Dors ton sommeil de brute / Carole Martinez

Voici un roman choral hypnotique et quelque peu flippant, j’ai dû faire quelques pauses par moment, mais je l’ai trouvé incroyable.

Eva est médecin neurologue spécialiste du sommeil. Elle fuit son mari, Pierre, devenu violent envers leur fille de 8 ans, Lucie. Mère et fille se cachent dans une ancienne maison de guardian isolée en Camargue. Lors d’une balade elles vont rencontrer Serge, un grand homme taiseux, torturé intérieurement par son secret. Les rêves de Lucie les rapprochent au fur et à mesure de leurs apparitions.

Une nuit, tous les enfants se mettent à hurler et le cri se propage sur toute la planète. Un rêve collectif part d’une ligne et fait le tour du monde. Mais au fur et à mesure que de nouveaux rêves apparaissent, les effets se font plus forts et dangereux. La nuit ne rime plus avec calme et repos apaisant. Et si la nature essayait de communiquer quelque chose aux humains à travers ce Phénomène ?

J’aime beaucoup les romans et l’écriture poétique de cette autrice que je suis depuis quelques livres. Ce roman oscille entre conte, fantastique et réalisme magique. La nature est omniprésente, sauvage. Une histoire originale qui m’a tenue en haleine et dont je me demandais qu’elle allait en être l’issue. Les personnages sont attachants et les paysages magnifiques. Une expérience de lecture unique que je vous recommande. Je vous en dis le moins possible sur l’histoire pour vous laisser découvrir les événements et les personnages. Mention spéciale à l’histoire du pull dont le fil se détricote. Le titre est tiré d’un poème de Baudelaire, Les fleurs du mal.

Il fait partie de la sélection du Prix du Roman d’Écologie 2025 dont je participe au jury dans le cadre de Strasbourg capitale mondiale du livre – UNESCO

Note : 5 sur 5.

Incipit :
« J’ai d’abord oublié mon état.
C’était comme une guerre à l’autre bout dont j’étais le territoire occupé. Mais depuis quelques mois la créature bouge, me déforme l’abdomen, se tourne et se retourne, fait des bosses sous ma peau tendue à se rompre, elle est devenue trop présente pour que je parvienne à l’enterrer. Cet être m’obsède et me tient éveillée. Bientôt, mon ventre se videra et je dormirai de nouveau. »

« j’ai choisi d’être neurologue pour me plonger dans le sommeil humain.
Ce qui s’agite dans mon ventre rêve aussi. »

« Ton poste a beaucoup parlé de ce test d’un insecticide censé ne s’attaquer qu’aux moustiques, avant que l’actualité ne soit bousculée par le Phénomène. Tu ne les aimes pas, ces insectes, si petits soient-ils ils transmettent des maladies mortelles et tuent plus de 750 000 personnes chaque année. Mais une question d’ordre éthique et écologique s’était alors posée : pouvait-on supprimer totalement une espèce, si meurtrière soit-elle ? Était-on certain que le reste de la faune ne serait pas affecté ? Toute une île ! Avant de passer à la planète entière ? Liquider une espèce, ce n’est pas rien. »

« Je souffrais de son indépendance au lieu de m’en réjouir. Le plus souvent, elle menait sa vie sans moi et j’avais la sensation de disparaître. Je la surprenais parfois alors qu’elle parlait en secret à la terre. A quatre pattes sur le sol, elle enfonçait ses doigts dans la boue, creusait des petits trous qu’elle emplissait de murmures, de mots d’amour et de questions avant de les refermer, elle lançait des phrases dans le vent aussi qui les emportait où bon lui semblait, les disséminant comme graines. Elle semblait perméable à tout, sensible au moindre froissement d’ailes ou de feuilles, attentive aux bruits d’insectes, aux vols d’oiseaux, aux traces, aux pierres, les poissons eux-mêmes remontaient en surface, attirés par son reflet sur l’eau. Elle avait de longs tête-à-tête avec l’étang ou les arbres, elle leur causait. »

« On ne peut visiblement pas lui échapper. Ce qui arrive à l’humanité nous touche tous, aussi séparés que nous puissions être du reste du monde, nous sommes un morceau d’humanité et tout ce qui la secoue nous secoue. »

2 commentaires sur « Dors ton sommeil de brute / Carole Martinez »

Laisser un commentaire