Ce titre est le premier d’une nouvelle collection chez Dépaysage « Animales » dont l’autrice est également l’éditrice. Elle ouvre donc la voie à de nouveaux « textes au féminin pluriel qui courent, mordent, soignent. » Je suis curieuse de découvrir le prochain titre de cette collection prometteuse.
Il s’agit d’un récit très autobiographique. Elle raconte sa vie avec sa chienne-louve. 12 ans de vie commune, 12 chapitres, 12 lieux au cœur de la nature, pour lui rendre hommage. Séquoia l’a rassurée, lui a donné de l’amour. Elle a guéri une carence affective de son enfance. Elle lui a apporté la protection dont elle avait besoin notamment suite à des violences conjugales. Elle lui doit beaucoup aussi pour l’écriture.
A chaque étape importante de sa vie, sa chienne a été là, fidèle. Je découvre une femme qui a déjà vécu mille vies et pas des plus simples. Au fur et à mesure des chapitres, on voit sa chienne vieillir. Leur relation fusionnelle est belle. Ce roman est émouvant et la dernière partie totalement déchirante. On ne peut s’empêcher de penser à nos compagnons à quatre pattes disparus et qui ont laissé un vide. Un récit à la fois intime et universel où l’éco-féminisme transparaît. Toujours avec dignité et distance, sans juger, elle réagit aux événements avec amour et compassion, sans colère. Une véritable leçon de vie, de résilience, un témoignage apaisant qui fait du bien. Bref vous l’avez compris c’est un coup de cœur et je vous recommande ce texte puissant et engagé.
J’ai assisté à une magnifique rencontre VLEEL, à voir prochainement en replay, et j’ai découvert une femme très inspirante. J’ai hâte de lire le prochain ouvrage de la collection « Animales ».
Incipit :
« C’est impossible comme t’es belle. Ma toute petite coyote grise à moitié chienne. Fille de Friendly qui porte si bien son nom et d’un père aussi sauvage qu’inconnu. Ta mère, une alpha au regard d’ambre embrasé, est d’une lignée qui coursait autrefois sur les banquises du Nunavik. Avant d’arpenter le nord du Québec a fière allure en tête de file, elle faisait valser fuser traîneaux et mushers de bord en bord de l’Alaska.
La route jusqu’à toi est aussi boueuse et pleine de caprices qu’aux temps de la Nouvelle-France. Il neige à gros flocons sur les sommets, et bientôt le lit de feuilles d’érable et de tremble sera blanc.
Je te désire depuis l’enfance, tu le sens ? J’attendais le magnifique, l’insolite amour qui me ferait l’effet des séquoias de la Calif, ces arbres géants de plus de mille ans.
Tu m’apprends comment prendre soin de toi à mesure que j’apprends la vie dans la forêt boréale, la neige, le silence : fendre le bois, tenir tête aux éléments, dormir parmi les craquements de toutes parts, en dedans comme au-dehors, domptant mes peurs une à la fois : la pénombre peuplée d’esprits, les maladresses qui tuent, la glace mince, les bruits de moteur qui se rapprochent de notre refuge, la bêtise humaine, mourir gelée, te perdre, me perdre. »
« Avant de raconter comment nous sommes mortes, toi et moi, je vais coucher sur papier toutes les fois où on s’est mutuellement sauvé la vie, mon amour de Séquoia. »
« Grandir auprès d’un père suicidaire qui menace, quand les querelles mènent à une impasse, de se tirer une balle dans le palais, présente cet unique avantage : j’ai appris, je sais comment on fait pour raccrocher les monstres à la vie. Par contre, j’ai hérité de l’envers de la chose, aussi : je tolère trop longtemps l’intolérable, tardant au nid, aussi toxique soit-il. »
« Je souhaite à toutes les femmes de mon époque et à celles d’après une rupture amoureuse moins pénible que la mienne ; c’est le vœu que je formule en déposant boîte sur boîte dans la maison ancestrale louée pour mon année de convalescence, au sommet d’une montagne laurentienne. Autant dire ma forteresse protégée de nombreux gardiens. »
« Je suis passée, avec toi, de la fuite à l’enracinement ; grâce à toi de la carapace à la vulnérabilité, de l’adolescence émotionnelle à une certaine maturité. J’ai marché à tes côtés des kilomètres par milliers aux quatre coins du Québec, déménagé je ne sais plus combien de fois. Ta loyauté m’apprend le soin, la présence, l’amour inconditionnel. On s’est forgé une vie cohérente dans les bois. »
« Tu veilles à la porte, chasses mes cauchemars, panse mes doutes. Te regarder heureuse gambader, bien nourrie, grande et en beauté, peut-être gestante, dissipe ma peur que le loup ait eu raison sur mon cas. Non, je ne suis pas une mauvaise mère ni une mauvaise maîtresse. Au contraire. Pour Fleur et Séquoia, j’en suis sûre maintenant, je suis une paire de bras qui sont et le sanctuaire et la forteresse. »

Un avis sur « Louve en juillet / Gabrielle Filteau-Chiba »