Mann.
Le livre raconte l’expérience de Hans Castorp, en cure au sanatorium de Davos.
Celui-ci est atteint d’une pathologie qui affecte tant le corps que l’esprit et reste sept ans dans le « monde d’en haut », tissant un lien de séduction avec la mort et transformant sa vision du monde.
J’avais l’impression d’être moi aussi au sanatorium, toujours fatiguée, avec une maladie similaire.
Tour à tour je changeais d’établissement de santé, une cabane, un temple, un appartement berlinois. »

« Nous avions réussi à faire ce disque et c’était énorme pour moi.
ça voulait dire que je pouvais transformer ma peine en quelque chose.
Je pouvais me transformer en quelque chose.
En nonne ? En chanteuse ?
En poète ? En dépressive ?
En sourde ? En croyante ?
En meurtrière ? En voyante ?
En amie ? En amante ?
En spirite ? En vocabulaire ?
En poussière ? En cauchemar ?
En bouddhiste ? En folle ?
En Allemande ? En tuberculeuse ?
La vie m’offrait tous les chemins. »

« J’arrivai la peau sur les os et le visage émacié.
On voyait littéralement sur ma tronche et mon corps les stigmates de la fatigue, de la dépression, de la folie, de l’adultère, du deuil et de la rupture.
J’étais très pâle avec sous l’œil droit ma vallée des larmes qui s’était encore creusée.
J’avais perdu tous mes muscles, j’étais molle, j’avais même perdu mes seins, ils tombaient comme des petits gants de toilette.
J’avais fait un reset, je repartais de zéro. »

« J’étais devenu Rebeka Eino Warrior.
Mi-punk, mi-bodhisattva.
Mi-folle, mi-sage.
Mi-junkie, mi-saine. »

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