Des amis de longue date / Michèle Cohen

Les histoires s’entremêlent, les personnages se croisent. La narratrice raconte avec malice ses souvenirs de personnes qu’elle a croisées, qui l’ont marquée, qui sont devenus des amis. On découvre des portraits pleins de douceur, d’amitié, qui font du bien.

Certains personnages sont plus extravagants que d’autres, plus surprenants. Il y a notamment un homme de petite taille qui travaille dans les cirques, un poète ou encore un ami de Pérec et Spinoza. En tout cas, après avoir lu ce roman j’ai eu l’impression de les connaître aussi.

Michèle Cohen a une très belle écriture. C’est un roman très agréable à lire, emplit d’humanité. Une belle lecture pour cet été qui vous donnera certainement envie de prendre des nouvelles de vos amis et d’en rencontrer de nouveaux !

Je remercie les éditions du Panseur pour l’envoi de ce livre

Note : 4.5 sur 5.

Incipit :
« Un jour je me suis acheté une paire de tongs pour la piscine, afin d’éviter de glisser sur le sol mouillé, de le salir ou de me salir les pieds. »

« Du plus loin que je me souvienne, je la revois, Gitane à la main, experte, concentrée, silencieuse, plongée dans les petites annonces du Figaro, du Monde ou de Libé, sélectionnant, cochant, puis descendant au bar ou à la poste (c’était, je l’ai dit, un temps où avoir le téléphone à Paris était un privilège rare). Elle s’enfermait alors dans une cabine téléphonique qu’elle enfumait scandaleusement avec sa Gitane sans filtre, et passait des coups de fil (c’était aussi un temps où il fallait appeler dès qu’on avait lu l’annonce, sous peine de s’entendre dire « désolé, l’appartement est vendu depuis depuis cinq minutes »). Elle savait tout de suite si elle avait affaire à une agence (à éviter, à cause des « frais d’agence ») ou à un particulier. Elle connaissait les pièges, les questions à poser. Soupçonnait que, si l’on vous proposait un appartement avec jardin, c’est qu’il était au rez-de-chaussée et très sombre, que s’il n’était pas fait mention de la salle de bains, c’est qu’il n’y en avait pas, qu’une « possibilité ascenseur » resterait de l’ordre de la possibilité, et qu’un « proche canal Saint-Martin » en était très loin, à moins d’être synonyme de « terriblement humide ». Elle était suffisamment lucide et chevronnée pour s’éviter les déceptions qui ne manquent pas de s’abattre sur tout pratiquant novice des petites annonces. Elle flairait l’escroquerie, le taudis enjolivé, mais aussi bien la bonne gangue de terre, la princesse sous les habits de Cendrillon. Car il y avait forcément, dans ce grand jeu de l’échange d’habitations, de la dissimulation et de la ruse, du flair, des occasions à saisir – et puis des concurrents, à battre de vitesse et de perspicacité. »

« Un jour vous m’avez dit : « quand le petit sentiment que vous avez pour moi sera passé, pensez-vous que nous pourrons rester amis ? » Vous aviez l’air d’y tenir beaucoup. »

« Ainsi, notre amitié est-elle rythmée de débats farouches à propos de la taille des grains de couscous, de la disposition des boulettes dans la casserole – sur une ou plusieurs couches ? – sur l’ajout de courgettes dans marmouma (d’après moi, un scandale), sur la façon de tailler les carottes en rondelles ou en bâtonnets, ou la question des matzots que l’on casse au dernier moment dans le msoki de Pâques, ou pas (elle estime que cela fait un pâté infâme, moi j’aime bien que les galettes s’imprègnent de la sauce, d’ailleurs ça ne se discute même pas : c’est ce que faisait ma grand-mère). »

« Dans quelques mois peut-être – c’est le cadeau posthume de mon amie Claudie Cachard – mes broderies seront exposées à Venise. Celles-là mêmes qui ont passé plus de vingt ans entre mes yeux et mes doigts ou dans le secret de ma boîte à ouvrage, les voilà maintenant qui voyagent de Marseille à Beyrouth, et m’entraînent avec elles. Les voilà, regardées par des gens que je ne connais pas et qui semblent les aimer, en être touchés. »

« Si j’en juge par les dédicaces qu’Emmanuel écrivait pour moi lorsqu’il m’offrait l’un de ses livres, nous avons été amis. D’une amitié tendre, légère et douce, et drôle. Drôle, il l’était, et charmant – d’un charme qui habitait tout ce qu’il écrivait. Bien élevé, courtois, délicat, attentif, il était encore tout imprégné d’enfance et de souvenirs d’école, n’en finissait pas d’évoquer son apprentissage de l’écriture et de la lecture, du latin et du grec, de la grammaire. »

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